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18/10/2006 | LUXEMBOURG | N°21489

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 octobre 2006, 21489


Tribunal administratif N° 21489 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 juin 2006 Audience publique du 18 octobre 2006

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 21489 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 juin 2006 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avoca

ts à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Monrovia (Liberia), de nationalité libérienne, demeurant...

Tribunal administratif N° 21489 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 juin 2006 Audience publique du 18 octobre 2006

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 21489 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 juin 2006 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Monrovia (Liberia), de nationalité libérienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 31 mars 2006, ayant rejeté sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 3 mai 2006 prise sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 juillet 2006 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 8 août 2006 par Maître Nicky STOFFEL pour compte du demandeur ;

Vu la constitution de nouvel avocat déposée en date du 18 septembre 2006 au greffe du tribunal administratif par Maître Philippe STROESSER ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en sa plaidoirie.

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En date du 5 novembre 2003, Monsieur … introduisit auprès du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Monsieur … fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut encore entendu en date du 21 avril 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 31 mars 2006, notifiée en date du 21 avril 2006, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration informa Monsieur … que sa demande d’asile avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 7 novembre 2003 et le rapport d’audition de l’agent du ministère de la Justice du 21 avril 2004.

Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que [vous] n’apportez aucun document, aucune preuve afin d’établir votre identité et votre nationalité. De plus, vous expliquez ne pas savoir comment être arrivé en Europe.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté Monrovia à l’âge de 2 ans pour aller vivre au Nigéria avec votre mère et votre frère. Le mari de votre mère, votre beau-père vous aurait battu. Vous auriez toujours réclamé d’aller à l’école mais il vous aurait à chaque fois battu en guise de refus. Ayant marre de vos conditions de vie, un jour vous auriez décidé avec votre grand frère de quitter le Nigéria et de retourner au Libéria. Arrivé là-bas vous n’auriez plus retrouvé votre ancienne maison étant donné que tout aurait été détruit. Au matin de la première nuit passée au Libéria, vous auriez découvert à votre réveil que votre frère était mort, sans pourtant savoir ce qu’il lui aurait été arrivé. Totalement bouleversé, vous auriez traversé la rue en pleurant et vous vous seriez fait heurter par une voiture. Le chauffeur aurait souhaité vous conduire à l’hôpital mais vous auriez refusé. Il vous aurait aidé, tout d’abord il vous aurait logé dans un hôtel durant 2 semaines puis vous aurait fait monter à bord d’un bateau. A partir d’un endroit inconnu vous auriez pris le train jusqu’à Luxembourg.

Vous expliquez avoir quitté le Nigéria en raison des maltraitances de votre beau-père, et avoir quitté le Libéria car vous n’auriez plus personne là-bas. Vous exprimez également le désir d’être scolarisé au Luxembourg.

Enfin, vous n’êtes membre d’aucun parti politique.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

2 Par contre, selon l’article 9, alinéa 1 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile. » Force est de constater que le fait de quitter son pays d’origine, en l’espèce le Libéria, en raison de la solitude et du souhait d’aller à l’école ne saurait fonder une demande en obtention du statut de réfugié car de tels motifs ne rentrent pas dans le cadre de la Convention de Genève.

Je vous informe qu’une demande d’asile qui peut être déclarée manifestement infondée peut, a fortiori, être déclarée non fondée pour les mêmes motifs.

A cela s’ajoute que plusieurs contradictions sont à relever dans vos déclarations. En effet, à votre arrivée vous déclarez être né le 2 novembre 1986, or en audition vous indiquez le 12 novembre 1976 et ajoutez ne plus vous souvenir de votre date de naissance. Par ailleurs, vous précisez dans la fiche de données personnelles remplie à votre arrivée avoir quitté votre pays d’origine le 15 octobre 2003, alors que lors de l’audition vous parlez de novembre 2003. Enfin, votre frère selon vos propos d’un côté aurait été âgé de 24 ans, mais d’un autre côté vous lui donnez 30 ans.

Il s’ensuit des prédites remarques que vos déclarations sont sujettes à caution.

Enfin, vous ne vous êtes pas rendu au Ministère de la Famille conformément à une convocation par lettre recommandée afin de subir un examen physique médical prévu en date du 16 janvier 2004 dans le but d’évaluer votre âge probable, un tel comportement doit être qualifié de refus de collaboration manifeste.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le 18 avril 2006, Monsieur … formula, par le biais de son mandataire, un recours gracieux auprès du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 31 mars 2006.

Suivant décision du 3 mai 2006, envoyée le jour suivant par lettre recommandée, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision initiale, « à défaut d’éléments pertinents nouveaux ».

