Tribunal administratif Numéro 21869 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 août 2006 Audience publique du 25 octobre 2006 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 21869 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 août 2006 par Maître Valérie DEMEURE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Vukovije (Bosnie-
Herzégovine), de nationalité bosniaque, demeurant à L-…, tendant, d’une part, à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 10 août 2006 lui refusant une protection internationale et, d’autre part, à l’annulation d’une décision du même ministre, datée du même jour et portant l’ordre de quitter le territoire luxembourgeois ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er septembre 2006 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Frank WIES, en remplacement de Maître Valérie DEMEURE, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.
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Le 26 juillet 2006, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en obtention du statut de protection internationale au sens de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après désignée par « la loi relative au droit d’asile ».
Il fut entendu en date du 9 août 2006 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 10 août 2006, notifiée par courrier recommandé du lendemain, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration informa Monsieur … que sa demande avait été rejetée comme étant non fondée, décision libellée comme suit :
« J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration en date du 26 juillet 2006.
En vertu des dispositions de l’article 20 § 1 de la loi précitée du 5 mai 2006, je vous informe qu’il est statué sur le bien-fondé de votre demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée parce qu’il apparaît que vous tombez sous un des cas prévus au paragraphe (1), à savoir :
a) « le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; » b) « il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; » En mains le rapport de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration du 9 août 2006.
Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté votre pays le 24 juillet 2006 pour vous rendre en camionnette au Luxembourg. Vous ne pouvez pas donner d’autres indications quant au trajet emprunté. Le dépôt de votre demande de protection internationale date du 26 juillet 2006.
Il résulte de vos déclarations transcrites dans le rapport de l’entretien du 9 août 2006 que les raisons pour lesquelles vous auriez quitté votre pays d’origine seraient exclusivement d’ordre économique et médical. Vous dites ne pas avoir de moyens suffisants pour vous faire soigner et reprochez à l’Etat de la Bosnie-Herzégovine un manque de soutien et de reconnaissance dans vos mérites de combattant durant la guerre. Vous évoquez également qu’un groupe de musulmans appelés mujahadins, essaierait d’attirer la population dans sa secte. Vous ne faites pas état de persécutions ou de problèmes personnels.
Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique.
En tout état de cause, les faits exposés ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’ils ne peuvent, à eux seuls, fonder dans votre chef une crainte justifiée d’être persécuté dans votre pays d’origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006. En effet, votre demande de protection internationale n’est basée que sur des motifs d’ordre économique et médical ne répondant à aucun des critères de fond définis par lesdites Convention et loi. A cela s’ajoute que votre crainte – qui s’apparente davantage à une irritation – à l’encontre des mujahadins n’est pas non plus de nature à constituer un acte de persécution au sens de la Convention et loi précitées, d’autant plus que les membres de ce groupe ne sauraient être considérés comme agents de persécution.
Je constate ainsi que vous n’alléguez aucun fait susceptible de fonder raisonnablement une crainte de persécution en raison d’opinions politiques, de race, de religion, de nationalité ou d’appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays.
Les conditions permettant l’octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.
En outre, vous n’invoquez pas non plus des motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 de la loi précitée du 5 mai 2006. En effet, selon le même raisonnement que celui appliqué à l’évaluation de votre demande d’asile, des raisons économiques et médicales ainsi que votre crainte à l’encontre d’une secte ne justifient pas la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire parce qu’ils n’établissent pas que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l’objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Votre demande en obtention d’une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 20 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection.
La présente décision vaut ordre de quitter le territoire.
La décision de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée n’est susceptible d’aucun recours. Néanmoins, la décision de rejet de votre demande de protection internationale est susceptible d’un recours en réformation devant le Tribunal administratif. Ce recours doit être introduit par requête signée d’un avocat à la Cour dans un délai de quinze jours à partir de la notification de la présente.
Un recours en annulation devant le Tribunal administratif peut être introduit contre l’ordre de quitter le territoire, simultanément et dans les mêmes délais que le recours contre la décision de rejet de votre demande de protection internationale. Tout recours séparé sera entaché d’irrecevabilité.
Je vous informe par ailleurs que la décision du Tribunal administratif ne sera susceptible d’aucun appel, et que le recours gracieux n’interrompt pas les délais de la procédure. » Monsieur … a fait déposer le 25 août 2006 un recours tendant à la réformation de la décision du 10 août 2006 par laquelle il s’est vu refuser la reconnaissance d’un statut de protection internationale et un recours tendant à l’annulation de la décision du même jour, incluse dans le même document, portant à son encontre l’ordre de quitter le territoire luxembourgeois.
