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09/11/2006 | LUXEMBOURG | N°21421

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 novembre 2006, 21421


Tribunal administratif N° 21421 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 mai 2006 Audience publique du 9 novembre 2006

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Recours introduit par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 21421 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 22

mai 2006 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Lu...

Tribunal administratif N° 21421 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 mai 2006 Audience publique du 9 novembre 2006

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Recours introduit par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 21421 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 22 mai 2006 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Rau (Nigeria), de nationalité nigériane, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 17 mars 2006, ayant rejeté sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 21 avril 2006, rendue sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 juin 2006 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions ministérielles critiquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Caroline LECUIT, en remplacement de Maître Nicky STOFFEL, et Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.

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Le 6 octobre 2004, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.Il fut encore entendu en date du 3 novembre 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 17 mars 2006, notifiée le 20 mars de la même année, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration informa Monsieur … que sa demande avait été refusée.

Cette décision est libellée comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 6 octobre 2004 et le rapport d’audition de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration du 3 novembre 2004.

Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 6 octobre 2004 qu’un ami de votre père vous aurait accompagné à l’aéroport à Lagos et que vous auriez quitté le Nigeria en avion 2 semaines auparavant. Vous auriez été en possession d’un passeport nigérian. Vous ignorez si la personne précitée serait arrivée avec le même avion que vous, ce ne serait qu’à votre destination à l’aéroport de Frankfort que vous vous seriez retrouvés. Il aurait pris votre passeport et vous vous seriez quittés. Puis vous vous seriez rendu à la gare, et vous y auriez vécu pendant presque deux semaines en tant que mendiant. Un homme vous aurait ensuite procuré un billet de train pour le Luxembourg, vous y seriez arrivé le 4 octobre 2004. Votre demande d’asile date du 6 octobre 2004. Vous dites que vous auriez payé 500 000 Nairas pour payer le passeport et le voyage. Vous ne présentez aucune pièce d’identité.

Lors de l’audition du 3 novembre 2004 vous précisez que vous seriez chrétien. Il y aurait trois ans, vous auriez connu une fille qui serait venue chez vous tous les weekends. Elle serait par contre de confession musulmane, et vous l’aurait mise enceinte 5 mois auparavant.

En août 2004 le père de votre amie aurait appris votre relation et il aurait alors débarqué chez vous trois jours plus tard. Il se serait disputé avec votre père, et il l’aurait grièvement blessé. Un ami de votre père présent à ce moment là l’aurait conduit à l’hôpital où il aurait succombé à ses blessures. Vous expliquez que tout le monde se serait alors enfui, et que si le père de votre amie vous attrapait, il vous couperait la main. Vous ajoutez qu’on aurait appelé la police, mais celle-ci aurait dit qu’elle ne pourrait pas vous protéger, sans donner plus d’indications.

Vous précisez ensuite que vous seriez rendu (sic !) au village Ewe où on vous aurait aidé. Vous racontez que le père de votre compagne aurait apparu avec d’autres personnes armées de couteaux mais vous vous seriez enfui à travers la brousse pour arriver à une route.

A partir de là vous seriez monté dans une voiture et on vous aurait amené à Lagos. Vous seriez resté finalement une semaine à Oso / Lagos, avant d’être amené à l’aéroport afin de quitter le Nigeria.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

A défaut de pièces, un demandeur d’asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Or, il convient de relever les différentes contradictions et invraisemblances de votre récit. En effet, lorsque vous avez déposé votre demande d’asile le 6 octobre 2004, vous avez déclaré être né le 15 décembre 1981 à Rau /Nigeria, Or, durant l’audition du 3 novembre 2004 vous dites être né le 1er décembre 1981 à Ujaro / Edo State/ Nigeria. De plus, il semble peu concevable que vous ne connaissiez pas les noms des villages entourant le vôtre dans lequel vous auriez pourtant vécu depuis votre naissance.

Concernant votre voyage, vos déclarations auprès de la Police Judiciaire diffèrent de celles de l’audition. En effet, vous avez fait état à la Police de votre incertitude quant à la mention de vos données personnelles dans le passeport que vous déteniez, tandis que durant l’audition vous attestez que le passeport était bien le vôtre (p.8). Puis vous déclarez à la Police Judiciaire être arrivé en avion à Frankfort, or durant l’audition vous dites avoir oublié où vous auriez atterri (p.7). Le 6 octobre 2004 vous avez aussi prétendu que durant le vol vous n’auriez pas vu la personne qui vous accompagnait, vous l’auriez retrouvée après avoir passé les contrôles à l’aéroport de Frankfort, or durant l’audition avec le Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration vous dites que vous auriez passé ces contrôles ensemble (p.8). De plus, vous indiquez à la Police Judiciaire que cette personne vous aurait quitté à l’aéroport et que vous vous seriez rendu seul à la gare pour y rester durant presque deux semaines jusqu’à ce qu’une autre personne vous ait payé un billet de train pour le Luxembourg. Durant l’audition vous affirmez au contraire que ce serait cette même personne avec laquelle vous seriez venu du Nigeria qui vous aurait mis dans le train, sans expliquer que vous seriez resté deux semaines à la gare (p.8). Enfin, il ressort du rapport de Police que vous auriez payé 500 000 Nairas pour payer le passeport et le voyage. Or, selon le rapport de l’audition vous n’auriez rien dû payer, puisque la personne qui vous accompagnait aurait payé cette somme avec l’argent de votre père (p.8).

