Tribunal administratif N° 21477 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 juin 2006 Audience publique du 21 novembre 2006 Recours formé par la société à responsabilité limitée …, … contre une décision du directeur de l'administration de l'Environnement en matière de transfert de déchets
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 21477 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 juin 2006 par Maître Henri FRANK, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée …, établie et ayant son siège à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du directeur de l’administration de l’Environnement du 31 mai 2006 portant objection au transfert transfrontalier de véhicules hors d’usage vers la société de droit allemand … GmbH ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er septembre 2006 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 22 septembre 2006 par Maître Henri FRANK pour compte de la société à responsabilité limitée … ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 20 octobre 2006 par le délégué du Gouvernement ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Maître Henri FRANK et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRÜCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 6 novembre 2006.
Par décision du 31 mai 2006, le directeur de l'administration de l'Environnement, se prévalant de l'article 7 du règlement (CEE) n° 259/93 du Conseil, du 1er février 1993, concernant la surveillance et le contrôle des transferts de déchets à l'entrée et à la sortie de la Communauté européenne, éleva une objection à l'encontre du transfert transfrontalier de véhicules hors d'usage, par la société à responsabilité limitée …, en abrégé «la société …», vers la société de droit allemand … GmbH, avec siège à ….
La décision est motivée comme suit :
« Gleichzeitig möchte ich Ihnen mitteilen, dass wir gemäss Artikel 7, 4 a) 2ter der europäischen Verordnung Einwände gegen die geplanten Verbringungen erheben. Die Einwände warden wier folgt begründet:
Der Empfänger der Altfahrzeuge betreibt eine Schredderanlage für Altfahrzeuge. Bei dieser und den nachfolgenden Behandlungen wird jedoch die Glasfraktion als solche nicht separat einer Wiederverwertung zugeführt.
Diese Vorgehensweise entspricht nicht den Bestimmungen des Artikels 6 Abschnitte 1 und 3 und des Anhangs 1 Punkt 4 der Autorichtlinie 2000/53/EG sowie des Artikels 7 und des Anhangs 1 Punkt 3 der großherzoglichen Verordnung vom 17. März 2003 betreffend die Altfahrzeuge." Par requête déposée le 2 juin 2006, inscrite sous le numéro 21477 du rôle, la société … a introduit un recours en réformation, sinon en annulation contre la décision du directeur de l'administration de l'Environnement du 31 mai 2006.
A l’appui de son recours, la demanderesse constate d’abord que la décision critiquée se réfère à la directive 2000/53/CE du Parlement et du Conseil du 18 septembre 2000 relative aux véhicules hors d'usage, et au règlement grand-ducal du 13 mars 2003 relatif aux véhicules hors d'usage, et souligne que ledit règlement invoque comme seule base légale l'article 9 de la loi modifiée du 17 juin 1994 relative à la prévention et à la gestion des déchets, loi antérieure à la directive – non transposée en droit national par une loi nouvelle –, de sorte que le règlement en question serait dépourvu de base légale et ne saurait justifier une décision de refus.
Elle estime en outre que l'article 6 de la directive, invoqué à l'appui de la décision litigieuse, ne contiendrait aucune disposition suffisamment précise pour justifier une décision d'objection basée sur ce que le verre des véhicules hors d'usage doit être extrait et traité de manière séparée. Par ailleurs, en soulevant l'objection critiquée, l'administration de l'Environnement luxembourgeoise s'immiscerait dans la manière dont des autorités étrangères – en l'occurrence les autorités allemandes – recyclent et éliminent des déchets sur leur territoire. Or, la loi luxembourgeoise n'aurait pas compétence universelle, d’autant plus que la société destinataire des véhicules hors d'usage serait en conformité avec les normes communautaires et allemandes. La société … se prévaut, à cet effet, d'une décision de l'administration allemande "Struktur- und Genehmigungsdirektion Nord" du Land de Brandebourg ayant exonéré la société … GmbH de l'obligation de traiter le verre de manière séparée en reconnaissant que le procédé de broyage des véhicules sans extraire de manière spécifique le verre rendait plus efficace le recyclage des métaux.
Le délégué du Gouvernement rétorque que la directive 2000/53/CE a été transposée au Luxembourg par le règlement grand-ducal du 17 mars 2003 relatif aux véhicules hors d’usage et que, s’agissant d’une matière qui n’est pas réservée à la loi par la Constitution, cette transposition serait tout à fait licite, étant entendu que la base légale du règlement grand-ducal du 17 mars 2003 serait la loi modifiée du 17 juin 1994 relative à la prévention et à la gestion des déchets et plus particulièrement son article 9. Quant à l’exigence litigieuse du retrait du verre des véhicules hors d’usage à transporter en Allemagne, le délégué du Gouvernement se réfère aux dispositions de l’article 1er, 2. c) de la loi modifiée du 17 juin 1994 précitée qui dispose que « les déchets qui se prêtent à une valorisation doivent être collectés, triés et traités de façon notamment à récupérer un maximum de matières premières secondaires », ainsi qu’aux dispositions de l’article 6 (1) de la directive 2000/53/CE imposant le stockage ainsi que le traitement des véhicules hors d’usage notamment en conformité avec les exigences techniques minimales fixées à l’annexe I de la même directive qui impose que les véhicules hors d’usage sont déshabillés avant tout autre traitement en prévoyant, quant au traitement visant à promouvoir le recyclage, expressément le retrait du verre. Ces prescriptions ayant également été reprises par l’article 8, (3) et l’annexe I, point 3 du règlement grand-ducal du 17 mars 2003 précité, le représentant étatique estime dès lors que l’exigence du retrait du verre serait tout à fait légale.
