Tribunal administratif N° 21373 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 mai 2006 Audience publique du 30 novembre 2006 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 21373 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 mai 2006 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Dakha (Bangladesh), de nationalité bangladaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 20 octobre 2005, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que de la décision confirmative rendue sur recours gracieux en date du 5 avril 2006 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 août 2006 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 9 octobre 2006 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH pour compte de Monsieur … ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions ministérielles entreprises ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en sa plaidoirie.
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Le 27 octobre 2004, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Monsieur … fut entendu en date du 17 novembre 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.
Par décision du 20 octobre 2005, envoyée par lettre recommandée du 25 octobre 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :
« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 27 octobre 2004 et le rapport d’audition de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration daté du 17 novembre 2004.
Vous auriez quitté le Bangladesh le 11 octobre 2004 pour aller en Inde. De là, vous auriez pris place dans un camion. Vous y auriez passé plusieurs jours sans savoir où vous alliez. Vous auriez aussi pris un bateau mais vous ignorez où et quelle fut sa destination. En tout, votre voyage aurait duré quinze jours. Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 27 octobre 2004.
Vous n’auriez pas fait de service militaire. Vous seriez membre du parti BANGLADESH AWAMI LEAGUE. Vous en auriez été le secrétaire. Vous dites que vous distribuiez le programme du parti aux adhérents. Ceci vous aurait valu des ennuis avec le parti ISLAMI CHARA CHIBIR et avec le BANGLADESH NATIONAL PARTY. Vous précisez que votre parti aurait fondé une école dans le quartier d’Onesha. En décembre 2001, des membres du parti ISLAMI CHARA CHIBIR seraient entrés dans cette école et auraient frappé des élèves. La police n’aurait pas enregistré votre plainte. Le 24 juillet 2002, vous auriez été agressé par une dizaine de personnes. Vous ne connaîtriez que deux de ces personnes, un certain Azim et un certain Jubair, qui seraient membres du parti ISLAMI CHARA CHIBIR et du BANGLADESH NATIONAL PARTY. Vous dites avoir souvent eu des problèmes avec ces deux hommes ; ils auraient frappé aussi votre frère. Après cela, vous auriez déménagé pour un autre quartier de la ville, Mirpur, où vous auriez vécu avec un camarade de parti. Vous ajoutez que le 21 août 2004, des grenades auraient été lancées dans la foule lors d’une manifestation et qu’il y aurait eu des blessés et des arrestations. Vous auriez pris peur et vous auriez pris la décision de quitter le pays.
Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.
Le fait d’appartenir à un parti d’opposition n’entraîne pas d’office l’obtention du statut de réfugié. Aux élections d’octobre 2001, la BANGLADESH AWAMI LEAGUE a obtenu le deuxième meilleur résultat, juste derrière le parti vainqueur, le BANGLADESH NATIONAL PARTY. Même si l’AWAMI LEAGUE ne fait pas partie de la coalition gouvernementale, il a obtenu 62 sièges.
Il résulte d’ailleurs des renseignements en notre possession que les membres de l’AWAMI LEAGUE qui n’ont pas de fonctions décisionnelles dans le parti ne sont pas persécutés. Même si certains leaders peuvent parfois être soumis à des pressions, elles ne sauraient être assimilées à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Je relève aussi que, en tant que secrétaire, vous vous limitiez à distribuer les programmes aux adhérents du parti. Vous n’aviez donc aucune fonction d’extériorisation et ceci ne saurait vous placer dans une position exposée. Je relève aussi que l’action dans une école en décembre 2001 ne vous visait pas personnellement, Quant à l’agression de juillet 2002, elle n’a pas forcément une connotation politique même si les personnes qui vous ont agressé appartiennent à un autre parti que le vôtre. Faute de preuve en ce sens, ceci reste un délit de droit commun contre lequel vous n’avez pas recherché la protection des autorités.
