Tribunal administratif N° 21556 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 juin 2006 Audience publique du 27 novembre 2006
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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 21556 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 juin 2006 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Mdoa (Somalie), de nationalité somalienne, demeurant à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 31 mars 2006 ayant rejeté sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme étant non fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 18 mai 2006 prise sur recours gracieux ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 août 2006;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 31 août 2006 par Maître Frank WIES pour compte du demandeur ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Frank WIES et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.
En date du 27 janvier 2005, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Il fut entendu en date des 4 et 15 février 2005 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.
Par décision du 31 mars 2006, notifiée par courrier recommandé du 3 avril 2006, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :
« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 28 janvier 2005 et le rapport d’audition de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration du 4 février 2005.
Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 28 janvier 2005 qu’une personne que vous auriez rencontrée dans un camp de réfugiés de la Croix Rouge près de Nairobi au Kenya vous aurait amené à l’aéroport de Nairobi. Le 25 janvier 2005 vous auriez quitté le pays en avion ensemble, et après 7 heures de vol vous seriez arrivés dans un pays arabe. De là vous auriez changé d’avion et après 6 heures de vol vous seriez tous les deux arrivés en Europe. Cependant vous ignorez où vous auriez atterri. Ensuite, toujours ensemble vous seriez allés à une gare et vous auriez pris un train vers le Luxembourg. Le 27 janvier 2005 vous seriez arrivés au Luxembourg. Vous n’auriez rien payé pour le voyage. Vous ne présentez aucune pièce d’identité.
Lors de l’audition du 4 février 2005 vous dites avoir vécu avec votre femme, votre enfant et votre père à la maison à Mdoa. En novembre 2000 six personnes seraient venues chez vous durant la nuit. Ils vous auraient distribué des armes et ils auraient exigé que vous vous joigniez à eux sans donner plus d’indications. Votre père aurait refusé cet ordre et ils l’auraient en conséquence tué devant vos yeux. Vous auriez également refusé de les joindre et en conséquence ils auraient d’abord tué votre fils âgé de 4 ans au moyen d’un couteau, ensuite ils vous auraient bandé les yeux et auraient commencé à vous frapper. Ils auraient placé un couteau à votre gorge et ils auraient coupé vos doigts, un à un. Vous auriez aussi été blessé aux jambes, vous pensez qu’ils vous les auraient brûlées. Ensuite vous ne vous rappelez plus de rien. Votre épouse se serait enfuit (sic !), mais vous ignorez où elle se trouve actuellement.
Vous ajoutez avoir des troubles de mémoire, vous ne vous souvenez seulement qu’une famille près de Nairobi vous aurait logé et soigné. Vous ignorez complètement comment vous êtes arrivé là. Le 15 décembre 2004 ils vous auraient dit qu’ils ne pourraient plus veiller sur vous sans plus d’explications. Le 25 janvier 2005 un homme inconnu serait arrivé et vous aurait amené à l’aéroport de Nairobi pour quitter l’Afrique.
Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.
A défaut de pièces, un demandeur d’asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Or, il convient de relever les différentes contradictions et invraisemblances de votre récit. En effet, il s’impose tout d’abord de souligner que lorsque vous avez déposé votre demande d’asile le 27 janvier 2005, vous avez déclaré être célibataire. Or, durant l’audition du 4 février 2005 vous déclarez être marié. Ensuite, à la question de savoir si les agresseurs étaient de votre tribu, ou bien d’une autre, vous répondez ne pas savoir (p.12). Cependant lors de l’audition complémentaire vous affirmez que les prédits individus n’étaient pas de votre tribu (p.14).
Concernant votre voyage, vos déclarations auprès de la Police Judiciaire diffèrent de celles de l’audition. En effet, vous avez déclaré à la Police avoir quitté la Somalie 5 ans auparavant pour vous rendre dans un camp de réfugié de la Croix Rouge près de Nairobi, tandis que durant l’audition vous prétendez avoir vécu chez une famille (p.4). Puis vous déclarez à la Police Judiciaire avoir rencontré la personne qui vous aurait ramené en Europe quelques jours avant votre départ, or durant l’audition vous dites que vous n’auriez jamais vu cette personne auparavant, la première fois aurait été le 25 janvier 2005, soit le jour même de votre départ (p.5). Le 28 janvier 2005 vous avez aussi prétendu que le premier vol aurait duré 7 heures, le second aurait duré 6 heures, or durant l’audition vous ne vous rappelez plus de la durée des vols, vous dites avoir dormi dans l’avion (p.5). Enfin, vous indiquez à la Police Judiciaire qu’une fois arrivé en Europe vous auriez pris un train pour le Luxembourg, durant l’audition avec le Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration vous dites être descendu du train pour prendre encore une voiture avec laquelle vous seriez arrivé au Luxembourg (p.7).
