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09/11/2006 | LUXEMBOURG | N°21402

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 novembre 2006, 21402


Numéro 21402 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 mai 2006 Audience publique du 9 novembre 2006 Recours formé par Madame …, … contre un arrêté du ministre des Transports en matière de permis de conduire

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 21402 du rôle, déposée le 16 mai 2006 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Jacques SCHONCKERT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’O

rdre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le …, demeurant à L-…, tendant à ...

Numéro 21402 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 mai 2006 Audience publique du 9 novembre 2006 Recours formé par Madame …, … contre un arrêté du ministre des Transports en matière de permis de conduire

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 21402 du rôle, déposée le 16 mai 2006 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Jacques SCHONCKERT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le …, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’un arrêté du ministre des Transports du 14 octobre 2005 portant retrait de son permis de conduire;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 juillet 2006;

Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté critiqué;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Anne DENOEL, en remplacement de Maître Jean-Jacques SCHONCKERT, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Suite à un rapport du commissariat de Grevenmacher de la police grand-ducale du 1er mai 2005, Madame …, préqualifiée, fut invitée, par courriers des 27 mai et 8 juillet 2005, à se présenter le 3 août 2005 devant la commission médicale des permis de conduire auprès du ministère des Transports « aux fins de vérification de [ses] aptitudes physiques ». A cette occasion, l’expert de la commission médicale procéda à un test pratique avec Madame ….

Dans son avis du 3 août 2005, la commission médicale émit l’opinion que « l’intéressée souffre de troubles mentaux » et que « par conséquent la personne précitée ne satisfait pas aux conditions minima prévues par l’article 77 sous 6) de l’arrêté grand-ducal précité et qu’il est dès lors établi qu’elle souffre d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire ».

Par rapport du 16 août 2005, le centre d’intervention de Mersch de la police grand-

ducale informa le ministère des Transports d’un incident de la circulation ayant eu lieu en date du 9 août 2005 à Colmar-Berg ayant impliqué Madame ….

En date du 16 septembre 2005, un expert de la commission médicale procéda à une épreuve pratique avec Madame … et aboutit à la conclusion que « Madame … n’est plus en mesure de contrôler constamment le véhicule qu’elle conduit et il lui manque l’habilité nécessaire de gérer différentes situations : croiser des véhicules en évaluant la largeur de la chaussée (touche du rétroviseur d’une voiture), ne pas remarquer des signaux routiers l’obligeant à céder la priorité (bifurquer au signal « cédez le passage » sur une route prioritaire sans visibilité et sans s’en rendre compte) ainsi que la majeure partie des virages à gauche en utilisant la partie gauche de la chaussée. Voilà pourquoi je propose que son permis de conduire devrait lui être retiré ».

Par arrêté du 14 octobre 2005, le ministre des Transports, ci-après désigné par le « ministre », décida de retirer le permis de conduire de Madame …. Cet arrêté est motivé par les considérations que « pour la raison reprise sous 4) du paragraphe 1er de l’article 2 de la loi du 14 février 1955 [concernant la réglementation de la circulation sur toutes les voies publiques] une mesure administrative s’impose à l’égard de Madame Irma … » et qu’elle « souffre d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire ».

Par courrier de son mandataire du 17 janvier 2006, Madame … forma contre cet arrêté ministériel du 14 octobre 2005 un recours gracieux qui fut cependant rejeté par une décision confirmative du ministre du 16 février 2006 suite à un avis de la commission médicale du 1er février 2006.

Par requête déposée le 16 mai 2006, Madame … a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation, sinon à l’annulation de cet arrêté ministériel du 14 octobre 2005.

La loi modifiée du 14 février 1955 concernant la réglementation de la circulation sur toutes les voies publiques n’instaurant pas un recours au fond en la matière sous analyse, le tribunal n’est pas compétent pour connaître du recours principal en réformation. Par contre, le recours subsidiaire en annulation est recevable pour avoir été par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse reproche à la décision critiquée le défaut de toute motivation en fait lui permettant de prendre utilement position.

Au vœu de l’article 6 alinéa 2 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes, une décision administrative « doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base » notamment lorsqu’elle « révoque ou modifie une décision antérieure ».

S’il est vrai qu’une décision administrative doit formellement indiquer les motifs par l'énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu'elle révoque ou modifie une décision antérieure, il n’en reste pas moins qu’une omission de motivation suffisante n'est cependant pas sanctionnée par une annulation automatique, mais que, dans la mesure où des éléments de motivation ont existé au moment où la décision déférée a été prise, ceux-ci peuvent encore être valablement fournis par l’auteur de la décision en cours de procédure contentieuse, sous l’obligation toutefois qu’un débat contradictoire ait pu avoir lieu impliquant toutes les parties à l’instance. Ce n’est que dans l’hypothèse où l'autorité administrative met le juge administratif dans l'impossibilité d'exercer son contrôle sur l'existence et la légalité des motifs pouvant justifier la décision de retrait qu’une décision non valablement motivée encourt l’annulation.

