GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 21236C du rôle Inscrit le 10 avril 2006
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Audience publique du 17 octobre 2006 Recours formé par la société à responsabilité limitée …, … contre une décision de l’administration communale d’Ell en matière de marchés publics - Appel -
(jugement entrepris du 13 mars 2006, n° 20028 du rôle)
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Vu l’acte d’appel déposé au greffe de la Cour administrative le 10 avril 2006 par Maître Eyal Grumberg, avocat à la Cour, au nom de la société à responsabilité limitée …, établie et ayant son siège social à L-…, représentée par son gérant actuellement en fonctions, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro … contre un jugement rendu en matière de marchés publics par le tribunal administratif à la date du 13 mars 2006 (jgt. n° 20028 du rôle) à la requête de l’actuelle appelante, tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision de l’administration communale d’Ell du 3 mai 2005, portant refus de retenir son offre présentée dans le cadre d’une soumission publique pour l’installation d’un ascenseur dans le nouveau complexe scolaire d’Ell ;
Vu la signification dudit acte d’appel par exploit d’huissier Alex Mertzig en date du 18 avril 2006 à l’administration communale d’Ell;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 15 mai 2006 par Maître Jean-Luc Gonner, avocat à la Cour, pour compte de l’administration communale d’Ell ainsi que sa notification par télécopie à Maître Eyal Grumberg le 10 mai 2006 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 7 juin 2006 par Maître Eyal Grumberg, au nom de la société … s. à r.l. ainsi que sa notification par télécopie à Maître Jean-Luc Gonner à la même date.
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 3 juillet 2006 par Maître Jean-Luc Gonner, avocat à la Cour, pour compte de l’administration communale d’Ell ainsi que sa notification par télécopie à Maître Eyal Grumberg le 28 juin 2006 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris.
Ouï le vice-président en son rapport, Maître Delphine Mayer, en remplacement de Maître Eyal Grumberg et Maître Lexie Breuskin, en remplacement de Maître Jean-Luc Gonner, en leurs observations orales à l’audience publique du 19 septembre 2006.
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Par requête inscrite sous le numéro 20028 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 juin 2005 par Maître Eyal Grumberg, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, la société à responsabilité limitée …, établie et ayant son siège social à L-…, …, représentée par son gérant actuellement en fonctions, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro … a demandé l’annulation, sinon à la réformation d’une décision de l’administration communale d’Ell du 3 mai 2005, portant refus de retenir son offre présentée dans le cadre d’une soumission publique pour l’installation d’un ascenseur dans le nouveau complexe scolaire d’Ell.
Le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties en date du 13 mars 2006, a déclaré le recours en annulation non justifié et en a débouté.
Maître Eyal Grumberg, avocat à la Cour, a déposé une requête d’appel au greffe de la Cour administrative en date du 10 avril 2006 dans laquelle la société à responsabilité limitée …demande la réformation du premier jugement.
L’appelante fait valoir que le fait pour l’administration communale d’être revenue intégralement sur le bénéfice qu’elle lui avait accordé par l’adjudication du marché litigieux s’analyserait en une méconnaissance de ses droits légalement acquis et constituerait une attitude caractérisant à elle seule un excès de pouvoir, devant emporter l’annulation de l’acte déféré. Par ce même changement brusque et imprévisible dans la gestion de ses dossiers, l’administration aurait encore méconnu le principe de confiance légitime et se serait écartée des impératifs de loyauté s’imposant de manière générale vis-à-vis des administrés.
La société appelante soutient encore que ce serait à tort que le premiers juges n’auraient pas accueilli ses moyens relatifs à une disproportion entre le motif invoqué, en l’occurrence le souci du respect de l’article 57 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 portant exécution de la loi du 30 juin 2003 sur les marchés publics et la mesure prise par l’administration communale d’Ell.
Maître Jean-Luc Gonner, avocat à la Cour, a déposé un mémoire en réponse en date du 15 mai 2006 dans lequel il souligne que c'est à bon droit que les premiers juges - en partant du principe que le courrier attaqué du 03 mai 2004 aurait créé, respectivement reconnu des droits à la société … S. à.r.l. et que ces droits auraient été retirés par la décision du 03 mai 2005, actuellement querellée - ont pour de justes motifs constaté que l'administration communale d’Ell était en droit de procéder à ce retrait, alors qu'il y a eu violation flagrante des dispositions claires, non équivoques et d'ordre public de l'article 57 du règlement grand-ducal du 07 juillet 2003 par la société … s. à r.l. dans le cadre de l'établissement de son dossier de soumission.
Il ne s'agirait pas de vérifier si oui ou non les principes du caractère raisonnable et de la proportionnalité d'une décision ont été appliqués, alors que les juges administratifs ne pourraient analyser la question de l'annulabilité de la décision d'adjudication.