Il convient également de mettre en évidence que selon le certificat du 13 mai 2005 vous avez déclaré au docteur qu’on vous aurait arraché les doigts, alors que durant l’audition vous dites qu’on les aurait coupés (p.4 & p.8). Ensuite vous avez prétendu avoir subi des brûlures extensives frontales gauches, or durant l’audition vous supposez qu’on aurait brûlé vos jambes (p.8). D’ailleurs, l’examen médical n’a pas pu mettre en évidence une lésion de type brûlure, des prélèvements de peau au niveau des cuisses ont été réalisées ce ne sont donc pas des brûlures. En effet, il ressort du certificat que vous avez subi une chirurgie de « premier ordre » avec « prélèvements (cutanés) nombreux sur la face antérieure des cuisses ». Il ressort également du prédit certificat que le médecin suivant examen approfondi « a beaucoup de peine à croire la description de la genèse des lésions ». En outre, de sérieux doutes sont à émettre quant à votre âge, étant donné que le médecin a mentionné que vous êtes « beaucoup plus âgé » que l’âge que vous indiquez.
Il convient de déduire de ces nombreuses remarques que la crédibilité de vos déclarations est sérieusement ébranlée.
De toute façon, les faits ne sauraient, en eux-mêmes, constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’ils ne peuvent, à eux seuls, fonder une crainte justifiée d’être persécuté dans votre pays d’origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève. En effet, le fait d’être menacé par des inconnus de vous joindre à eux, de manière non autrement circonstanciée, ne constitue pas un acte de persécution au sens de la Convention de Genève, d’autant plus que des personnes inconnues ne sauraient être considérées comme un agent de persécution au sens de la prédite Convention.
Relevons encore que votre venue en Europe a été motivée par des raisons médicales et personnelles. En effet, vous auriez quitté le Kenya parce que la famille qui vous aurait accueilli durant toutes ces années ne pourrait plus s’occuper de vous. Or de tels motifs ne sauraient fonder une demande en obtention du statut de réfugié.
Pour finir, vous n’apportez en l’espèce aucune raison valable justifiant une impossibilité de vous installer définitivement au Kenya où vous déclarez avoir vécu plus de 4 ans sans avoir rencontré un quelconque problème. Le Kenya étant à considérer comme un pays tiers sûr.
Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.
Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».
Le recours gracieux que Monsieur … a fait introduire par courrier de son mandataire du 5 mai 2006 à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 31 mars 2006 s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 18 mai 2006, il a fait introduire, par requête déposée en date du 20 juin 2006, un recours en réformation à l’encontre des deux décisions ministérielles prévisées des 31 mars et 18 mai 2006.
Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur reproche en premier lieu au ministre d’avoir mis en doute la crédibilité de son récit en se prévalant de contradictions entre le « personal data sheet », le rapport de la police judiciaire et le rapport d’audition. Il fait valoir dans ce contexte qu’il aurait été amputé des quatre doigts de chaque main et qu’il ne saurait ni lire ni écrire, de sorte qu’il n’aurait pas lui-même rempli la fiche de données personnelles. De même, en ce qui concerne le rapport de la police judiciaire, il se plaint du fait que celui-ci est rédigé en langue allemande et qu’il ne lui a pas été traduit. En se prévalant de l’article 6 de la loi précitée du 3 avril 1996, il argue que le service de police judiciaire serait uniquement habilité à procéder aux vérifications nécessaires à l’établissement de l’identité d’un demandeur d’asile et que ledit rapport ne pourrait pas servir pour conclure à des contradictions dans son récit.
Concernant le doute ayant trait à son âge exprimé par le ministre, le demandeur soutient que le docteur A.K., en tant que médecin généraliste, ne présenterait pas les qualifications nécessaires pour déterminer l’âge d’une personne et conteste que l’examen auquel celui-ci aurait procédé ait été fait selon les règles de l’art. Il estime ensuite que les prétendues contradictions dans son récit porteraient sur des aspects tombant sous le champ du bénéfice du doute dont il devrait bénéficier notamment en raison de son état psychologique, étant relevé qu’il serait certifié médicalement qu’il souffrait de stress post-traumatique et de troubles de la mémoire.