Il se dégage des pièces versées au dossier et plus particulièrement du libellé de la décision litigieuse que l’objection formulée par l’administration de l’Environnement au transfert de véhicules hors d’usage par la société demanderesse vers la société de droit allemande … GmbH avec siège à Trèves est formulée sur le fondement de l’article 7, paragraphe 4 a), deuxième tiret, du règlement CEE n° 259/93 du Conseil du 1er février 1993 concernant la surveillance et le contrôle des transferts de déchets à l’entrée et à la sortie de la communauté européenne, étant entendu que celui-ci, conformément à son article 1er, s’applique au transfert de déchets aussi bien à l’intérieur qu’à l’entrée et à la sortie de la communauté et qu’un véhicule hors d’usage est à considérer comme un déchet tel que défini de l’article 2 sub a) de ce règlement pour rentrer dans les prévisions du point 1 14 de l’annexe I de la directive 75/442/CEE du 15 juillet 1975 relative aux déchets qui vise les « produits qui n’ont pas ou plus d’utilisation pour le détenteur (par exemple article mis au rebus par l’agriculture, les ménages, les bureaux, les magasins, les ateliers, etc.) ».
Conformément aux dispositions de l’article 7, 4 paragraphe a), deuxième tiret, du règlement CEE 259/93, l’autorité compétente d’expédition peut soulever des objections motivées contre le transfert envisagé « s’il n’est pas conforme aux dispositions législatives et réglementaires nationales en matière de protection de l’environnement, d’ordre public, de sécurité publique ou de protection de la santé ».
Il se dégage encore du libellé de la décision litigieuse que la non-conformité concrètement retenue par l’administration de l’Environnement pour justifier son objection s’entend par rapport aux prescriptions de l’article 6, alinéas 1 et 3, de l’annexe I point 4, de la directive 2000/53/CE, ainsi que de l’article 7 et de l’annexe I point 3, du règlement grand-
ducal du 17 mars 2003 précité, en raison du fait que le destinataire des véhicules usagés applique une méthode de traitement sans retrait du verre.
S’il est certes constant que conformément aux prescriptions du règlement grand-ducal du 17 mars 2003, les opérations de stockage temporaire ou à demeure et de traitement de véhicules hors d’usage devront satisfaire, conformément aux dispositions de son article 7, a), notamment à l’obligation d’être démontés avant tout autre traitement, ceci conformément à l’annexe I qui prévoit plus particulièrement au titre des conditions et modalités de traitement que le verre est à enlever en vue de son recyclage, il reste cependant à examiner si l’autorité compétente de l’Etat d’expédition, en l’espèce l’administration de l’Environnement luxembourgeoise, a valablement pu se référer à ce critère national pour formuler une objection motivée au sens de l’article 7, paragraphe 4, a), deuxième tiret du règlement CEE 259/93.
Dans la mesure où l’objection s’entend formellement par rapport au transfert des déchets, la question se pose d’abord de savoir si l’autorité compétente d’expédition est habilitée à soulever, au-delà de considérations liées à l’opération de transport proprement dite des déchets, également des considérations relatives à l’opération de valorisation prévue à l’issue du transfert.
Etant donné que cette question a déjà été abordée et toisée par la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE) dans son arrêt ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE portant sur l’interprétation de l’article 7, paragraphe 4, sous a) premier et deuxième tiret du règlement (CEE) n° 259/93, rendu en date du 16 décembre 2004 dans l’affaire C-277/02, invoqué par le délégué du Gouvernement, il n’appartient pas au tribunal de se livrer à sa propre interprétation de la législation communautaire, mais de se laisser guider par les conclusions afférentes de la juridiction communautaire sous peine de méconnaître sa vocation unificatrice au niveau de l’interprétation du droit communautaire.
Force est ainsi de constater que la CJCE, dans son arrêt C-277/02, a d’abord retenu sous le point 39 que le règlement doit être interprété en ce sens que « le règlement, pris dans son ensemble, n’exclut pas que toutes les autorités compétentes en charge du contrôle des transferts de déchets puissent prendre en considération des éléments liés non seulement au transport de ces déchets, mais également aux conditions dans lesquelles il est procédé à la valorisation de ces derniers. » Si la motivation retenue à la base de l’objection formulée par l’administration de l’Environnement paraît ainsi, de par sa nature, susceptible d’être utilement invoquée, il reste cependant à examiner si concrètement son contenu n’excède pas le cadre de la directive CEE 259/93.