Finalement, depuis votre déménagement pour Mirpur, vous n’avez plus été inquiété. Le fait qu’une manifestation, en août 2004, ait entraîné des scènes violentes ne saurait avoir une incidence sur votre demande d’asile, rien ne vous concernait personnellement. Il résulte de ce qui précède que vous éprouvez au Bangladesh un sentiment d’insécurité et non une crainte justifiée de persécution. Ce sentiment ne saurait fonder une persécution au sens de la Convention de Genève.
Votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».
Le recours gracieux que Monsieur … a fait introduire par courrier de son mandataire du 22 novembre 2005, tel que complété par un courrier du même mandataire du 10 janvier 2006, auprès du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, s’est soldé, à la suite d’une nouvelle audition de Monsieur … le 31 mars 2006, par une décision confirmative du 5 avril 2006, notifiée par lettre recommandée le 6 avril 2006, dont le libellé est comme suit :
« Par courrier du 9 mars 2006, le Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration a rapporté sa décision du 20 octobre 2005, notifiée en date du 28 octobre 2005 concernant la demande d’asile de votre mandant. Une audition complémentaire a eu lieu le 31 mars 2006.
La présente pour vous informer que le Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration maintient sa décision du 20 octobre 2005 étant donné que les faits invoqués par votre mandant lors de l’audition du 31 mars 2006 ne sont pas de nature à justifier la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’ils ne peuvent, à eux seuls, fonder une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève.
En effet, en ce qui concerne les pièces que vous avez versées à l’appui de votre recours gracieux elles appellent les commentaires suivants :
1. Lettre de Mr Dibakar Bala : cette lettre émane, d’après votre client, de son avocat, mais je relève que la langue anglaise utilisée est particulièrement mauvaise, ce qui est curieux pour un intellectuel censé avoir étudié en très grande partie dans cette langue.
2. Lettre de la Bangladesh Awami League : il faut relever que le cachet présente une faute d’orthographe.
3. lettre du Central Committee : cette lettre, écrite par le Committee, est exactement la même que celle écrite par la League : même texte, même police, même mise en page, ce qui est curieux. De plus, en comparant avec le logo du Central Committee trouvé sur internet, il existe une divergence de présentation : l’en-tête est différent.
De plus, les explications de votre client concernant ces remarques sont rien moins que convaincantes.
Je dois donc conclure que l’authenticité de ces pièces est sujette à caution.
Force est donc de conclure, que la demande d’asile de Monsieur … ne correspond à aucun critère de fond défini par la Convention de Genève et qu’il ne fait pas état de persécutions personnelles ou de craintes de persécutions dans son pays d’origine au sens de la Convention de Genève où il ne serait d’après ses propres déclarations que resté une semaine.
Par conséquent, je ne peux que confirmer ma décision du 20 octobre 2005. » Par requête déposée en date du 8 mai 2006, Monsieur … a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation des deux décisions ministérielles précitées des 20 octobre 2005 et 5 avril 2006.
Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être introduite contre les décisions ministérielles litigieuses.
Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir qu’il serait de nationalité bangladaise et membre actif du parti d’opposition au pouvoir, dénommé BANGLADESH AWAMI LEAGUE, ci-après dénommé « la ligue AWAMI », au sein de laquelle il aurait joué un rôle actif, ce qui aurait eu pour conséquence des persécutions policières dirigées contre lui, ainsi que des persécutions de la part des sympathisants du parti BANGLADESH NATIONAL PARTY (BNP) et du ISLAMO CHARA CHIBIR, notamment sous forme d’actes de violence commis à l’égard de membres de sa famille lors de « visites » au domicile paternel de la part de la police accompagnée desdits sympathisants, aux mois de février et avril 2004, au cours desquelles son frère aurait notamment été agressé de manière violente en représailles de ses propres activités politiques au sein du parti d’opposition, ce qui aurait eu pour conséquence qu’il aurait dû vivre dans un état de quasi-clandestinité.
