Tribunal administratif N° 21747 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 juillet 2006 Audience publique du 11 décembre 2006 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 21747 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 31 juillet 2006 par Maître Adrian SEDLO, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …(Sierra Léone), de nationalité sierra-léonaise, demeurant actuellement à L- … , tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 3 juillet 2006 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 septembre 2006 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, en présence de Maître Alban COLSON, en remplacement de Maître Adrian SEDLO et de Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline JACQUES qui se sont tous les deux rapportés à leurs écrits respectifs à l’audience publique du 4 décembre 2006.
Monsieur … introduisit en date du 23 août 2004 une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Il fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux de la police grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur son identité.
Il fut entendu le 11 octobre 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.
Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration informa Monsieur … par décision du 3 juillet 2006, lui envoyée par courrier recommandé expédié le 4 juillet 2006, de ce qu’il ne saurait bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève au motif qu’aucune des raisons invoquées à l’appui de sa demande ne saurait fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. Le ministre ajoute que le bénéfice de la protection subsidiaire telle que prévue par la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection est également refusé à Monsieur ….
Le ministre soulève d’abord que des contradictions et incohérences entachent sérieusement la véracité et la crédibilité des déclarations de Monsieur …. Il ajoute que même à supposer les faits comme établis, la Convention de Genève ne considère que les persécutions subies dans le pays d’origine, de sorte que les problèmes rencontrés par Monsieur … au Libéria ne sont pas pertinents dans l’examen de la demande d’asile. En fin de compte il relève que son récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que le demandeur court un risque réel de subir des atteintes graves telles que définies à l’article 37 de la loi du 5 mai 2006.
L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le tribunal est compétent pour l’analyser. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Le recours en annulation introduit en ordre subsidiaire est dès lors irrecevable.
Quant aux incohérences soulevées par le ministre, Monsieur … estime qu’à la lecture du rapport d’audition, il s’avérerait néanmoins qu’il aurait fait un récit globalement cohérent notamment quant à sa situation personnelle et quant à la situation du pays et de la région dans laquelle il vivait au moment des faits à savoir le Libéria, de sorte que la crédibilité et la cohérence générale de son récit ne sauraient être remises en cause.
La décision ministérielle devrait encourir la réformation, sinon l’annulation dans la mesure où le Sierra Leone a été considéré comme son pays d’origine, étant donné que sa situation aurait dû être appréciée au regard des faits vécus au Libéria qui constituerait son pays d’origine.
En se référant à son récit relatif aux faits vécus au Libéria, il estime qu’il y aurait subi des traitements inhumains ou des actes de torture en raison de ses activités politiques ou des menaces graves et individuelles contre sa vie en raison d’une violence aveugle dans le cadre du conflit armé toujours latent au Libéria, de sorte que contrairement a ce qu’affirme le ministre il aurait donc, pour le moins, droit à un régime de protection subsidiaire.
Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours sous analyse laisserait d’être fondé.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.
L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
Monsieur … est de nationalité sierra-léonaise. Il a quitté son pays d’origine en 1997 à cause de la guerre pour s’installer au Libéria. Les craintes de persécutions dont il fait état, à les supposer établies, se limitent au Libéria.
Etant donné que la question de savoir si l’intéressé craint avec raison d’être persécuté doit être examinée par rapport au pays dont celui-ci a la nationalité, c’est à juste titre que le ministre a relevé que les problèmes rencontrés au Liberia ne sont pas pertinents. En effet tant que l’intéressé n’éprouve aucune crainte vis-à-vis du pays dont il a la nationalité, il est possible d’attendre de lui qu’il se prévale de la protection de ce pays. Il n’a pas besoin d’une protection internationale et par conséquent il n’est pas un réfugié1.
En ce qui concerne sa situation au Sierra-Leone, pays qu’il a quitté déjà en 1997 pour ne jamais y revenir, le demandeur n’a pas fait état d’une persécution au sens de la Convention de Genève. En effet il répond aux questions “Why didn’t you go back to Sierra Leone ? “, ”Nothing is possible there. I lost my father, my house was destroyed. If 1 Cf. Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié, HCNR, Genève Janvier 1992, p.44.
I go there I will have psychological problems again. I don’t want to go there again”, et “If you go back what could happen to you?”, “I don’t know what can happen. I don’t want go back”.
Ces déclarations ne témoignent pas non plus d’une menace grave au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et aux formes complémentaires de protection qui définit les atteintes graves comme suit:
« Les atteintes graves sont:
a) la peine de mort ou l’exécution; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. ».
Partant, le recours est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 décembre 2006 par :
Mme Lenert, vice-président, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge en présence de M. Schmit greffier en chef.
Schmit Lenert 4