A cet égard la référence à l’arrêt C-277/02 revêt encore toute son importance, étant donné que la CJCE a non seulement eu l’occasion d’interpréter l’article 7, paragraphe 4, sous a), premier tiret du règlement, non pertinent en l’espèce pour ne pas avoir été invoqué en tant que base légale de la décision litigieuse mais, dans le cadre des quatrième et cinquième questions préjudicielles lui adressées, ledit article 7, paragraphe 4, sous a) pris dans son deuxième tiret qui intéresse directement et exclusivement le litige sous examen pour constituer la base légale retenue par l’administration de l’Environnement dans sa décision du 31 mai 2006.
La CJCE, sous ses points 55 et suivants a retenu ce qui suit :
« Par ses quatrième et cinquième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 7, paragraphe 4, sous a), deuxième tiret, du règlement, selon lequel peuvent être soulevées des objections motivées contre un transfert envisagé s’il n’est pas conforme aux dispositions législatives et réglementaires nationales en matière de protection de l’environnement, d’ordre public, de sécurité publique ou de protection de la santé autorise l’autorité compétente d’expédition à soulever une objection fondée sur la circonstance que la valorisation envisagée méconnaît les dispositions nationales.
Comme il a été dit au point 39 du présent arrêt, le règlement pris dans son ensemble, n’exclut pas que toutes les autorités compétentes en charge du contrôle des transferts de déchets puissent prendre en considération des éléments liés, non seulement au transport de ses déchets, mais également aux conditions dans lesquelles il est procédé à la valorisation de ces derniers. Toutefois, l’examen de l’ensemble des dispositions de l’article 7, paragraphe 4, du règlement ne saurait conduire à une telle conclusion pour l’application de l’article 7, paragraphe 4, sous a) deuxième tiret, du règlement, sans remettre en cause la cohérence dudit article.
Il importe en effet de relever que l’article 7, paragraphe 4, sous b), du règlement autorise les autorités compétentes de transite à soulever des objections motivées à l’encontre du transfert envisagé, sur le fondement des deuxième, troisième et quatrième tirets, du même article, sous a), mais à l’exclusion des premier et cinquième tirets de cette disposition.
Le règlement ne permet pas ainsi aux autorités compétentes de transite, contrairement aux autorités compétentes d’expédition et de destination, de vérifier que les déchets seront traités conformément à la directive ou que la valorisation est bien justifiée d’un point de vue économique et écologique ».
Elle a motivé cette conclusion en retenant que « dans ce contexte, en prévoyant à l’article 7, paragraphe 4, sous a), deuxième tiret, du règlement que les autorités compétentes peuvent soulever des objections contre le transfert envisagé s’il n’est pas conforme aux dispositions législatives et réglementaires nationales, le législateur communautaire a entendu préserver, à chacune des étapes du transfert, l’efficacité des dispositions propres à chaque Etat membre concerné à l’égard des déchets qui se trouvent sur le territoire de cet Etat. Ainsi, le transfert que régissent lesdites dispositions visent les seules opérations relatives à ce transfert telles qu’elles se présentent pendant le temps où elles ont lieu sur le territoire respectif de chacune des autorités compétentes concernées. Il s’ensuit que les autorités compétentes d’expédition ne peuvent se fonder sur lesdites dispositions pour soulever une objection relative à l’opération de valorisation dans l’Etat de destination ».
La Cour a dès lors dit pour droit que « l’article 7, paragraphe 4, sous a), deuxième tiret, du règlement n° 259/93, tel que modifié par les décisions 98/368 et 1999/816, doit être interprété en ce sens qu’une autorité compétente d’expédition ne peut pas s’appuyer sur ces dispositions pour soulever une objection à un transfert de déchet fondée sur la circonstance que la valorisation envisagée méconnaît les dispositions législatives et règlementaires nationales en matière de protection de l’environnement, d’ordre public, de sécurité publique ou de protection de la santé ».
Transposé en l’espèce, ce raisonnement de la CJCE conduit à la conclusion que l’objection au transfert formulée par l’administration de l’Environnement, en ce qu’elle est expressément fondée en droit sur le deuxième tiret du point a) du paragraphe 4 de l’article 7 du règlement CEE 259/93, n’est pas justifiée pour ne pas être limitée, quant à son objet, au seul volet de l’opération de transfert qui se déroule sur le sol luxembourgeois.
Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en annulation est fondé et que la décision litigieuse de l’administration de l’Environnement du 31 mai 2006 encourt l’annulation.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le dit justifié ;
partant annule la décision litigieuse du 31 mai 2006 ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 21 novembre 2006 par :
Mme Lenert, vice-président, Mme Thomé, juge, M Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Lenert 6