Il convient de déduire de ces nombreuses remarques que la crédibilité de vos déclarations est sérieusement ébranlée.

De toute façon, force est de constater que vous ne faites pas état de persécutions par le gouvernement nigérian au sens de la Convention de Genève du fait de votre race, votre religion, votre nationalité, votre appartenance à un groupe social ou de vos opinions politiques. En effet, le fait d’être menacé par le père de votre petite amie en raison de votre relation avec sa fille ne constitue pas un acte de persécution au sens de la Convention de Genève, d’autant plus que cette personne privée ne saurait être considérée comme un agent de persécution au sens de la prédite Convention. Il convient également de constater que même si vous indiquez qu’ « ils » ( sans préciser de qui il s’agit) auraient fait appel à la police et que celle-ci aurait prétendu ne pas pouvoir vous aider, vous auriez dû vous y rendre personnellement afin de réclamer une protection. Il s’ensuit que vous n’établissez pas que les autorités nigérianes seraient incapables ou bien refuseraient de vous protéger.

Pour finir, vous n’apportez en l’espèce aucune raison valable justifiant une impossibilité de vous installer dans une autre région de votre pays d’origine et ainsi de profiter d’une fuite interne.

Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Sur recours gracieux introduit par Monsieur … par lettre de son mandataire du 13 avril 2006, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision initiale du 17 mars 2006 par courrier du 21 avril 2006, notifié le 24 avril de la même année audit mandataire.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 22 mai 2006, Monsieur … a fait introduire un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions ministérielles précitées des 17 mars et 21 avril 2006.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est par voie de conséquence irrecevable.

A l’appui de son recours, le demandeur expose être originaire du Nigeria, de confession chrétienne, et d’avoir quitté son pays d’origine en raison des problèmes qu’il aurait eus avec le père de sa concubine musulmane. Il expose plus particulièrement que lorsque sa concubine serait tombée enceinte de lui, le père de celle-ci aurait marqué son désaccord avec leur « relation amoureuse » et n’aurait pas accepté que sa fille soit tombée enceinte de lui. Il ajoute en soutenant que le père de sa concubine se serait rendu à son domicile familial et y aurait battu et maltraité les membres de sa famille, bagarre au cours de laquelle son père aurait trouvé la mort. A la suite de ces événements, il se serait échappé pour se réfugier dans un village voisin, mais il y aurait été retrouvé par le père de sa concubine ainsi que par les hommes engagés par celui-ci afin de le retrouver et il aurait à nouveau dû fuir, de peur que le père de sa concubine porte atteinte à son intégrité physique en craignant que celui-ci ait l’intention de lui couper sa main. Il n’aurait partant vu d’autre solution que de quitter son pays d’origine afin de se rendre à l’étranger pour y rechercher une protection internationale. Il estime enfin que les autorités de son Etat d’origine seraient dans l’incapacité de lui fournir une protection appropriée contre les actes dont il risquerait de faire l’objet de la part du père de sa concubine.

Le représentant étatique soutient que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, même en faisant abstraction des incohérences et contradictions relevées par l’autorité ministérielle dans le récit du demandeur, force est de constater que le demandeur n’a pas fait état à suffisance de droit d’un état de persécution ou d’une crainte de persécution correspondant aux critères de fond définis par la Convention de Genève.

Ainsi, les craintes exprimées par le demandeur à l’égard du père de sa concubine, hostile à leur union, et qui serait déjà à l’origine du meurtre de son propre père, se situent dans le cadre d’un conflit d’ordre privé, relevant plutôt d’une criminalité de droit commun, lequel, même lié à la conviction religieuse, est étranger aux motifs de persécution visés par la Convention de Genève.

S’y ajoute que les actes concrets de persécution invoqués par le demandeur émanent du père de sa compagne, ainsi que d’autres personnes privées proches de celui-ci, partant de personnes étrangères aux autorités publiques, qui ne sauraient être considérées comme étant des agents de persécution au sens de la Convention de Genève, de manière qu’ils s’analysent en une persécution émanant non pas de l’Etat, mais d’un groupe de la population et ne sauraient dès lors être reconnus comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéfice pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève ou si elles sont incapables de fournir une telle protection. Il convient d’ajouter que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence et qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel. Il ne saurait en être autrement qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-

Yves CARLIER : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s).

Or, le demandeur n’a pas établi à suffisance de droit que les autorités nigérianes chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics ne soient pas capables de lui fournir une protection adéquate.

Par ailleurs, il n’appert pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal qu’une possibilité de fuite interne lui aurait été impossible, pareille possibilité de trouver refuge dans une autre partie de son pays d’origine paraissant tout à fait possible, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité d’un demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2005, V° Etrangers, n° 62 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, premier vice-président, M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 9 novembre 2006 par le premier vice-président, en présence de M. Schmit, greffier.

SCHMIT SCHOCKWEILER 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 21421
Date de la décision : 09/11/2006

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2006-11-09;21421 ?

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