1.Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 10 août 2006 portant refus d’une protection internationale.
Etant donné que l’article 20 (4) de la loi relative au droit d’asile prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, une demande en réformation a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de ce recours, le demandeur apporte tout d’abord des explications quant à la situation politique régnant dans son pays d’origine et plus particulièrement quant aux tensions existant entre les différents groupes ethniques. En ce qui concerne sa situation personnelle, il fait exposer qu’il serait au chômage et qu’il verrait « tous les jours sa famille vivre dans la misère », la seule alternative qui lui serait proposée serait « d’être payé pour intégrer le mouvement des mujahadins », dont la pression serait constante. Il se sentirait partant persécuté, de sorte qu’il serait parti chercher refuge au Luxembourg.
En substance, il reproche au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration d’avoir fait une appréciation erronée des faits se trouvant à la base de sa décision, de sorte à lui avoir refusé à tort la reconnaissance d’un statut de protection internationale. Ainsi, il soutient qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il risquerait à l’heure actuelle d’y être persécuté par les autorités de ce pays.
Le délégué du gouvernement soutient que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.
Aux termes de l’article 20 (1) de la loi relative au droit d’asile, « le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants : a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; b) il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale », tandis qu’aux termes de l’article 2 a), la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
Enfin, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 c) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays (…) ».
Il s’ensuit qu’aux termes de la loi relative au droit d’asile, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale par voie de procédure accélérée notamment lorsqu’il est manifeste (« apparaît clairement ») que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons de nature à justifier dans son chef une crainte justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de ses opinions politiques, de sa nationalité ou de son appartenance à un certain groupe social dans son pays de provenance.
En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale dans le cadre de son audition, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure qu’il n’a manifestement pas établi, ni même allégué, des raisons personnelles suffisamment précises de nature à établir dans son chef l’existence d’une crainte justifiée de persécutions dans son pays de provenance au sens de la loi.
En effet, lors de son audition, telle que celle-ci a été relatée dans le compte rendu figurant au dossier, le demandeur a indiqué en substance qu’il avait quitté la Bosnie-Herzégovine pour des raisons économiques, en raison de son état de santé, en soulignant qu’il ne disposerait pas des moyens financiers appropriés pour se faire soigner dans son pays d’origine et en raison d’un sentiment général d’insécurité à l’égard des moudjahidin qui lui auraient proposé de l’argent afin de le faire adhérer à leur mouvement.
Il s’ensuit que les raisons ayant poussé le demandeur à se réfugier au Luxembourg sont essentiellement à rechercher dans sa situation matérielle et son état de santé.
Or, des considérations d’ordre matériel et économique, tel qu’en l’espèce, l’espoir de jouir de meilleures conditions de vie pour soi-même, ainsi que des raisons d’ordre médical, bien que humainement compréhensibles, ne constituent cependant pas un motif d’obtention du statut de protection internationale.
Par ailleurs, le seul sentiment d’insécurité éprouvé par le demandeur ne suffit pas pour qu’il puisse prétendre au statut de protection internationale.
C’est partant à juste titre que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a décidé de soumettre le demandeur sur base de l’article 20 de la loi relative au droit d’asile à la procédure accélérée et qu’il a, aux termes de l’analyse de sa situation, déclaré sa demande en obtention de la protection internationale sous analyse comme étant non fondée.
Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours en réformation formé par le demandeur à l’encontre du refus de reconnaître dans son chef un statut de protection internationale est à rejeter comme n’étant pas fondé.
2. Quant au recours tendant à l’annulation de la décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 10 août 2006 portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20 (4) de la loi relative au droit d’asile prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée du 10 août 2006 a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise. Le recours en annulation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Aux termes de l’article 20 (2) de la loi relative au droit d’asile, une décision négative du ministre prise dans le cadre de la procédure accélérée vaut ordre de quitter le territoire en conformité des dispositions de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère.
Force est au tribunal de constater que le demandeur se contente à ce sujet de solliciter l’annulation de cet ordre au vu de ce qu’il serait « gravement malade et qu’il ne peut pas être soigné dans son pays », sans toutefois apporter un quelconque élément de preuve de nature à établir son état de santé.
Il se dégage partant des considérations qui précèdent qu’en l’état actuel du dossier et compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire dans la mesure où le demandeur reste en défaut d’établir que son état de santé s’oppose à une mesure d’éloignement à prendre à son encontre.
Partant, le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 10 août 2006 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 10 août 2006 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
M. Schockweiler, premier vice-président M. Schroeder, premier juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 25 octobre 2006 par le premier vice-président, en présence de M. Legille, greffier.
Legille Schockweiler 6