3Par requête déposée le 6 juin 2006, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre des décisions ministérielles de refus initiale prévisée du 31 mars 2006 et confirmative du 3 mai 2006.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que seule une demande en réformation a pu être introduite contre les décisions ministérielles litigieuses. Le recours en annulation, introduit en ordre subsidiaire, est dès lors irrecevable.

Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur expose qu’alors qu’il était âgé de 2 ans, il aurait quitté son pays d’origine, le Liberia, pour aller s’installer au Nigeria. Il relate qu’après 14 ans passés au Nigeria, il aurait décidé ensemble avec son frère aîné de retourner vivre au Liberia pour échapper aux maltraitances de leur beau-père. Il précise qu’il aurait retrouvé son frère mort après une nuit passée dans un petit village au Liberia et que pris de panique, il aurait été renversé par une voiture. Il fait valoir qu’il n’aurait plus de famille au Liberia ni au Nigeria. Il signale que malgré la signature d’un accord de paix, l’insécurité persisterait au Liberia et que ce pays ne pourrait pas encore à l’heure actuelle être considéré comme un pays sûr. Il estime enfin que sa sécurité ne pourrait pas non plus être garantie au Nigeria, d’une part, en raison de son beau-père et, d’autre part, en raison de l’insécurité générale régnant au Nigeria où les autorités ne respecteraient pas les droits de l’homme.

Le représentant étatique soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Le demandeur réplique que les contradictions et invraisemblances se dégageant de son récit seraient dues au stress de l’audition et à son dépaysement. Il fait encore valoir que contrairement à l’affirmation du délégué du gouvernement, la situation générale régnant au Liberia serait toujours inquiétante, que la situation économique serait désastreuse et que la corruption serait très répandue. Dans ces conditions, sa sécurité ne serait pas garantie au Liberia.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces 4produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions et force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal.

Ainsi, même abstraction faite des incohérences et invraisemblances contenues dans le récit du demandeur, il échet de relever que par rapport à sa situation au Nigeria où il affirme avoir vécu la majeure partie de sa vie, le demandeur ne fait état, au-delà d’un sentiment général d’insécurité insuffisant pour lui reconnaître le statut de réfugié, que de problèmes d’ordre familial, et plus précisément de maltraitances dont il aurait été victime de la part de son beau-père. Or, de tels faits relèvent de problèmes d’ordre privé qui ne tombent pas sous le champ d’application de la Convention de Genève, dans la mesure où ils ne paraissent pas empreints du moindre arrière-fond politique, religieux, ethnique ou racial, et ne sauraient partant justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans le chef du demandeur.

Quant aux craintes de persécution mises en avant par le demandeur par rapport à la situation au Liberia, pays dont il se prétend originaire, force est de constater que le demandeur ne fait pas état d’une crainte de persécution ou d’un risque de persécution correspondant aux critères de la Convention de Genève, le simple fait de s’y retrouver sans famille ne pouvant être considéré comme tombant dans le champ d’application de la Convention de Genève.

Cette conclusion n’est pas ébranlée par l’argumentation du demandeur tenant à la situation générale régnant au Liberia. En effet, le changement politique, amorcé par la signature en août 2003 d’un accord entre le gouvernement libérien, les forces rebelles, les partis politiques et des représentants de la société civile et par l’instauration en date du 14 octobre 2003 d’un gouvernement de transition auquel s’est ajouté la mise en place d’une force internationale (UNMIL) par la résolution n° 1509 du Conseil de Sécurité des Nations Unies du 19 septembre 2003 avec la mission notamment d’assurer la sécurité intérieure du pays et de soutenir la démobilisation et le désarmement des forces rebelles, a abouti à des élections parlementaires et présidentielles en octobre et novembre 2005 ayant porté une femme à la présidence du Liberia. L’UNHCR a, en février 2006, pris officiellement position en faveur d’une politique de promotion active du retour des réfugiés libériens dans leur pays d’origine en retenant que dans l’ensemble, les conditions sont réunies pour un retour des réfugiés dans la sécurité et la dignité. Face à cette évolution somme toute positive de la situation générale au Liberia et en l’absence d’éléments suffisants de nature à étayer un risque concret de recrudescence générale des violences, les craintes exprimées par le demandeur ne sont pas de nature à fonder à l’heure actuelle une crainte justifiée de persécution, étant relevé que le demandeur n’a fourni aucun élément permettant d’admettre que sa situation diffère de celle de ses compatriotes. S’y ajoute qu’il n’a passé que quelques jours dans son pays d’origine avant de le quitter à nouveau.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la 5reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, premier vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 18 octobre 2006 par le premier vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 21489
Date de la décision : 18/10/2006

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2006-10-18;21489 ?

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