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09/11/2006 | LUXEMBOURG | N°22070

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 novembre 2006, 22070


Tribunal administratif N° 22070 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 octobre 2006 Audience publique du 9 novembre 2006 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 22070 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 octobre 2006 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, de nationalité

pakistanaise, retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrég...

Tribunal administratif N° 22070 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 octobre 2006 Audience publique du 9 novembre 2006 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 22070 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 octobre 2006 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, de nationalité pakistanaise, retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d'une décision du ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration du 24 octobre 2006 prorogeant pour une durée d'un mois son placement audit Centre de séjour provisoire institué initialement par arrêté du même ministre du 25 septembre 2006 ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 3 novembre 2006 par le délégué du Gouvernement ;

Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté entrepris ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 8 novembre 2006.

Monsieur … fut appréhendé en date du 23 septembre 2006 par la police grand-ducale sans être en possession d’une quelconque pièce d’identité alors qu’il marchait sur l’autoroute A3 en direction de la France. Par décision du même jour, le procureur d’Etat décida de retenir Monsieur… étant donné que le ministre compétent ne pouvait pas être utilement saisi.

Le 25 septembre 2006, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration ordonna le placement de Monsieur… au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois.

Le même jour Monsieur… informa les autorités luxembourgeoises qu’il aurait fait l’objet d’une procédure d’asile en Allemagne, procédure qui se serait soldée par un refus, information qu’une recherche dans le système EURODAC confirma le lendemain, 26 septembre 2006 en révélant que ledit … avait présenté plusieurs demandes d’asile en Allemagne sous différentes identités ainsi qu’une demande tendant aux mêmes fins aux Pays-

Bas.

En date du 24 octobre 2006, le ministre prit un arrêté ordonnant la prorogation de la mesure de placement de Monsieur… au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une nouvelle durée d’un mois à partir de la notification aux motifs suivants :

« Vu l'article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l'entrée et le séjour des étrangers ;

Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;

Vu mon arrêté pris en date du 25 septembre 2006 décidant du placement temporaire de l'intéressé ;

Considérant que l’intéressé est démuni d’un document de voyage valable ;

-

qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels légalement acquis ;

-

qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

Considérant qu’une demande de reprise en charge en vertu de l’article 16 § 1er du règlement CE n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 a été adressée aux autorités allemandes en date du 10 octobre 2006 ;

Considérant que l’éloignement de l’intéressé sera organisé dans les meilleurs délais ;

Considérant qu'il existe un risque de fuite, alors que l'intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d'éloignement ; (…) » Par requête déposée le 30 octobre 2006 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l'encontre de la décision de prorogation du 24 octobre 2006.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.

l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre l’arrêté ministériel du 24 octobre 2006.

Ledit recours, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait plaider qu’il serait de droit que les autorités compétentes devraient faire tous les efforts et toutes les démarches nécessaires en vue d'assurer que la mesure d'éloignement puisse être exécutée sans retard, dans les délais les plus brefs et il se rapporte à la sagesse du tribunal quant aux efforts employés par le ministre pour une demande de reprise en charge sur base du règlement CE n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des États membres par un ressortissant d'un pays tiers, ci-après désigné par le « règlement CE 343/2003 », afin que la mesure d'éloignement puisse être exécutée dans les délais les plus brefs.

Il querelle encore la décision déférée pour être motivée de façon identique à la motivation gisant à la base de la décision de placement initiale, « respectivement sans que ne soit établie l'existence d'une nécessité absolue alors que le contraire reviendrait à mettre le tribunal dans l'impossibilité de vérifier la légalité de la mesure entreprise, de même que pareille décision constituerait une violation des droits de la défense en ce sens que le justiciable ne serait pas placé dans une situation lui permettant d'apprécier la portée juridique exacte de la décision lui notifiée ».

Il estime encore qu’au jour du dépôt de la requête, aucune circonstance de fait n'aurait empêché le ministre de l’éloigner en application du règlement CE n° 343/2003 précité.