Or, en l’espèce, le délégué du gouvernement a complété la motivation de l’arrêté critiqué à travers son mémoire en réponse et en soumettant le dossier administratif, de manière qu’un débat éclairé et contradictoire sur le bien-fondé de l’arrêté critiqué a pu avoir lieu en instance contentieuse et que le tribunal a été mis en mesure d’exercer son contrôle. Il s’ensuit que ce premier moyen de la demanderesse est à rejeter.

En deuxième lieu, la demanderesse affirme qu’il ne serait pas établi qu’elle souffrirait d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacité de conduire. Elle conteste dans ce contexte la légalité du test pratique auquel elle a dû se soumettre au motif que ce test se serait déroulé sans témoins et sur base de la seule déclaration d’un moniteur d’auto-école qui ne serait pas « un agent assermenté dont la parole aurait valeur d’évangile ».

Aux termes de l’article 2 paragraphe 1er de la loi prévisée du 14 février 1955, « le ministre des Transports ou son délégué délivre les permis de conduire civils; il peut refuser leur octroi, restreindre leur emploi ou leur validité, les suspendre et les retirer, refuser leur restitution, leur renouvellement ou leur transcription et même refuser l’admission aux épreuves si l’intéressé: … 4) souffre d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire; … ».

L’article 90 paragraphe 2 de l’arrêté grand-ducal modifié du 23 novembre 1955 portant règlement de la circulation sur toutes les voies publiques précise les conditions et la procédure à suivre pour prendre une décision de retrait d’un permis de conduire fondée sur le motif d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver les aptitudes ou capacité de conduire d’une personne. Ce texte dispose comme suit :

« Afin d’examiner les personnes souffrant d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver leurs aptitudes ou capacités de conduire un véhicule automoteur ou cyclomoteur, il est institué une commission médicale dont les membres sont nommés par le ministre des Transports.

Avant de pouvoir restreindre l’emploi ou la validité des permis de conduire, refuser leur octroi, leur renouvellement ou leur transcription, les suspendre ou les retirer, le ministre des Transports adresse quinze jours au moins avant la séance de la commission une convocation par lettre recommandée à l’intéressé, l’invitant à s’y présenter soit seul, soit assisté par un médecin de son choix. Si l’intéressé ne comparaît pas devant la commission médicale malgré deux convocations par lettre recommandée, la procédure est faite par défaut.

La commission, composée pour chaque affaire de trois membres, a pour mission d’entendre l’intéressé dans ses explications, de dresser procès-verbal et d’émettre un avis motivé pris à la majorité des voix. Elle donne un avis motivé au ministre des Transports.

Dans cet avis elle indique également les cas où le port d’un appareil spécial ou l’aménagement spécial du véhicule s’impose et se prononce sur le mode d’aménagement du véhicule.

La commission se prononce sur les inaptitudes ou incapacités permanentes ou temporaires d’ordre physique ou psychomental des personnes visées à l’alinéa qui précède en se basant sur le résultat de son examen médical ainsi que sur les rapports d’expertise fournis par des médecins-experts spécialement chargés ou sur des certificats médicaux versés par les personnes examinées.

Les frais d’expertise sont à charge des personnes intéressées.

Le ministre des Transports prend sa décision sur le vu de l’avis de la commission médicale ».

Il découle encore de l’arrêté ministériel du 3 mai 1994 portant sur l’organisation de la commission médicale et la nomination de ses membres, membre-secrétaire et experts, que, d’après son article 6, certains experts, dont notamment un expert en matière d’examens de conduire, sont adjoints à la commission médicale afin de l’assister lorsque l’accomplissement de sa mission l’exige. En outre, Monsieur J.-P. G., qui avait procédé au test pratique de Madame … le 16 septembre 2005, fut nommé expert de la commission médicale suivant arrêté ministériel du 13 mai 2002.

Il s’ensuit que la commission médicale est appelée à émettre son avis sur les infirmités ou troubles d’une personne susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacité de conduire après avoir procédé à son examen médical. Or, en présence d’une personne dont la capacité de contrôler un véhicule et de gérer certaines situations de la circulation routière est mise en cause, cet examen peut valablement inclure un test pratique de conduite d’un véhicule pour vérifier si les indices de troubles résultant d’autres éléments du dossier et de l’audition personnelle de la personne concernée entravent effectivement sa capacité de conduire. En l’espèce, ce test pratique a été en outre effectué par un expert adjoint de manière permanente à ladite commission au vœu de l’arrêté ministériel prévisé du 3 mai 1994. Par voie de conséquence, l’exécution de ce test en soi ne saurait être considérée comme un acte illégal.