Quant au fond, le demandeur soutient que sa famille aurait fait l’objet d’une violente attaque par des personnes inconnues qui auraient voulu obliger lui et son père à les rejoindre, que devant leur refus, celles-ci auraient tué son père et son fils, âgé de quatre ans, et que lui-
même aurait été amputé des quatre doigts de chaque main. S’il admet que ses agresseurs ne peuvent pas être considérés comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève, il estime toutefois ne pas pouvoir compter sur la protection des autorités de son pays d’origine en raison de l’absence de tout ordre étatique en Somalie. Il soutient ainsi avoir été victime de persécutions au sens de la Convention de Genève en raison de ses opinions politiques, la cause de la persécution étant à rechercher dans le chef de l’auteur de la persécution qui en l’espèce serait forcément une milice cherchant à contrôler la région.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement rétorque en ce qui concerne la force probante du rapport de la police judiciaire que le service de police judiciaire serait habilité, sur base de l’article 6 de la loi précitée du 3 avril 1996, pris dans un sens large, à interroger le demandeur d’asile sur son itinéraire de voyage pour découvrir d’éventuels séjours antérieurs dans d’autres Etats européens, ce qui serait d’ailleurs expressément prévu par l’article 8 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et aux formes complémentaires de protection. Il conteste ensuite que l’agent ayant rempli la fiche de données personnelles n’ait pas correctement noté les déclarations du demandeur.
Quant au fond, le représentant étatique fait valoir que le demandeur aurait passé quatre années au Kenya auprès d’une famille qui aurait pris soin de lui. Ce ne serait que lorsque cette famille n’aurait plus voulu s’occuper de lui qu’il aurait décidé de venir en Europe. Il en conclut que les motifs du départ vers l’Europe se situeraient dans des considérations d’ordre matériel, médical et personnel, lesquelles ne seraient pas de nature à justifier la reconnaissance du statut de réfugié. Enfin, il donne à considérer que les contradictions et invraisemblances ne permettraient pas d’accorder foi au récit du demandeur, ce qui serait d’ailleurs confirmé sur le plan médical en ce que la genèse des lésions ne correspondrait pas à la réalité.
Sur ce, le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.
Dans son mémoire en réplique, le demandeur insiste sur ce que le rapport du service de police judiciaire pourrait uniquement servir à établir des contradictions en ce qui concerne l’identité du demandeur mais non pas en ce qui concerne son récit apporté à l’appui de sa demande d’asile. Il fait encore valoir dans ce contexte que la loi précitée du 5 mai 2006 ne serait pas applicable en l’espèce. Il reproche partant au ministre d’avoir commis une erreur d’appréciation des faits en concluant à des contradictions avec le rapport d’audition.
Il soutient ensuite que l’origine de ses blessures, à savoir la mutilation de ses mains et les brûlures, ne pourrait pas être mise en doute au motif que tous les certificats médicaux figurant au dossier confirmeraient sa version des faits, à l’exception du certificat médical du 13 mai 2005 du docteur A.K. qui serait le seul à faire état de ce que les doigts auraient été arrachés et non pas coupés ainsi que cela ressortirait du rapport d’audition. Or, dans la mesure où il ne maîtriserait pas très bien la langue anglaise, un malentendu avec le docteur A.K. ne serait pas à exclure.
Finalement, il conteste que sa venue en Europe soit motivée par des raisons d’ordre matériel, médical et personnel. S’il était vrai qu’il aurait reçu des soins au Kenya et qu’il n’aurait quitté l’Afrique que quatre années plus tard, il n’en demeurerait pas moins qu’il aurait subi de graves persécutions en Somalie, son pays d’origine, où il ne pourrait pas retourner sans crainte au vu de la situation actuelle y régnant.
L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels évènements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.
Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.
En l’espèce, le demandeur fait état, au-delà de la situation politique qui prévaut actuellement en Somalie, caractérisée par l’absence de pouvoir étatique et l’anarchie, d’actes de persécution concrets subis de la part d’un groupe armé en raison de ses opinions politiques.
La crédibilité du récit présenté par le demandeur à l’appui de sa demande d’asile a été mise en doute par le ministre en raison de diverses incohérences entre ses déclarations successives. Ainsi, le ministre a reproché au demandeur d’avoir fait des déclarations divergentes voire contradictoires concernant son état civil, l’origine ethnique de ses agresseurs, les conditions de son voyage en Europe ainsi que l’origine de ses mutilations.