Il estime à ce sujet plus particulièrement que comme il existe une acceptation expresse sur base des dispositions du règlement CE n° 343/2003 précité, l'impossibilité de refoulement mise en avant par le ministre ferait actuellement défaut.

Il conclut enfin au caractère inapproprié du lieu de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière. Il affirme à ce sujet être soumis au même régime que les détenus « au sens pénal du terme » et que sa liberté lui aurait été ôtée en violation de l'article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main-d’œuvre étrangère et de l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Finalement, il estime que les « conditions psychiques » (sic) de sa rétention nécessiteraient sa libération immédiate, ou encore son placement dans un centre approprié, alors que le centre pénitentiaire de Schrassig ne pourrait être qualifié comme un établissement approprié au regard de l'article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée.

L’Etat, dans son mémoire en réponse, conclut au bien-fondé de la décision litigieuse et justifie la mesure de placement par la nécessité de respecter la procédure de transfert, respectivement de reprise du demandeur telle que prévue par le règlement CE n° 343/2003.

Quant au caractère inapproprié du lieu de placement, il relève que le Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière serait, aux termes de la jurisprudence, à considérer comme établissement approprié.

En ce qui concerne le moyen tiré de la prétendue inertie du ministre et par conséquent de l’absence de « nécessité absolue » en résultant, nécessaire à la prorogation de la décision de placement, il appartient au tribunal d’analyser si le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a pu se baser sur des circonstances permettant de justifier qu’une nécessité absolue rende la prorogation de la décision de placement inévitable (cf. trib. adm. 20 décembre 2002, n° 15747 du rôle, Pas. adm. 2005, V° Etrangers, n° 398 et autres références y citées).

En effet, l’article 15, paragraphe 2 de la loi prévisée du 28 mars 1972 dispose que « la décision de placement (…) peut, en cas de nécessité absolue, être reconduite par le ministre (…) à deux reprises, chaque fois pour la durée d’un mois ».

Le tribunal vérifie si l’autorité compétente a veillé à ce que toutes les mesures appropriées soient prises afin d’assurer un éloignement dans les meilleurs délais, en vue d’éviter que la décision de placement ne doive être prorogée, étant donné que la prorogation d’une mesure de placement doit rester exceptionnelle et ne peut être décidée que lorsque des circonstances particulièrement graves ou autrement justifiées la rendent nécessaire (cf. trib.

adm. 6 novembre 2002, n° 15509, confirmé par Cour adm. du 21 novembre 2002, n° 15593C, ibidem).

A cet égard, force est de constater que le demandeur, originaire du Pakistan se trouvant en situation irrégulière au Luxembourg, a été débouté de sa demande d’asile présentée en Allemagne et résidait en Allemagne jusqu’à son placement au Centre de séjour.

Il s’ensuit que le demandeur tombe directement dans les prévisions de l’article 16, 1.

e) du règlement CE 343/2003 en tant que ressortissant d'un pays tiers dont la demande d’asile a été rejetée en Allemagne et qui se trouve, sans en avoir reçu la permission, sur le territoire d'un autre État membre, à savoir le Grand-Duché de Luxembourg.

Il s’ensuit que c’est à juste titre que le ministre a eu recours en l’espèce à la procédure spécifique instaurée par l’article 20 dudit règlement CE 343/2003 en soumettant aux autorités allemandes une demande de reprise en charge préliminairement à l’exécution de toute mesure d’éloignement. Etant donné encore que le même article 20 impose à l’Etat membre sollicitant une reprise en charge de soumettre d’abord, avant tout transfert effectif de la personne concernée, une requête afférente à l’autorité compétente de l’Etat membre requis et que celui-

ci dispose d’un certain délai - en l’espèce deux semaines - pour procéder aux vérifications nécessaires et répondre à cette requête, il en découle nécessairement une impossibilité pour l’Etat membre demandeur de procéder à l’éloignement immédiat de la personne visée durant le dit délai à disposition de l’Etat requis.

