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25/10/2006 | LUXEMBOURG | N°21683

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 octobre 2006, 21683


Tribunal administratif N° 21683 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 juillet 2006 Audience publique du 25 octobre 2006 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 21683 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 juillet 2006 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de lâ€

™Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Nigéria), de nationalité nigé...

Tribunal administratif N° 21683 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 juillet 2006 Audience publique du 25 octobre 2006 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 21683 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 juillet 2006 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Nigéria), de nationalité nigériane, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration intervenue le 25 avril 2006, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre prise le 14 juin 2006 suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 31 août 2006 ;

Vu le mémoire en réplique déposé par Maître Nicky STOFFEL au greffe du tribunal administratif au nom et pour le compte du demandeur le 31 août 2006 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport à l’audience publique du 23 octobre 2006, en présence de Maître Caroline LECUIT, en remplacement de Maître Nicky STOFFEL, ainsi que de Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline JACQUES, qui se sont rapportées aux écrits respectifs de leurs parties.

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Le 28 juillet 2004, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé « la Convention de Genève ».

Le 18 octobre 2004, il fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 25 avril 2006, notifiée par lettre recommandée expédiée le 27 avril 2006, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa de ce que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 28 juillet 2004 et le rapport d’audition de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration du 18 octobre 2004.

Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 28 juillet 2004 que vous auriez quitté le Nigeria par voie maritime. Vous ignorez où vous auriez accosté. Par la suite, une voiture vous aurait emmené au Luxembourg. Le dépôt de votre demande d’asile date du 28 juillet 2004. Vous ne présentez aucune pièce d’identité. Dans le cadre de votre mariage vous présentez un passeport nigérian émis le 14 janvier 2004 à votre nom.

Il résulte de vos déclarations qu’après la mort de votre père en février 2004 vous auriez déménagé chez votre ami … à Apapa. Vers cette même période vous auriez rejoint le parti politique PDP avec … parce que vous y seriez payés pour coller des affiches. Le 11 avril 2004 un membre du PDP vous aurait appelé ainsi que deux autres jeunes garçons, dont …. Ce membre vous aurait demandé de commettre des meurtres pour le compte du PDP. Vous auriez refusé et choqué, vous auriez quitté la réunion avec …. Vous auriez pris peur. Deux jours plus tard, alors que vous auriez été absent de votre domicile, un voisin vous aurait reporté que des membres du PDP seraient venus chercher …. De peur d’être tué étant donné que vous auriez refusé de commettre des crimes pour le PDP, vous auriez décidé de quitter le Nigeria. Vous auriez quitté Lagos fin avril 2004.

Enfin, vous ne faites pas état de persécutions ou d’autres problèmes.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il y a tout d’abord lieu de constater qu’un rapport d’expertise fait le 20 décembre 2005 par le Service de contrôle à l’aéroport-Service documents de voyage a révélé que le passeport numéro A1460561 émis le 14 janvier 2004 au nom de … est un faux ! Selon l’article 6 2a) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, « une demande d’asile peur être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle repose clairement sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile. Tel est le cas notamment lorsque le demandeur a fondé sa demande sur une fausse identité ou sur des documents faux ou falsifiés, dont il a affirmé l’authenticité lorsqu’il a été interrogé à leur sujet ». Je vous informe qu’une demande d’asile qui peut être déclarée manifestement infondée peut, a fortiori, être déclarée non fondée pour les mêmes motifs.

A cela s’ajoute que votre demande ne correspond à aucun critère de fond défini par la Convention de Genève et que vous ne faites pas état de persécutions au Nigeria du fait de votre race, votre religion, votre nationalité, votre appartenance à un groupe social ou de vos opinions politiques. En effet, vous auriez peur d’être tué parce que vous auriez été mis au courant de pratiques du PDP lors de ce rassemblement du 11 avril 2004. Or, des simples craintes purement hypothétiques basées sur aucun fait réel ou probable ne sauraient constituer des motifs visés par la Convention de Genève. Vos motifs traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la prédite Convention.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé par Monsieur … suivant lettre de son mandataire du 24 mai 2006 à l’encontre de la décision ministérielle précitée, le ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration confirma sa décision initiale de refus le 14 juin 2006.

Le 18 juillet 2006, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation sinon en annulation contre la décision ministérielle de refus précitée.

Le délégué du Gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours subsidiaire en annulation au motif que seul un recours au fond est prévu par la loi en la matière.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, une demande en réformation a pu valablement être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Le recours en annulation, formulé à titre subsidiaire, est dès lors irrecevable.

Quant au fond, le demandeur se réfère à la situation générale instable existant dans son pays d’origine, pour soutenir que sa sécurité n’y serait pas garantie et qu’il devrait ainsi bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève.

Il soutient plus particulièrement qu’il aurait été mandaté par son parti politique de commettre des meurtres, ce qu’il aurait refusé de faire. Son refus aurait entrainé que les membres de son parti l’auraient recherché et, craignant pour sa vie, il aurait préféré quitter son pays.

En ce qui concerne l’utilisation d’une fausse identité, il fait valoir qu’il se serait méfié des autorités et qu’il craignait les collaborateurs de son parti politique.

Il reproche dès lors en substance au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la réalité et la gravité des motifs de crainte de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du Gouvernement estime que le ministre a valablement motivé ses décisions et qu’il a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours. Il relève en particulier que Monsieur … se serait présenté sous une fausse identité et qu’il aurait fait usage d’un passeport falsifié. A cela s’ajouterait qu’il serait répertorié en Belgique pour séjour illégal et pour faux en écriture et qu’il y serait connu sous une autre identité, à savoir celle de… , né le … .

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Il échet de rappeler que le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demande d'asile, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d'asile, tout en prenant en considération la situation générale existant dans son pays d’origine. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

Il s’y ajoute qu’un demandeur d’asile est tenu de s’acquitter des obligations importantes imposées par les dispositions régissant les procédures d’asile sous peine de se voir reprocher un recours abusif aux procédures en matière d’asile et de voir ainsi considérer sa demande comme étant manifestement infondée par application de l’article 6, 2) a du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 précitée.

Or, il est constant que le demandeur a fondé sa demande sur une fausse identité et qu’il a eu recours à des documents faux ou falsifiés, notamment en vue de légaliser un mariage, de sorte à tomber sous les dispositions de l’article 6, 2) a dans le cadre de la procédure d’asile. C’est encore à juste titre que le ministre a relevé que le fait, par ailleurs ni contesté ni autrement commenté en cause par le demandeur, de s’être rendu en cours d’instruction de sa demande d’asile par les autorités luxembourgeoises, sinon antérieurement à l’introduction de sa demande d’asile, à Bruxelles, où il s’est présenté et où il est connu sous une autre identité, à savoir celle de … , né le …, muni d’une pièce d’identité nigériane falsifiée, s’analyse en une omission flagrante de s’acquitter d’obligations importantes imposées par les dispositions régissant les procédures d’asile caractérisant un recours abusif aux procédures en matière d’asile au sens de l’article 6 du règlement grand-ducal précité du 22 avril 1996.

En l’absence de toute explication satisfaisante relative au fait ainsi explicitement reproché au demandeur par le ministre, celui-ci a valablement pu considérer la demande d’asile de Monsieur … comme étant non fondée, étant entendu qu’une demande d’asile qualifiable, d’après les dispositions légales et réglementaires applicables de manifestement infondée, peut a fortiori également être rejetée comme étant non fondée.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours en réformation sous examen laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 25 octobre 2006 par:

Mme Lenert, vice-président, Mme Lamesch, premier juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 21683
Date de la décision : 25/10/2006

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2006-10-25;21683 ?

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