En ce qui concerne sa situation personnelle dans son pays d’origine, le demandeur fait état de sa participation à une manifestation organisée par son parti en date du 21 août 2004, au cours de laquelle des grenades auraient été lancées dans la foule causant la mort d’une vingtaine de personnes et blessant plusieurs dizaines d’autres personnes.
Il fait encore état de la situation générale existant dans son pays d’origine, en relevant que les dirigeants de la ligue AWAMI feraient l’objet d’une répression systématique, qui viserait également les membres dudit parti politique, en relevant que certains de ces dirigeants auraient été torturés et certains activistes dudit parti auraient été tués.
Le demandeur estime qu’à l’heure actuelle, il serait toujours recherché par la police de son pays d’origine en raison de ses activités politiques et il craint que lors d’un retour dans son pays d’origine, il serait soumis à des sanctions importantes de la part des autorités en place.
Le représentant étatique soutient que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.
L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.
L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
S’il est vrai que les activités dans un parti d’opposition au pouvoir actuellement en place dans le pays d’origine d’un demandeur d’asile, à les supposer établies, peuvent justifier des craintes de persécutions au sens de la Convention de Genève, il n’empêche que la simple qualité d’adhérent à un tel mouvement ne constitue pas à elle seule un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié.
En l’espèce, le demandeur fait état de ce qu’au-delà de sa qualité de simple adhérent à la ligue AWAMI, il y aurait joué un rôle actif en ce qu’il aurait non seulement été membre dudit parti depuis 1998, mais qu’il aurait activement pris part aux activités du parti. Au cours de ses auditions par l’agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration, il a décrit ses activités comme suit : « I talk with general people, I explain my party », en expliquant qu’il aurait été « publicity secretary » chargé de l’activité décrite par lui comme suit : « When there were programs about our party, about activities, I went to the people of the party with the program. I met the other people in the central office of our party ». Sur question afférente posée par ledit agent du ministère, le demandeur a répondu que son parti politique était autorisé par le pouvoir actuellement en place au Bangladesh.
Il suit des déclarations du demandeur, telles que relevées ci-avant que celui-ci reste en défaut d’établir qu’il a joué un rôle prépondérant et exposé dans la ligue AWAMI. En effet, si le demandeur a certes déclaré avoir joué un rôle actif au sein de ce parti politique, néanmoins ses déclarations se limitent à faire état de ce qu’il a distribué le programme de son parti politique à des personnes extérieures à celui-ci et qu’il a expliqué à ces personnes le contenu dudit programme. Il ne ressort partant pas de son récit qu’il a été dans une position particulièrement exposée. Ainsi, il n’a pas fait état d’un état de persécution vécu ou d’une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, en raison de son appartenance à la ligue AWAMI. Concernant les deux visites que sa famille aurait eues à leur domicile par des policiers et des membres de deux partis actuellement au pouvoir, il échet de retenir qu’à supposer ces faits établis et à les supposer motivés par l’appartenance du demandeur à la ligue AWAMI et à ses activités au sein dudit parti, ces faits ne sont pas d’une gravité suffisante pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève.
Par ailleurs, la référence faite à des persécutions, menaces et actes de tortures dont auraient été victimes des dirigeants de la ligue AWAMI, il échet de retenir que de tels faits ne sauraient justifier dans le chef du demandeur, qui avoue lui-même ne pas avoir été un dirigeant dudit parti, la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève.
Au vu des constatations et développements qui précèdent, le tribunal n’a pas à prendre position sur les attestations versées par le demandeur et plus particulièrement quant aux critiques formulées par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration par rapport auxdits documents, étant donné que ces documents, même à les supposer authentiques, ne sont pas de nature à fournir davantage de renseignements quant à la situation particulière du demandeur dans son pays d’origine, en comparaison à ceux analysés ci-avant.
Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, premier vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 30 novembre 2006 par le premier vice-président, en présence de M. Rassel, greffier.
Rassel Schockweiler 7