Le moyen du demandeur relatif à une possibilité d’éloignement immédiat « effective » laisse partant d’être fondé.

Force est encore de constater que le ministre a saisi dès le 26 septembre 2006, soit le lendemain de la mesure de placement initiale, le service de police judiciaire, section des étrangers, d’une enquête visant à déterminer l’identité exacte du demandeur et à vérifier ses affirmations selon lesquelles il serait demandeur d’asile débouté en Allemagne et qu’au vu du résultat de l’enquête lui communiqué le 10 octobre 2006, il s’adressa aussitôt aux autorités allemandes en vue d’obtenir leur accord pour la reprise en charge du demandeur, reprise que les autorités allemandes refusèrent dans un premier temps en date du 24 octobre 2006.

Le tribunal constate tout particulièrement que le délai de 2 semaines nécessité par l’enquête de police ne paraît pas, compte tenu des circonstances particulières de l’espèce, exagéré, la police ayant dû procéder à une enquête sur la situation de l’intéressé à l’étranger, et en particulier en Allemagne, afin de vérifier si les conditions d’application du prédit article 16, 1. e) du règlement CE 343/2003 sont remplies en l’espèce, l’article 16, 3 du même règlement précisant en effet que l’obligation de reprise en charge cesse si l’intéressé a quitté le territoire des Etats membres pendant une durée d’au moins trois mois.

Aucun manque de diligence au niveau du déroulement de cette procédure n’est décelable à ce sujet dans le chef des autorités administratives luxembourgeoises.

En ce qui concerne l’affirmation du demandeur relative à l’inexistence « au jour du dépôt de la requête » - à savoir le 30 octobre 2006 - d’une circonstance de fait empêchant son éloignement vers l’Allemagne, force est de constater que si les autorités allemandes ont finalement accepté la reprise de l’intéressé le 26 octobre 2006, elles ont cependant soumis le transfert du demandeur à certaines conditions matérielles, et notamment au fait d’être averties du transfert du demandeur au moins trois jours ouvrables à l’avance, délai auquel s’ajoutent nécessairement les délais inhérents à l’organisation matérielle du transfert du demandeur à la frontière allemande.

Il s’ensuit qu’à la date du dépôt de la requête, le ministre se trouvait encore dans l’impossibilité matérielle de procéder au transfert du demandeur.

En revanche, le tribunal constate au jour des plaidoiries, à savoir le 8 novembre 2006, que non seulement le demandeur n’avait toujours pas été transféré en Allemagne, mais encore que le ministre n’est pas à même de communiquer une quelconque date précise en vue de son transfert, et ce malgré le fait que les autorités luxembourgeoises disposent de l’accord des autorités allemandes depuis le 26 octobre 2006.

Si le ministre a adressé un rappel au service de police judiciaire en date du 7 novembre 2006, cette unique démarche ne saurait pas excuser ce retard non seulement non justifié, mais encore non justifiable, le transfert matériel du demandeur consistant en effet uniquement à le mener sous escorte au poste frontière de Wasserbilligerbrück.

Il suit des considérations qui précèdent que l’impossibilité d’un éloignement immédiat, certes patente au jour de la prise de la décision litigieuse, voire jusqu’au 30 octobre 2006, date d’introduction du recours, laisse d’être établie au jour du présent jugement.

Comme le tribunal statuant dans le cadre d’un recours en réformation est appelé à apprécier la décision déférée au jour où il statue, il y a lieu de constater que la décision de prorogation du 24 octobre 2006 ne remplit plus les conditions imposées par l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972.

Le tribunal est partant amené à réformer la décision querellée et à ordonner la libération immédiate du demandeur, sans qu’il y ait lieu de prendre position par rapport aux autres moyens et arguments invoqués.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare également justifié ;

partant, par réformation, met fin à la décision du ministre 24 octobre 2006 et ordonne la mise en liberté immédiate de Monsieur… ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 9 novembre 2006 par :

Mme Lenert, vice-président, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 22070
Date de la décision : 09/11/2006

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2006-11-09;22070 ?

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