En ce qui concerne les modalités du test épinglées par la demanderesse, tenant notamment à son caractère unilatéral pour être fondé sur les seules déclarations de l’examinateur sans la présence de témoins, force est de constater qu’aucune disposition légale ou réglementaire n’impose la présence de tiers lors d’une telle mesure et ne confère une valeur ou force probante particulières à l’appréciation de l’expert sur la capacité de conduire de la personne concernée, de manière que le rapport de ce dernier constitue pour le ministre seulement un élément d’appréciation auquel il pourra librement accorder le poids qu’il voudra. Il s’ensuit que l’exécution du test pratique avec la demanderesse le 16 septembre 2005 ne pêche par aucune illégalité.

Concernant la contestation de la demanderesse relative à l’existence dans son chef d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacité de conduire, force est de constater que le résultat du test pratique susvisé est loin de constituer le seul élément en ce sens, alors même que son résultat est univoque en ce qu’aucun point ne reste à la demanderesse après le retranchement des points pour les différentes fautes commises lors du test. En effet, la commission médicale a retenu lors de la comparution de la demanderesse le 3 août 2005 qu’elle présentait un comportement bizarre et marqué d’une désorientation apparente et elle s’est demandée si la demanderesse présentait des troubles de la concentration. En outre, le rapport du commissariat de Grevenmacher de la police grand-

ducale du 1er mai 2005 fait état d’un délit de fuite commis par la demanderesse après avoir causé un dégât à un autre véhicule et les auteurs dudit rapport font état de leur soupçon que la demanderesse « scheint geistig verwirrt zu sein ». De même, le rapport du 16 août 2005 du centre d’intervention de Mersch de la police grand-ducale relate, parmi d’autres éléments, un témoignage d’une conduite dangereuse de la demanderesse à Colmar-Berg, ayant notamment comporté l’usage de la voie de circulation gauche et partant la mise en danger d’autres usagers de la route, et le constat des agents de difficultés pour la demanderesse d’exécuter certaines manœuvres avec sa voiture.

Eu égard à l’ensemble de ces éléments concordants, le ministre a valablement pu estimer que l’existence d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver les aptitudes ou capacité de conduire de la demanderesse se trouvait établie à suffisance de droit et estimer que les conditions pour un retrait du permis de conduire sur base de l’article 2 paragraphe 1er, n° 4) de la loi prévisée du 14 février 1955 se trouvaient remplies en l’espèce. Ce moyen de la demanderesse laisse dès lors d’être fondé.

La demanderesse reproche ensuite au ministre d’avoir négligé sa situation personnelle au motif qu’elle serait titulaire d’un permis de conduire depuis plusieurs décennies sans avoir été condamnée pour une quelconque infraction au Code de la route et qu’elle habiterait un village isolé, de manière à avoir besoin de sa voiture pour l’ensemble de ses déplacements.

Il échet de rappeler que la mission du juge de la légalité exclut le contrôle des considérations d’opportunité, notamment d’ordre politique, à la base d’un acte administratif attaqué, mais inclut la vérification, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, de ce que les faits et considérations sur lesquels s’est fondée l’administration, sont matériellement établis, à l’exclusion de tout doute et se trouvent dans un rapport de proportion adéquat, exempt de toute erreur manifeste d’appréciation (Cour adm. 28 septembre 2006, n° 21168C du rôle, non encore publié).

Il convient de rappeler que la condition légale de l’absence d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver les aptitudes ou capacité de conduire d’une personne sont posées dans le but de la protection de l’intégrité physique du conducteur même et des autres usagers de la route, ainsi que de la sécurité de la circulation routière et ces finalités doivent l’emporter pour permettre la prise d’une décision de retrait du permis de conduire nonobstant les incidences d’une telle décision sur la vie professionnelle ou privée de la personne concernée, sauf l’hypothèse de conséquences pour la personne visée dont la gravité imprimerait un caractère disproportionné à la décision.

En l’espèce, en présence des éléments ci-avant visés, le ministre a valablement pu estimer que les incidences sur la vie privée de la demanderesse, en ce qu’elle se trouve privée du moyen de transport le plus commode pour ses déplacements en dehors de son village, ne sont pas d’une gravité suffisante pour l’empêcher de prendre la mesure de retrait litigieuse, laquelle se trouve pleinement justifiée par la nécessité de protéger la demanderesse elle-même et les autres usagers de la route contre les dangers engendrés par la conduite d’un véhicule par la demanderesse. Ce moyen de la demanderesse est partant également à rejeter.

Il se dégage de l’ensemble des développements qui précèdent que le recours sous analyse n’est justifié en aucun de ses moyens et doit partant être rejeté comme non fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation, reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. SCHOCKWEILER, premier vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, Mme GILLARDIN, juge, et lu à l’audience publique du 9 novembre 2006 par le premier vice-président en présence de M. SCHMIT, greffier.

s. SCHMIT S. SCHOCKWEILER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9.11.2006 Le Greffier en chef du Tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 21402
Date de la décision : 09/11/2006

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2006-11-09;21402 ?

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