La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/11/2006 | LUXEMBOURG | N°21354

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 novembre 2006, 21354


Numéro 21354 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 mai 2006 Audience publique du 9 novembre 2006 Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 21354 du rôle, déposée le 2 mai 2006 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, i

nscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à Onicha...

Numéro 21354 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 mai 2006 Audience publique du 9 novembre 2006 Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 21354 du rôle, déposée le 2 mai 2006 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à Onicha Ugbo (Delta State/Nigeria), de nationalité nigériane, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 3 avril 2006 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 juin 2006 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 27 juin 2006 par Maître François MOYSE pour compte de Madame … ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Audrey BERTELOTTI, en remplacement de Maître François MOYSE, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline GUILLOU-JACQUES en leurs plaidoiries respectives.

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Le 24 mai 2004, Madame …, préqualifiée, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Madame … fut entendue par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur son identité.

Elle fut entendue en date du 8 novembre 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministre », l’informa par décision du 3 avril 2006, notifiée par courrier recommandé du 4 avril 2006, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire de la même date et le rapport d’audition de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration du 8 novembre 2004.

Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous auriez quitté le Nigeria le 22 mai 2004 à bord d’un avion, accompagnée d’un passeur. Vous auriez atterri le 23 mai 2004 à Bruxelles. Puis vous auriez pris le train jusqu’au Luxembourg. Le dépôt de votre demande d’asile date du 24 mai 2004. Vous ne présentez aucune pièce d’identité.

Il résulte de vos déclarations que vous appartiendriez à l’ethnie des Igbo mais que depuis votre enfance, vous seriez humiliée et discriminée à cause de votre appartenance (…) à la caste des Osu, lesquels seraient, selon vos dires, des descendants d’esclaves. Votre ami et père de votre enfant vous aurait abandonnée lorsqu’il aurait appris votre appartenance à cette caste. Après le décès de votre père en 1996, vous auriez travaillé dans un restaurant appartenant à une certaine Theresa. En 2000, son restaurant aurait brûlé et les gens vous auraient accusée d’en être la cause parce que vous porteriez malheur. Puis, vous auriez trouvé un autre travail et vous y auriez rencontré Joseph, votre futur mari. Son père se serait opposé au mariage parce que vous seriez Osu. Vous vous seriez mariés malgré son consentement [sic]. Une semaine plus tard, votre beau-père se serait rendu chez votre mère et vous aurait menacée. Vous seriez allée au commissariat de police pour porter plainte, mais les policiers n’auraient rien entrepris parce qu’il s’agirait d’un problème familial.

Quant à votre frère, il serait devenu fou après votre mariage. Vous dites que votre beau-père lui aurait jeté un sort. Votre mari risquerait également d’être sacrifié parce qu’il serait aussi considéré comme Osu, suite à votre mariage. Votre époux vous aurait alors conseillé de partir, lui-même aurait décidé d’habiter chez un ami. Vers le début du mois de mai, votre belle-sœur vous aurait menacée de mort sur votre lieu de travail. Par crainte, vous auriez vécu cachée dans la remise du restaurant. Theresa vous aurait alors donné 15.000 Nairas (environ € 100) et un de ces amis, un certain Oncle Dan, vous aurait fourni un passeport pour que vous puissiez quitter votre pays. Finalement le 22 mai 2004, vous auriez quitté le Nigeria à bord d’un avion à destination de Bruxelles.

Enfin, vous admettez n’avoir subi aucune persécution ni mauvais traitement, et ne pas être membre d’un parti politique.

Vous dites craindre la famille de votre époux et qu’ils vous tuent.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Force est de constater que votre demande ne correspond à aucun critère de fond défini par la Convention de Genève et que vous ne faites pas état de persécutions ou de craintes de persécutions dans votre pays d’origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos opinions politiques. Il convient de soulever d’abord que vous précisez d’appartenir à la caste des Osu, qui selon vos dires seraient la caste des esclaves, ce qui est faux. La caste des esclaves s’appelait Ohu, tandis que les Osu étaient des reprouvés. Par ailleurs, le système de caste Osu trouve son origine dans la croyance traditionnelle selon laquelle certaines personnes seraient plus proches des dieux. A ce titre, on considérait que les Osu devraient être traités comme des êtres particuliers et investis de certains privilèges. Toutefois, cette croyance ancestrale et les pratiques qui y étaient liées, comme par exemple l’interdiction d’un Osu de se marier avec une personne non-Osu, sont tombées en désuétude. Les Osu au Nigeria ne font pas l’objet de discrimination et, que même si des préjugés persistent à leur encontre, on ne saurait parler de politique étatique discriminatoire.

De toute façon, même à supposer les faits que vous alléguez établis, ils ne sauraient, en eux-mêmes, constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’ils ne peuvent, à eux seuls, fonder une crainte justifiée d’être persécuté dans votre pays d’origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève. Le fait que votre beau-père voudrait vous tuer parce que vous appartiendriez à la caste des Osu et, que vous auriez malgré tout épousé son fils, ne saurait être considéré comme acte de persécution au sens de la Convention de Genève. Votre beau-père et la famille de celui-ci ne sauraient par ailleurs être considérés comme agents de persécution au sens de la prédite Convention. Par ailleurs semble-t-il invraisemblable que votre beau-père soit à votre recherche, comme vous déclarez que ce dernier vivait à Maiduguri/Borno State. A savoir que la distance entre Lagos/Lagos State et Maiduguri/Borno State est approximativement de 100 km.