2 Par ailleurs, la jurisprudence des juridictions administratives serait bien fixée en ce sens que dans le cadre d'un recours en annulation, l'appréciation du caractère proportionnel de la mesure prise par rapport aux faits établis « est limitée au cas exceptionnel où une flagrante disproportion des moyens laisse entrevoir un usage excessif du pouvoir par cette autorité et qu'elle ne saurait avoir pour but de priver l'autorité, qui doit assumer la responsabilité politique de la décision, de son pouvoir d'appréciation sur la nature et la gravité de la mesure qu'il lui incombe de prendre, si celle-ci est par ailleurs légale et n'est pas sujette à un recours en réformation » (CA, 08/10/2002, 14845C).
La partie intimée interjette appel incident, alors que les premiers juges, malgré demande formelle incluse dans le mémoire en réponse du 29 novembre 2005, n'auraient pas statué sur le chef de la demande de voir condamner la société … à une indemnité de procédure sollicitée pour la première instance de 2.000 euros et elle formule une demande d’indemnité de procédure de 2.000 euros pour la procédure d’appel.
Maître Eyal Grumberg a déposé un mémoire en réplique en date du 7 juin 2006 dans lequel il prend position par rapport aux arguments développés par la partie intimée tout en contestant le bien-fondé des demandes tendant à l’obtention d’ indemnités de procédure.
La partie appelante formule à son tour une demande d’indemnité de procédure de 2.000 euros.
Maître Jean-Luc Gonner, avocat à la Cour, a déposé le 3 juillet 2006 un mémoire en duplique dans lequel il approfondit ses arguments antérieurement développés.
La Cour se réfère aux jugements des 14 mars 2005 et 13 mars 2006, les juges de première instance ayant détaillé une description pertinente des faits à la base du litige actuellement soumis.
La Cour adopte encore l’argumentation contenue dans le jugement du 14 mars 2005 pour arriver à la conclusion que le courrier du 3 mai 2004 émanant de l’administration communale d’Ell d’adjuger le marché en question à la société … constitue une décision administrative ayant créé des droits dans le chef de cette même société.
Il est également constant en cause que la décision de l’administration communale d’Ell du 16 juin 2004 a eu pour effet de revenir sur la décision prise en date du 3 mai 2004 portant adjudication du marché public à la société …, décision ayant créé des droits dans son chef.
L’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes dont l’applicabilité a été retenue par les premiers juges, par ailleurs non autrement contestée par la partie appelante, prévoit ce qui suit :
« Sauf s’il y a péril en la demeure, l’autorité qui se propose de révoquer ou de modifier pour l’avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie, ou qui se propose de prendre une décision en dehors d’une initiative de la partie concernée, doit informer de son intention la partie concernée en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l’amènent à agir ».
Etant donné qu’il est constant que la société … n’a pas été préalablement informée sous forme de communication des éléments de fait et de droit qui ont amené la commune à agir, force est à la Cour de confirmer le tribunal en ce qu’il a constaté que ledit article n’a pas été respecté, 3 de sorte que c’est à bon droit que la décision litigieuse a été déclarée comme étant entachée d’illégalité et qu’elle a été annulée.
Les premiers juges ont retenu à la page 6 du jugement du 13 mars 2006 que « la condition du délai pour procéder au retrait de la décision d’adjudication du 3 mai 2004 n’étant pas autrement litigieuse en l’espèce, il y a partant lieu d’examiner si la cause invoquée pour procéder à ce retrait aurait justifié l’annulation contentieuse de la décision. » La Cour tient à relever que l’appelante … ne formule aucune critique ou argument destiné à contester le délai dans lequel il a été procédé au retrait de la décision d’adjudication en faisant valoir que la décision déférée de retrait du marché public litigieux devrait encourir l’annulation du chef d’excès de pouvoir, de méconnaissance des droits acquis, de violation par la commune d’Ell du principe de confiance légitime, d’absence de proportionnalité, ainsi que de violation de la loi.
La Cour estime dans ce contexte que les premiers juges ont, dans un examen complet et minutieux de tous les éléments recueillis, apprécié ces derniers à leur juste valeur et en ont tiré des conclusions juridiques exactes.
En effet, le retrait d’une décision administrative, en dehors des cas où la loi en dispose autrement, est en principe possible sous condition de s’inscrire dans les prévisions de l’article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes qui dispose comme suit :
« En dehors des cas où la loi en dispose autrement, le retrait rétroactif d’une décision ayant créé ou reconnu des droits n’est possible que pendant le délai imparti pour exercer contre cette décision un recours contentieux, ainsi que pendant le cours de la procédure contentieuse engagée contre cette décision.
