Tribunal administratif Numéro 21557 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 juin 2006 Audience publique du 30 novembre 2006
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Recours formé par Monsieur …, ..
contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 21557 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 juin 2006 par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Xuan Phu (Vietnam), de nationalité vietnamienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 20 mars 2006, par laquelle il s’est vu refuser le statut de tolérance ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 septembre 2006 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Barbara NAJDI, en remplacement de Maître Yvette NGONO YAH, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.
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La demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, introduite par Monsieur … le 7 octobre 2004, fut rejetée par une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 20 décembre 2004. Par un arrêt de la Cour administrative du 12 janvier 2006 fut confirmé le jugement du tribunal administratif du 21 septembre 2005 ayant déclaré irrecevable pour cause de libellé obscur le recours en réformation introduit par Monsieur … contre cette décision de rejet du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration.
Par courrier de son mandataire du 31 janvier 2006, erronément datée au 31 janvier 2005, Monsieur TRAN introduisit auprès du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en obtention d’un statut de tolérance sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg en faisant état de ce que « la situation politique dans son pays d’origine n’est pas favorable à la liberté d’expression » et « qu’il craint sérieusement pour sa vie en cas de retour pour le moment ».
Suivant décision du 20 mars 2006, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration refusa, sur base de l’article 13 (3) de la loi du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2. d’un régime de protection temporaire, l’octroi d’un statut de tolérance en faveur de Monsieur … au motif « qu’il n’existe pas de preuves que l’exécution matérielle de l’éloignement (…) serait impossible en raison de circonstances de fait ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 21 juin 2006, Monsieur … a fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation de la décision précitée du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 20 mars 2006.
Etant donné qu’aucun recours au fond n’est prévu en matière de refus du statut de tolérance, tel que prévu par les articles 13 (3) et suivants de la loi précitée du 3 avril 1996, seul un recours en annulation a pu être introduit, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il serait inscrit sur une liste noire des autorités administratives vietnamiennes pour s’être « livré à des activités qualifiées de dangereuses par le régime en place ». Il précise qu’il aurait procédé à la traduction de documents qualifiés de « réactionnistes », qu’il aurait alors été convoqué par la police et craignant d’être jeté en prison, il aurait quitté son pays d’origine. Il fait valoir que la liberté d’expression n’existerait pas dans son pays d’origine et estime qu’il serait contraire à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme de solliciter un laissez-passer auprès des autorités consulaires de son pays d’origine dans la mesure où il serait fiché par les services de police et où le système de la police serait centralisé. Il reproche partant au ministre compétent de lui avoir refusé le statut de tolérance, alors qu’il existerait des circonstances de fait évidentes qui rendraient impossible l’exécution matérielle de son éloignement.
Le délégué du gouvernement estime que ce serait à bon droit que le ministre a refusé à Monsieur … l’octroi d’un statut de tolérance en estimant que celui-ci n’aurait apporté aucune preuve que l’exécution matérielle de son éloignement serait impossible, le fait que le Vietnam serait un pays qui ne serait pas favorable à la liberté d’expression étant insuffisant à cet égard.
Dans son mémoire en réponse, le représentant étatique a encore soutenu que la décision ministérielle serait justifiée au regard de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main-d’œuvre étrangère. A l’audience à laquelle l’affaire a été plaidée, le délégué du gouvernement a cependant déclaré renoncer à ce moyen, de sorte qu’il échet de lui en donner acte.
Aux termes de l’article 13 (1) de la loi modifiée du 3 avril 1996, précitée, « si le statut de réfugié est refusé au titre des articles 10 ou 12 qui précèdent, le demandeur d'asile sera éloigné du territoire en conformité des dispositions de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3. l’emploi de la main-d’œuvre étrangère » tandis qu’aux termes de l’article 13 (3) « si l'exécution matérielle de l'éloignement s'avère impossible en raison de circonstances de fait, le ministre [compétent] peut décider de le tolérer provisoirement sur le territoire jusqu'au moment où ces circonstances de fait auront cessé ».
Il en découle que le bénéfice du statut de tolérance est réservé aux demandeurs d’asile déboutés dont l’éloignement se heurte à une impossibilité d’exécution matérielle, avec la conséquence qu’il appartient aux demandeurs, qui par définition se trouvent en séjour irrégulier lorsqu’ils prétendent au bénéfice d’un statut de tolérance, d’établir l’impossibilité alléguée pour prétendre à l’octroi dudit statut.
Or, en l’espèce, force est de constater que le demandeur, au-delà de réitérer des arguments, à savoir la situation des droits de l’homme au Vietnam et les conséquences alléguées dans son chef en cas de retour, qui ont déjà été toisés par les juridictions administratives dans le cadre de la décision susmentionnée ayant eu pour objet la demande d’asile de l’intéressé, n’a soumis aucun élément nouveau de nature à établir que son retour se heurterait à une impossibilité d’exécution matérielle justifiant l’octroi du statut de tolérance dans son chef.
Quant au moyen tiré de la violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, s’il est certes vrai que le risque de subir dans son pays d’origine des traitements inhumains ou dégradants au sens dudit article 3 est susceptible de constituer une circonstance de fait rendant l’exécution matérielle d’un éloignement impossible, il n’en demeure pas moins qu’en l’espèce, le demandeur reste en défaut d’établir avec la précision requise qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il risque de devenir victime de tels traitements inhumains ou dégradants, la simple affirmation qu’il risque d’être arrêté par les forces de police en cas de retour étant en l’état actuel du dossier insuffisante à cet égard.
Il s’ensuit que la légalité de la décision ministérielle litigieuse n’est pas utilement énervée par les moyens présentés par le demandeur, de sorte que son recours doit être rejeté pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 30 novembre 2006 par le premier juge, en présence de M. Rassel, greffier.
s. Rassel s. Schroeder 4