De plus, même à supposer votre appartenance au groupe des Osu, la simple appartenance à ce groupe ne saurait suffire à elle seule pour se voir accorder le bénéfice du statut de réfugié politique. Il convient également de relever que vous faites partie de l’ethnie Igbo et que les Osu n’ont aucun signe distinctif qui les associe à un sous-groupe.

Enfin, vous n’apportez en l’espèce aucune raison valable justifiant une impossibilité de vous installer dans une autre région de votre pays d’origine, pour ainsi profiter d’une fuite interne. En effet, dans l’Etat du Delta, environ 40% d’Osu y vivent sans y rencontrer de problèmes.

Ainsi, vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est par conséquent pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par requête déposée le 2 mai 2006, Madame … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre de cette décision ministérielle du 3 avril 2006.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.

La demanderesse reproche tout d’abord à la décision critiquée le non-respect de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 concernant la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes et de l’article 11 de la loi prévisée du 3 avril 1996 en ce qu’elle ne comporterait pas une motivation suffisante au sens de ces deux dispositions, mais énoncerait des formules stéréotypées semblables à de nombreuses autres décisions en la matière.

La demanderesse est cependant malvenue à soulever ce moyen, étant donné qu’il se dégage du libellé ci-avant repris de la décision ministérielle du 3 avril 2006 qu’elle reprend exhaustivement les éléments de persécution mis en avant par la demanderesse et qu’elle les analyse par rapport aux critères de la Convention de Genève pour arriver à la conclusion que lesdits éléments ne peuvent être qualifiés de crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Quant au fond de sa demande d’asile, la demanderesse expose qu’elle ferait partie de l’ethnie des Igbo et plus particulièrement de la caste des Osu qui seraient, d’après la croyance traditionnelle, un peuple sacrifié aux dieux dans la communauté Igbo en ce sens que les personnes issues de cette caste seraient supposées aider le haut prêtre de la religion traditionnelle à servir les dieux et qu’en tant que « propriété des dieux », elles feraient l’objet de sacrifices humains. Elle ajoute qu’autrefois devenir Osu aurait été considéré comme une punition, que le statut d’Osu serait transmis par hérédité ou par mariage, qu’actuellement cette caste, dont les membres seraient considérés comme êtres inférieurs, ferait l’objet d’une segrégation et de discriminations, de manière notamment que ses membres pourraient seulement se marier entre eux.

Elle fait valoir que sa vie n’aurait été « qu’une succession d’humiliations et de discriminations à son égard de la part des membres de son village », qu’elle aurait dû quitter l’école très tôt pour avoir été exclue et rejetée par ses camarades et instituteurs, qu’elle aurait eu un enfant issu d’une union avec un homme qui l’aurait cependant abandonnée après avoir découvert son appartenance à la caste des Osu et qu’elle se serait ensuite mariée avec un homme contre l’avis et les menaces du père de son futur mari. Elle ajoute qu’en raison des problèmes engendrés par son mariage, elle-même et son mari auraient dû fuir séparément, que le père de son mari aurait déclaré qu’il offrirait son propre fils en sacrifice aux dieux s’il l’attrappait et que tous ses proches ayant assisté à son mariage, dont notamment son frère, seraient ensuite devenus fous pour avoir été « ensorcelés » par le père de son époux.

La demanderesse considère qu’en raison de son appartenance à la caste des Osu et des faits à la base de sa demande d’asile, elle ferait valoir une crainte justifiée de subir des persécutions en cas de retour au Nigeria et que ses plaintes n’auraient servi à rien alors que la police refuserait d’intervenir dans ce genre de conflits. Elle conteste également l’existence d’une possibilité de fuite interne en faisant valoir que les membres de la caste des Osu seraient mal traités dans tout le Nigeria.

Le représentant étatique soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par la demanderesse lors de l’audition du 8 novembre 2004, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, même en admettant la réalité des persécutions avancées par la demanderesse, il convient de relever que la ségrégation des membres de la caste des Osu existe essentiellement au sein de l’ethnie des Igbo et qu’elle est encore pratiquée essentiellement dans les régions rurales occupées par cette ethnie. En outre, force est également de constater que les risques allégués par la demanderesse se limitent essentiellement à sa région d’origine et qu’elle n’a pas, au-delà de la crainte exprimée à l’égard du père de son mari, concrètement établi l’impossibilité pour elle de s’installer dans une autre partie du Nigeria, d’autant plus qu’elle a déclaré que la caste des Osu n’existerait pas au nord du Nigeria, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf.

trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2005, v° Etrangers, n° 62 et autres références y citées).

Il résulte des développements qui précèdent que la demanderesse reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. SCHOCKWEILER, premier vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, Mme GILLARDIN, juge, et lu à l’audience publique du 9 novembre 2006 par le premier vice-président en présence de M. SCHMIT, greffier.

s. SCHMIT S. SCHOCKWEILER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9.11.2006 Le Greffier en chef du Tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 21354
Date de la décision : 09/11/2006

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2006-11-09;21354 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award