Tribunal administratif Numéro 21989 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 octobre 2006 Audience publique du 16 octobre 2006 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 21989 du rôle et déposée le 6 octobre 2006 au greffe du tribunal administratif par Maître Claudia THIRION, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Cameroun), de nationalité camerounaise, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 27 juin 2006, notifiée le 25 septembre 2006, ordonnant son placement audit Centre de séjour provisoire pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification dudit arrêté ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 octobre 2006 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 12 octobre 2006 par Maître Claudia THIRION au nom du demandeur ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Claudia THIRION et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 16 octobre 2006.
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A la suite d’une demande d’asile présentée auprès du service compétent du ministère de la Justice le 30 octobre 2003, Monsieur … se vit refuser la délivrance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève par décision ministérielle du 17 janvier 2005. Le recours contentieux formé par Monsieur … contre cette décision de rejet fut définitivement rejeté par un arrêt de la Cour administrative du 27 octobre 2005.
Le 27 juin 2006, le ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration prit à l’encontre de Monsieur … un arrêté de refus d’entrée et de séjour et ordonna le même jour son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois. La décision de placement est fondée sur les considérations et motifs suivants :
« Vu l'article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l'entrée et le séjour des étrangers ;
Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;
Vu mon arrêté de refus d’entrée et de séjour ;
Considérant que l’intéressé est démuni de toute pièce d’identité et de voyage valable ;
- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels légalement acquis ;
- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;
Considérant que l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;
Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l'intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d'éloignement ».
Cet arrêté fut notifié à Monsieur … le 25 septembre 2006 et mis en exécution à partir de cette date.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 6 octobre 2006, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 27 juin 2006.
Sur demande expresse du tribunal, le mandataire du demandeur a confirmé son intention de ne diriger son recours tel que déposé sous le numéro 21989 du rôle que contre la mesure de placement, l’arrêté de refus d’entrée et de séjour ayant fait l’objet d’un recours séparé.
Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.
l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit contre l’arrêté litigieux.
Ledit recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Le recours en annulation introduit en ordre subsidiaire est dès lors irrecevable.
A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu'il est originaire du Cameroun et qu'il est fiancé avec Madame Claire ABOUH, de nationalité française avec laquelle il était sur le point de se marier, toutes les démarches préliminaires en vue d'un mariage ayant déjà été réalisées, lorsque l'arrêté de refus d'entrée et de séjour fut pris et qu'il fut placé au centre de séjour pour étrangers en situation irrégulière. Il fait encore expliquer qu'il a suivi des stages au Grand-Duché depuis qu'il y réside ainsi que des formations professionnelles, de sorte qu'il bénéficie de connaissances lui permettant d'espérer trouver un emploi. Il estime que l'exécution de la décision de refus d'entrée et de séjour ainsi que la mesure de placement prise à son égard, compromet sa réinsertion sociale.
Il estime que les raisons invoquées par le ministre pour lui refuser l'entrée et le séjour ne sont pas vérifiées en fait et que la décision en question est partant illégale. Il disposerait en effet d'un passeport valable, de sorte que le motif tiré de l'absence de toute pièce d'identité et de voyage serait erroné en fait. Il n'aurait par ailleurs pas troublé l'ordre public luxembourgeois. Bien qu'il soit vrai qu'il fasse l'objet d'une poursuite du chef d'escroquerie, la chambre du conseil du tribunal d'arrondissement de Luxembourg aurait ordonné sa mise en liberté. Il disposerait de moyens d'existence suffisants par l'intermédiaire de sa fiancée qui aurait un emploi stable. Par ailleurs, la décision critiquée serait contraire à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme qui protège la vie familiale et à l'article 12 de la Convention européenne des droits de l'homme protégeant le droit de se marier. A ce titre, il expose que la rétention administration, ainsi que son éloignement subséquent empêcheraient la célébration de son mariage et seraient donc contraire au prédit article 12 de la Convention précitée.
Le délégué du gouvernement explique que s'il est vrai que Monsieur … est en possession d'un passeport camerounais, il n'en est pas pour autant en situation régulière, étant donné qu'il ne disposait que d'un visa pour une durée de 30 jours émis le 9 septembre 2003. Il conteste l'existence d'une vie familiale au sens de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. Il souligne en outre que Monsieur … ne dispose pas des moyens d'existence personnels suffisants pour supporter les frais de son séjour au Luxembourg, de sorte que, par application de l'article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1.
l'entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3. l'emploi de la main d'œuvre étrangère, le ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration aurait été en droit de lui refuser l'entrée et le séjour au Luxembourg. Il se prévaut finalement de procès-verbaux établis par la police dont il se dégage que des faits d'escroquerie et de coups et blessures volontaires sont reprochés à Monsieur ….
Dans son mémoire en réponse, le demandeur soulève l’incompétence du ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration pour ordonner une mesure de rétention, étant donné qu’en vertu de l’article 15 (1) de la loi du 28 mars 1972, le ministre de la Justice serait compétent en la matière. Il soutient en outre que la rétention n’aurait pas été ordonnée par le Procureur d’Etat, de sorte qu’il y aurait eu violation de la « procédure protectrice des droits et libertés des étrangers ».
Pour le surplus, il développe plus amplement ses arguments retenus dans sa requête introductive d’instance.