Or, indépendamment des considérations développées par le demandeur concernant la force probante de la fiche de données personnelles et du rapport de la police judiciaire, il y a lieu de rappeler que l’examen de crédibilité, lequel constitue une étape nécessaire pour pouvoir répondre à la question si le demandeur a ou non des raisons de craindre d’être persécuté du fait de l’un des motifs prévus par la Convention de Genève, ne doit pas occulter la question en elle-même. Dans les cas où il existe un doute sur la réalité de certains faits ou la sincérité du demandeur, l’énoncé de ce doute ou le constat de fausses déclarations ne dispense pas de s’interroger en définitive sur l’existence d’une crainte d’être persécuté qui pourrait être établie à suffisance, nonobstant ce doute ou ces fausses déclarations, par les éléments de la cause qui sont par ailleurs tenus pour établis.
Ainsi, si certaines zones d’ombre subsistent concernant les circonstances de la fuite du demandeur au Kenya et son séjour dans ce pays, ainsi que les circonstances exactes de son voyage pour venir en Europe, il y a lieu de retenir que le doute qui persiste doit lui bénéficier, d’autant plus que le demandeur a déclaré souffrir de troubles de la mémoire et qu’il souffre d’un état de stress post-traumatique ainsi que cela est documenté par deux certificats médicaux établis par le docteur L. L.S. et le docteur M.-A. D. respectivement en date des 11 février 2005 et 10 août 2006.
En ce qui concerne la réalité de l’attaque dont le demandeur et sa famille ont été l’objet, force est de constater que le demandeur a fourni des explications crédibles et cohérentes des actes de violence d’une particulière gravité dont lui et sa famille ont été victime de la part d’un groupe armé qui aurait cherché à les embrigader et qui devant leur refus aurait tué son père et son fils, âgé de quatre ans et l’aurait torturé et mutilé. Cette conclusion n’est pas ébranlée par le certificat médical du docteur A.K. du 13 mai 2005, dont le contenu n’est pas suffisamment concluant pour permettre de ne pas tenir pour établies les déclarations du demandeur quant à l’origine de sa mutilation.
S’y ajoute que les décisions déférées n’ont pas abordé la situation des ressortissants somaliens, mais se sont contentées de renvoyer à une possibilité de fuite externe et plus précisément au Kenya, considéré comme pays tiers sûr et où le demandeur a déclaré avoir séjourné durant quatre années sans y rencontrer de problèmes particuliers.
Or, dans la mesure où rien n’indique que le demandeur bénéficiait d’un quelconque statut de protection internationale au Kenya, il y a donc lieu d’examiner sa demande au regard de sa crainte d’être persécuté qu’il dit avoir à l’égard de la Somalie.
Au regard de la situation qui prévaut en Somalie depuis que le demandeur en est parti, il convient de relever que la guerre civile qui, depuis 1991, a entraîné l’effondrement du gouvernement central et la disparition de toute forme d’autorité étatique, continue à déchirer le pays toujours aux prises avec des rivalités claniques et des milices armées qui continuent à lutter pour créer ou étendre des zones d’influence à l’intérieur du territoire somalien. Si depuis octobre 2004, un gouvernement somalien, dit Gouvernement fédéral de transition, a été mis en place, celui-ci n’est pas actuellement en mesure d’exercer de manière effective un pouvoir organisé au sein du territoire somalien et dans ces conditions d’offrir une protection au demandeur, de sorte que toute possibilité de fuite interne est à exclure dans son chef.
Il suit de l’ensemble des développements qui précèdent que le demandeur peut craindre avec raison d’être persécuté à nouveau en cas de retour dans son pays d’origine du fait de ses opinions politiques, respectivement de son origine ethnique et qu’il remplit partant les conditions posées par l’article 1er, A., 2 de la Convention de Genève pour bénéficier du statut de réfugié, de sorte qu’il y a lieu de réformer les décisions ministérielles déférées en lui accordant le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare justifié ;
partant, par réformation des décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration entreprises des 31 mars et 18 mai 2006, dit que le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève est reconnu au demandeur et renvoie l’affaire devant ledit ministre en prosécution de cause ;
donne acte au demandeur de ce qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, premier vice-président, M. Schroeder, premier juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 27 novembre 2006 par le premier vice-président, en présence de M. Rassel, greffier.
Rassel Schockweiler 8