Tribunal administratif N° 21523 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 juin 2006 Audience publique du 26 octobre 2006
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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié
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JUGEMENT
Vu la requête, inscrite sous le numéro 21523 du rôle et déposée le 14 juin 2006 au greffe du tribunal administratif par Maître Arnaud RANZENBERGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Monrovia (Liberia), de nationalité libérienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 31 mars 2006 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 12 mai 2006, prise sur recours gracieux ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 août 2006 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Frank WIES, en remplacement de Maître Arnaud RANZENBERGER, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.
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Le 12 décembre 2003, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Il fut entendu en date du 5 février 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.
Par décision du 31 mars 2006, notifiée par lettre recommandée du 3 avril 2006, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration informa Monsieur … que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :
« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 15 décembre 2003 et le rapport d’audition du Ministère de la Justice du 5 février 2004.
Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous auriez quitté le Liberia le 13 novembre 2003 par bateau pour vous rendre dans un endroit inconnu. Ensuite on vous aurait payé un ticket de train pour aller à Luxembourg. Vous n’auriez rien payé pour le voyage. Vous ne présentez aucune pièce d’identité.
Il résulte de vos déclarations que 9 ans auparavant des rebelles, dont vous ne connaissez pas le nom seraient venus chez vous et auraient kidnappé votre sœur jumelle.
Votre mère en aurait fait une crise cardiaque et serait décédée. Vous vous seriez battu pour défendre votre sœur, vous auriez ainsi blessé quelques rebelles, mais en vain. Vous vous seriez retrouvé seul et auriez mendié pour survivre. Un jour, vous seriez monté à bord d’un bateau avec l’aide d’un ami à destination de l’Europe.
Vous déclarez avoir quitté votre pays d’origine pour survivre sans plus d’explications. Finalement plus loin vous précisez que vous risquez d’être tué par les rebelles en cas de retour là-bas. Vous dites que s’ils vous voyaient, ils vous tueraient.
Enfin, vous n’êtes membre d’aucun parti politique.
Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.
En premier lieu, notons que vous ne connaissez que peu de choses sur votre pays d’origine. Vous ne savez notamment pas la date du jour national, ni la signification du LURD ou des MODEL, ni le nom des rebelles qui auraient kidnappé votre sœur.
Par ailleurs, concernant l’incident qui se serait produit avec les rebelles, votre crainte de les rencontrer à nouveau ou de les recroiser est totalement dénuée de fondement alors que non seulement vous avez ensuite vécu 9 années au Libéria sans avoir eu de problèmes avec eux, mais de plus la situation du pays a depuis largement évolué. En effet, depuis que la guerre civile est terminée en août 2003 le Libéria connaît une évolution telle en matière de sécurité que l’UNHCR fait la promotion du retour des libériens dans leur pays d’origine. Déjà 200 000 réfugiés sont retournés chez eux depuis la fuite de Charles Taylor.
Il est à ajouter que Ellen Johnson Sirleaf a remporté les élections d’octobre 2005, elle fait également appel aux retours des ressortissants libériens afin de participer à la reconstruction du pays.
Il convient en outre de souligner que les faits remontant à 9 années en arrière sont trop éloignés dans le temps pour être pris en considération, surtout qu’ils doivent être considérés comme isolés étant donné que durant toute la période qui a suivi vous n’avez plus rencontré de problème de la sorte.
De plus, il est à déduire de vos déclarations que des motivations économiques sous-
tendent votre demande d’asile. En l’occurrence vous faites état de vos difficultés à survivre, or de tels motifs ne sauraient fonder une demande en obtention du statut de réfugié.
Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.
Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».
Par lettre du 3 mai 2006, Monsieur … formula, par le biais de son mandataire, un recours gracieux auprès du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration à l’encontre de la décision ministérielle précitée.
Suivant décision du 12 mai 2006, envoyée par lettre recommandée le même jour, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision initiale, « à défaut d’éléments pertinents nouveaux ».
Par requête déposée le 14 juin 2006, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation contre les décisions ministérielles de refus prévisées des 31 mars et 12 mai 2006.
Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.
Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.
A l’appui de son recours, le demandeur expose qu’environ 9 ans avant son départ du Liberia, des rebelles auraient attaqué le village où il habitait, qu’ils auraient enlevé sa sœur jumelle et que suite à cette attaque, sa mère serait décédée d’une crise cardiaque, de sorte qu’il se serait retrouvé seul et qu’il aurait dû mendier pour survivre. N’ayant plus eu aucune perspective dans son pays d’origine, il se serait résigné à quitter le Liberia, pays qui serait loin d’être « pacifié » et dans lequel « la situation en matière de droit de l’homme reste tout à fait précaire ».
En substance, il reproche à l’autorité ministérielle d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.
Le représentant étatique estime pour sa part que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2005, V° Recours en réformation, n° 13).
L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 5 février 2004, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte-rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
Force est de constater que le demandeur exprime des craintes essentiellement vagues, non circonstanciées et purement hypothétiques qui ne sont plus de nature à fonder à l’heure actuelle une crainte justifiée de persécution dans son chef, faute notamment par le demandeur d’avoir rapporté en cause un quelconque élément tangible permettant de conclure à la persistance d’un risque individualisé de persécution à son égard dans le contexte politique actuel dans son pays d’origine, l’attaque de son village par des rebelles étant trop éloignée dans le temps pour pouvoir être prise en considération.
S’y ajoute que la situation politique a positivement évolué au Liberia depuis le départ du demandeur d’asile. Ainsi, le changement politique, amorcé par la signature en août 2003 d’un accord entre le gouvernement libérien, les forces rebelles, les partis politiques et des représentants de la société civile et par l’instauration en date du 14 octobre 2003 d’un gouvernement de transition auquel s’est ajouté la mise en place d’une force internationale (UNMIL) par la résolution n° 1509 du Conseil de Sécurité des Nations Unies du 19 septembre 2003 avec la mission notamment d’assurer la sécurité intérieure du pays et de soutenir la démobilisation et le désarmement des forces rebelles, a abouti à des élections parlementaires et présidentielles en octobre et novembre 2005 lesquelles ont porté une femme à la présidence du Liberia. S’y ajoute que l’UNHCR a pris en février 2006 officiellement position en faveur d’une politique de promotion active du retour des réfugiés libériens dans leur pays d’origine en retenant que dans l’ensemble, les conditions sont réunies pour un retour des réfugiés dans la sécurité et la dignité.
Face à cette évolution positive de la situation générale au Liberia et en l’absence d’éléments suffisants de nature à étayer un risque concret de recrudescence générale des violences, les craintes exprimées par le demandeur ne sont pas de nature à fonder à l’heure actuelle une crainte justifiée de persécution.
Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays d’origine, de manière que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, premier vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 26 octobre 2006 par le premier vice-président, en présence de M. Legille, greffier.
s. Legille s. Schockweiler 5