Force est de constater que le demandeur conclut à l’annulation de l’arrêté ministériel litigieux en raison de l’incompétence ratione materiae de l’autorité ayant pris la décision litigieuse, ceci eu égard au fait que d’après l’article 15 (1) de la loi précitée du 28 mars 1972, le ministre de la Justice aurait seul compétence pour prendre une mesure de placement au Centre de séjour provisoire à l’exclusion du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration.
Force est de constater que l’arrêté grand-ducal du 7 août 2004 portant constitution des Ministères, publié au Mémorial A n° 147 en date du 11 août 2004, pris en exécution de l’article 76 de la Constitution et de l’arrêté royal grand-ducal modifié du 9 juillet 1857 portant organisation du gouvernement grand-ducal, attribue compétence au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière d’entrée et de séjour des étrangers.
En effet, l’article 76 de la Constitution autorise le Grand-Duc à régler l’organisation de son Gouvernement. Il résulte de ce texte que le Grand-Duc peut librement créer les ministères et faire la répartition des départements ou des affaires ministérielles entre les ministres (voir Pierre MAJERUS, L’Etat luxembourgeois, éd. 1983, page 162). En matière d’organisation du gouvernement cette disposition constitutionnelle confère au Grand-Duc un pouvoir réglementaire direct et autonome en disposant que le Grand-Duc règle l’organisation de son gouvernement. Ce pouvoir est donc indépendant de la cause d’ouverture fondamentale des règlements qui est l’exécution des lois. L’octroi de ce pouvoir autonome par la Constitution procède de l’idée de la séparation des pouvoirs : l’organe gouvernemental doit être indépendant à l’égard du Parlement; pour cette raison, il doit pouvoir déterminer en pleine indépendance son organisation intérieure. Dans le domaine circonscrit par la notion de l’ « organisation du Gouvernement », le Grand-Duc exerce un pouvoir discrétionnaire et originaire; les règlements fondés sur l’article 76 de la Constitution sont donc, dans leurs domaines, des actes équipollents aux lois (voir Pierre PESCATORE, Introduction à la science du droit, éd. 1978, n° 95, page 152).
Il s’ensuit que le prédit arrêté du 7 août 2004, ayant force de loi, a modifié la législation en matière d’« entrée et de séjour des étrangers » en ce sens que la compétence ministérielle revient au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, de sorte que le moyen tiré de l’incompétence de l’autorité à la base de la décision de placement est à rejeter (trib. adm. 25 août 2004, n° 18582 du rôle, Pas. Adm. 2005, V° lois et règlements, n°60).
Comme la mesure de placement a été prise par le ministre compétent en la matière, l’argument tenant à l’intervention du procureur d’Etat tombe également à faux, étant donné que ce dernier n’a conformément à l’article 15 (1) de la loi précitée du 28 mars 1972 compétence que de manière subsidiaire lorsqu’il n’était pas possible de saisir utilement le ministre.
En ce qui concerne les moyens tirés d’une prétendue violation par la décision incriminée des articles 8 et 12 de la Convention européenne des droits de l’homme, bien qu’étant de nature à revêtir une importance dans le cadre d’un recours exercé, le cas échéant, contre un refus d’entrée et de séjour, ils ne sauraient cependant pas valoir dans le cadre d’un recours visant exclusivement la mesure de placement (trib.adm. 24 février 2005, n° 19307 du rôle, www.ja.etat.lu).
Pour le surplus, force est de constater que les autres moyens développés dans la requête introductive d’instance ont tous trait à l’arrêté de refus d’entrée et de séjour et ne sont dès lors pas pertinents dans le cadre du présent recours dirigé exclusivement contre la mesure de placement.
Force est encore de constater à cet égard que le demandeur était en situation irrégulière au regard de la loi prévisée du 28 mars 1972, étant donné que même s’il dispose d’un passeport, il n’en est pour autant pas autorisé à résider sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, à défaut de posséder un visa l’y autorisant.
Ainsi, c’est à bon droit que le ministre a prononcé une mesure de placement administrative sur base de l’article 15 de ladite loi de 1972, en vue de son éloignement du territoire luxembourgeois, dont l’exécution était impossible en raison de circonstances de fait, de sorte qu’il rentrait et rentre directement dans les prévisions de la définition des « retenus », telle que consacrée à l’article 2 du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière et modifiant le règlement grand-ducal du 24 mars 1989 concernant l’administration et le régime interne de l’établissement pénitentiaire, étant relevé que la mise en place d’un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière repose précisément sur la prémisse qu’au-
delà de toute considération tenant à une dangerosité éventuelle des personnes concernées, celles-ci, eu égard au seul fait de l’irrégularité de leur séjour et de l’imminence de l’exécution d’une mesure d’éloignement dans leur chef, présentent en principe et par essence un risque de se soustraire à la mesure d’éloignement, fût-il minime, justifiant en principe leur rétention dans un centre de séjour spécial afin d’éviter que l’exécution de la mesure prévue ne soit compromise.
Il découle de l’ensemble des développements qui précèdent que le recours sous analyse n’est justifié en aucun de ses moyens et est à rejeter comme n’étant pas fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le dit non justifié et en déboute ;
déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 16 octobre 2006 par :
Mme Lamesch, premier juge, Mme Thomé, juge M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Lamesch 5