Tribunal administratif N° 21584 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 juin 2006 Audience publique du 28 novembre 2006 Requête formée par Madame … et consorts en présence du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de relevé de déchéance
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 21584 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 27 juin 2006 par Maître Gilles PLOTTKE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom Madame …, née le … à Virginia (Libéria), accompagnée de ses deux enfants mineurs … , tendant au relevé de la déchéance résultant de l’expiration du délai d’un mois imparti pour l’introduction d’un recours contentieux à l’encontre de la décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 21 avril 2006, notifiée le 26 avril 2006 portant refus du statut de réfugié et confirmant la décision antérieure prise le 8 mars 2006 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 3 août 2006 ;
Vu les pièces versées en cause ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, en présence de Maître Florence MARIMPIETRI, en remplacement de Maître Gilles PLOTTKE, et Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline GUILLOU-JACQUES qui se sont toutes les deux rapportées à leurs écrits respectifs en date du 27 novembre 2006.
Madame …, accompagnée de ses enfants mineurs … se vit notifier le 13 mars 2006 une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration 8 mars 2006, portant refus dans son chef du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, prononcée sur le fondement de l’article 11 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire.
Le 14 mars 2006, Maître Nathalie NIMESGERN introduisit pour le compte de Madame … un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle de refus du 8 mars 2006.
Ce recours gracieux fit l’objet d’une décision confirmative prise le 21 avril 2006, notifiée à Madame … le 26 avril 2006.
Le 27 juin 2006, Maître Gilles PLOTTKE a fait déposer une requête tendant au relevé de la déchéance résultant de l’expiration du délai d’un mois imparti pour l’introduction d’un recours contentieux contre la décision du 8 mars 2006, telle qu’elle fut confirmée le 21 avril 2006.
A l’appui de son recours, la demanderesse fait valoir que nonobstant le mandat qu’elle aurait conféré à son avocat précédent, celui-ci n’aurait pas déposé un recours contre la décision de refus du ministre du 21 avril 2006. Elle souligne qu’elle aurait fait personnellement toutes les diligences nécessaires lui incombant pour agir dans le délai dans la mesure où elle aurait conféré, le 5 mai 2006, mandat à son avocat pour intenter un recours contentieux, de sorte que la carence de son avocat l’aurait ainsi mise dans l’impossibilité d’agir. Elle ajoute qu’elle ne maîtriserait pas la langue française dans laquelle est intervenue la décision de refus. Elle estime que la jurisprudence serait constante en la matière pour qualifier une telle situation d’impossibilité d’agir, de sorte qu’il y aurait lieu de lui accorder le relevé de la déchéance résultant de l’expiration du délai lui imparti pour agir en justice se fondant sur l’article 1er de la loi modifiée du 22 décembre 1986 relative au relevé de la déchéance résultant de l’expiration d’un délai imparti pour agir en justice.
Le délégué du Gouvernement fait rappeler que la faute du mandataire entraîne également la faute de son mandant au nom et pour le compte duquel il agit. Il ajoute qu’aucune preuve ne serait rapportée tendant à prouver que la demanderesse aurait fait les diligences nécessaires pour que son précédent avocat ait pu agir.
La requête en relevé de déchéance, non autrement contestée sous ce rapport, ayant été présentée suivant les formes et délai prévus par la loi, est recevable.
La loi modifiée du 22 décembre 1986 précitée, dispose en son article 1er que « si une personne n’a pas agi en justice dans le délai imparti, elle peut, en toutes matières, être relevée de la forclusion résultant de l’expiration du délai si, sans qu’il y ait eu faute de sa part, elle n’a pas eu, en temps utile, connaissance de l’acte qui a fait courir le délai ou si elle s’est trouvée dans l’impossibilité d’agir ».
Il est constant en cause que la demanderesse a eu connaissance de l’acte à partir de la notification intervenue le 26 avril 2006, de sorte qu’elle ne rentre pas sous les prévisions du premier cas d’ouverture d’un relevé de déchéance prévu par la loi.
L’article 1er de la loi modifiée du 22 décembre 1986 précitée prévoit un deuxième cas d’ouverture pouvant donner lieu au relevé de déchéance, à savoir l’hypothèse dans laquelle, bien que la personne ait eu connaissance de l’acte en question, elle était dans l’impossibilité d’agir.
Selon Madame … l’inaction de son avocat l’aurait mise dans l’impossibilité d’agir.
Le relevé de forclusion, intervenant par rapport à des délais de recours ayant un caractère d’ordre public ainsi qu’un effet en principe automatique, constitue un incident grave et exceptionnel de sorte qu’il y a lieu d’interpréter la notion d’impossibilité d’agir d’une manière restrictive ( cf. Cour d’appel, 20 décembre 1991, Pas. 28, p. 250).
Dans l’hypothèse où un mandataire a été chargé par une personne en vue de l’introduction d’un recours dans une matière dans laquelle le droit de postulation d’un professionnel est la règle, comme celle sous rubrique réservant aux avocats à la Cour le monopole des recours à intenter au fond contre des décisions administratives individuelles, l’impossibilité d’agir n’est en principe pas donnée, lorsque le mandat pour agir a été conféré en temps utile au professionnel par le justiciable concerné, sauf hypothèse exceptionnelle d’éléments irrésistibles vérifiés dans le chef dudit mandataire (cf. Pas adm.
2005, V° Procédure contentieuse, 162, p. 651, TA 20 mars 2003 n° 15676 et autres références citées ). L’inaction du professionnel concerné ne conduit dès lors pas automatiquement à un refus de principe du relevé de la déchéance.
Madame … précise qu’elle a donné son mandat pour agir, en temps utile, à son avocat précédent. Elle n’avance cependant aucun élément pour expliquer la carence de son avocat, de sorte que le tribunal ne saurait retenir dans son chef une cause légitime pouvant justifier son inaction. Il s’en suit que l’impossibilité d’agir n’est pas vérifiée en l’espèce.
Le mandataire de Madame … soulève encore que celle-ci n’aurait commis aucune négligence. Force est de constater cependant que seulement pour le premier cas d’ouverture, celui où la personne concernée n’a pas eu, en temps utile, connaissance de l’acte qui a fait courir le délai, le texte légal prérelaté exige que cette hypothèse soit vérifiée “ sans qu’il y ait eu faute de sa part ”, alors que pour le deuxième cas d’ouverture, relatif à l’impossibilité d’agir, pareille condition n’est point prévue, de sorte que le moyen est également à écarter sous cet aspect.
La requête en relevé de déchéance n’est par voie de conséquence pas fondée.
Par ces motifs le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
déclare la demande en relevé de déchéance recevable ;
au fond la dit non justifiée et en déboute ;
condamne la partie demanderesse aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 novembre 2006 par :
Mme Lenert, vice-président, Mme Lamesch, premier juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Lenert 3