Tribunal administratif N° 21383 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 mai 2006 Audience publique du 13 novembre 2006 Recours formé par Monsieur … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 21383 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 mai 2006 par Maître Gilles PLOTTKE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Gambie), de nationalité gambienne, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 23 janvier 2006, déclarant sa demande en obtention du statut de réfugié non fondée, ainsi que d’une décision du même ministre du 10 avril 2006, rejetant son recours gracieux formé contre la décision précitée du 23 janvier 2006 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 juin 2006 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport en présence de Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRÜCK qui s’est référée au mémoire écrit de la partie publique à l’audience publique du 6 novembre 2006.
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En date du 16 septembre 2003, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Le même jour, il fut entendu par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.
Il fut entendu en date du 29 janvier 2004 par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.
L’intéressé ayant fait l’objet, au cours de l’instruction de sa demande d’asile, d’une arrestation suivie d’une peine privative de liberté en raison d’infractions en matière de stupéfiants, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, entre-temps en charge de son dossier, lui adressa en date du 23 janvier 2006 une décision de refus au Centre Pénitentiaire de Luxembourg en constatant que sa demande présentée aux autorités luxembourgeoises en date du 16 septembre 2003 ne correspondrait à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, étant donné que sa crainte d’être emprisonné pour une infraction de droit commun dont il accepterait la culpabilité ne rentrerait pas dans le cadre de cette convention. Il a relevé en outre que le récit présenté à l’appui de cette demande d’asile ne serait pas crédible, étant donné que Monsieur… aurait délibérément menti quant à son âge, le ministre se référant à cet égard à un rapport médical daté du 16 janvier 2004 attestant du fait que l’intéressé serait certainement plus âgé que l’âge par lui indiqué. Il a relevé en outre d’autres improbabilités et contradictions dans le récit présenté par le demandeur en retenant ce qui suit :
« En effet, auprès du service de la police judiciaire vous dites avoir quitté la Gambie le 9 août 2003. Or, lors de l’audition, vous indiquez que votre problème aurait eu lieu le 7 septembre 2003 et que le 8 septembre 2003 vous auriez décidé de quitter votre pays. Ensuite, le jour de votre arrivée, vous avez déclaré sur la fiche de données personnelles que vous auriez quitté votre pays à cause de l’implication politique de votre père policier. Or, il s’avère que votre problème est relatif au fait que vous soyez recherché par la police pour avoir incendié des maisons et des champs. En plus et contrairement au contenu de la fiche précitée, vous dites dans l’audition que votre père serait décédé quand vous étiez petit et qu’il aurait été fermier ! ».
Le recours gracieux que Monsieur… a fait introduire par courrier de son mandataire datant du 6 avril 2006 à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 23 janvier 2006 s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 10 avril 2006, Monsieur… a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation des deux décisions ministérielles des 23 janvier 2006 et 10 avril 2006 par requête déposée en date du 11 mai 2006.
Les décisions litigieuses ayant été prises sur base de l’article 11 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit. Ledit recours ayant également été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de son recours, Monsieur… réexpose avoir été recherché dans son pays d’origine par les autorités policières, sinon judiciaires, pour avoir été à l’origine d’un incendie dont il aurait été l’auteur par inadvertance. Dans la mesure où il craindrait pour son intégrité physique dans le cadre d’une éventuelle incarcération et que la peine susceptible de lui être infligée risquerait d’être sans commune mesure avec les faits effectivement commis, il estime remplir les conditions d’octroi du statut de réfugié. Pour soutenir cette prétention il se réfère au fait que la loi de la charia serait toujours appliquée dans son pays d’origine, que le climat politique serait instable et que le système judiciaire gambien ne répondrait pas aux conditions d’objectivité et de protection des droits de la défense les plus élémentaires.
Quant aux incohérences lui reprochées, il relève avoir suivi une éducation scolaire minimale de trois ans seulement et ne pas maîtriser à suffisance la langue anglaise, pour soutenir que ces circonstances seraient de nature à justifier certains malentendus, ceci d’autant plus qu’il n’aurait pas été assisté d’un avocat lors de son audition. Il conteste en outre avoir indiqué que son père serait policier ou aurait été impliqué dans la politique en tant que raison pour son départ de la Gambie, de sorte que la contradiction afférente relevée par le ministre ne serait pas établie. Il insiste en outre avoir précisé lors de son audition du 29 janvier 2004 que son père serait décédé quand il était petit, tout en relevant avoir fait référence également à son beau-père (« my mother got married with another man. I was living with my elder father, the brother of my father »).
Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.
L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.
L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
En effet, il ressort du rapport d’audition du demandeur ainsi que des explications fournies par la suite que les craintes de persécutions par lui invoquées à l’appui de sa demande d’asile trouvent leur source exclusivement dans le fait qu’il a incendié une maison et qu’il craint les conséquences judiciaires que cette infraction risquera de connaître dans son pays d’origine.
Or, le fait pour une personne de se soustraire à la justice de son pays d’origine ne saurait être admis en tant que critère d’octroi du statut de réfugié, ceci d’autant plus que les doutes exprimés par le demandeur par rapport au système judiciaire de son pays d’origine restent purement hypothétiques, étant donné qu’il ne s’est pas présenté aux autorités de son pays pour assumer les conséquences de son acte et faire valoir le cas échéant son argumentation en défense.
Dans la mesure où les motifs de persécutions invoqués par le demandeur s’analysent en substance en une critique d’ordre général du système judiciaire dans son pays d’origine, sa situation se confond avec celle de tous les habitants de la Gambie dans l’hypothèse où ils seront confrontés à ce système et devront répondre d’une infraction commise, sans que Monsieur… ne fasse pour autant état d’un quelconque élément spécifique caractérisant sa situation particulière, permettant d’engager un examen utile sur l’existence éventuelle de craintes de persécution spécifiques au sens de la Convention de Genève. Il s’ensuit que le ministre a valablement pu considérer sa demande d’asile comme ne rentrant pas dans les prévisions de la Convention de Genève.
Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 13 novembre 2006 par :
Mme Lenert, vice-président, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Lenert 4