Le retrait d’une telle décision ne peut intervenir que pour une des causes qui auraient justifié l’annulation contentieuse de la décision ».
Il s’ensuit que les moyens de la société … repris en instance d’appel en ce qu’ils sont fondés sur une violation alléguée du principe de confiance légitime, ainsi que sur un excès allégué de pouvoir, basés sur le seul fait que l’administration communale d’Ell a retiré une décision administrative valablement émise à son profit laissent d’être fondés, faute de reposer sur une quelconque violation alléguée des dispositions de l’article 8 prérelaté.
Conformément aux dispositions de l’article 57 du règlement grand-ducal précité du 7 juillet 2003, « toutes les positions du bordereau doivent être remplies, elles ne peuvent être ni barrées, ni contenir le terme « néant », ni le chiffre zéro (0,-), à moins que le cahier spécial des charges n’en dispose autrement et sans préjudice des dispositions des articles 25 à 29 concernant les variantes et les solutions techniques alternatives. » La Cour constate au vu des pièces du dossier que contrairement aux prescriptions dudit article 57, la position 1.9 du dossier de soumission de la société … relative au forfait pour la réalisation des percements comporte la mention « zéro euro », de sorte qu’à défaut pour la partie appelante de faire état d’une quelconque disposition du cahier spécial des charges en rapport le cas échéant avec la possibilité de variantes ou de solutions techniques alternatives justifiant en l’espèce l’omission de prévoir un prix pour la position concernée du bordereau, le fait même de la violation par la société … des dispositions dudit article 57 est établi à 4 suffisance, étant entendu que le législateur, en disposant que toutes les positions du bordereau doivent être remplies, ne réserve aucune latitude d’interprétation quant à l’obligation s’en dégageant dans le chef des offrants.
Il reste dès lors à examiner, comme l’ont par ailleurs fait à bon droit les premiers juges, si la violation dudit article 57 a été de nature à justifier l’annulation de la décision d’adjudication.
En retenant que toutes les positions du bordereau doivent être remplies tout en posant l’interdiction corrélative de barrer une position ou d’y apposer le terme « néant », le pouvoir réglementaire a nécessairement voulu imposer aux offrants l’obligation d’indiquer un prix pour chaque position.
L’obligation d’indiquer un prix pour toutes les positions du bordereau de soumission repose sur la prémisse que seule une offre détaillée, s’inscrivant dans un schéma déterminé, identique pour tous les soumissionnaires, permet d’assurer un maximum de comparabilité entre les différentes offres et de garantir ainsi l’égalité de traitement des différents soumissionnaires dans un souci d’attribution objective du marché concerné, de sorte que cette obligation s’analyse en un élément essentiel de la procédure de soumission.
Il s’y ajoute que dans le cadre d’un recours contentieux, le contrôle de légalité à effectuer par le juge administratif, comme retenu à juste titre par le tribunal, comporte la vérification de la conformité d’une décision à la loi, mais n’habilite pas à juger la loi elle-même, sauf l’hypothèse d’une contrariété alléguée à une norme hiérarchique supérieure, sous peine de mettre en échec la volonté du législateur, plutôt que d’agir en tant que garant du respect de la loi par l’administration.
Au vu de la violation des dispositions de l’article 57 du règlement grand-ducal précité du 7 juillet 2003 par la société … dans le cadre de l’établissement de son dossier de soumission, son argumentation basée sur le caractère disproportionné de la décision litigieuse en ce qu’elle est fondée sur l’hypothèse de l’annulabilité de la décision d’adjudication pour violation de la loi, laisse d’être opérant, étant donné qu’il n’appartiendrait pas au juge de l’annulation de considérer, le cas échéant, une violation vérifiée de la loi comme étant insuffisamment grave pour valoir comme motif d’annulation.
Le jugement du 13 mars 2006 est partant à confirmer.
Les demandes d'allocation d'une indemnité de procédure des parties en litige tant pour la première que pour l’instance d’appel sont à rejeter à défaut de précision en quoi il serait inéquitable de laisser des frais non répétibles à leur charge.
Par ces motifs la Cour, statuant contradictoirement, sur le rapport de son conseiller, reçoit l’acte d’appel du 10 avril 2006 ainsi que l’appel incident, les déclare cependant non fondés, confirme le jugement du 13 mars 2006 dans toute sa teneur, 5 rejette les demandes en obtention d’une indemnité de procédure formulées, condamne la partie appelante aux dépens de l’instance d’appel.
Ainsi délibéré et jugé par Jean Mathias Goerens, vice-président Marc Feyereisen, conseiller, rapporteur Henri Campill, conseiller et lu par le vice-président Jean Mathias Goerens en l’audience publique au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête en présence du greffier de la Cour Anne-Marie Wiltzius.
le greffier le vice-président 6