Tribunal administratif N° 21420 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 mai 2006 Audience publique du 16 octobre 2006 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 21420 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 mai 2006 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Oguta (Imo State/Nigeria), de nationalité nigériane, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 16 mars 2006 ayant rejeté sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme étant non fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 21 avril 2006 intervenue sur recours gracieux ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 juin 2006;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Caroline LECUIT, en remplacement de Maître Nicky STOFFEL, et Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.
En date du 23 août 2004, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Monsieur … fut entendu en date 18 novembre 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.
Par décision du 16 mars 2006, expédiée par courrier recommandé du 17 mars 2006, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministre », informa Monsieur … que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :
« En mains le rapport d’audition de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration du 18 novembre 2004.
Lors de l’audition vous précisez ne pas connaître vos parents parce qu’ils seraient décédés lorsque vous auriez été enfant. Vous auriez grandi avec votre frère Godwin OKPIN qui aurait travaillé pour une compagnie pétrolière. Vous dites qu’il y aurait eu une crise parce que cette compagnie n’aurait pas donné du pétrole à la ville et beaucoup de gens seraient morts, sans donner plus d’indications. En mars 2004, la tribu des Igbos aurait organisé une réunion durant laquelle ils auraient dit qu’ils iraient tuer toutes les personnes travaillant pour cette compagnie pétrolière. Le 2 avril 2004 votre frère aurait été assassiné parce qu’il aurait refusé d’éliminer les employés de ladite compagnie. Vous ajoutez que vous n’auriez pas pu vous rendre à la police parce que le groupe des Igbos aurait brûlé le commissariat de police à Izombe. Vous indiquez que le gouvernement aurait envoyé un policier pour calmer la situation, celui-ci aurait également été tué par ces mêmes personnes. Le 28 avril 2004 ils auraient brûlé votre maison en votre absence, et par peur vous vous seriez enfui.
Ensuite vous vous seriez rendu à Lagos et la nuit du 10 mai 2004 un ami de votre frère vous aurait fait monter sur un bateau de containers. Vous seriez parti le même jour.
Le voyage aurait duré plus de trois mois et vous auriez été obligé de rester dans une pièce, une personne vous aurait amené à boire et à manger. Vous seriez arrivé dans une ville inconnue, vous précisez toutefois que c’était en Belgique. La personne du bateau vous aurait alors amené en voiture à une gare et on vous aurait donné 25 €. Vous vous seriez procuré un billet pour arriver en train au Luxembourg le 23 août 2004. Votre demande d’asile date du même jour. Vous ne présentez aucune pièce d’identité.
Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.
A défaut de pièces, un demandeur d’asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Or, il convient de relever les différentes contradictions et invraisemblances de votre récit. En effet, tout d’abord vous déclarez lors de l’audition du 18 novembre 2004 qu’un ami de votre frère vous aurait amené d’Oguta en voiture le 8 mai 2004, pour arriver à Lagos le même jour (page 5). Plus loin, il ressort qu’au contraire vous auriez quitté Oguta le 28 avril 2004, et que vous vous seriez rendu chez un inconnu au village Ogbaku. Afin d’éviter des problèmes, celui-ci vous aurait dit de quitter son domicile le lendemain et donc vous vous seriez rendu à Lagos le 29 avril 2004 (pages 9 et 10). Ensuite, vous dites être arrivé avec le bateau le même jour de votre arrivée au Luxembourg, soit le 23 août 2004 (page 7). Par contre, vous indiquez à un autre moment avoir pris le train pour le Luxembourg le soir du 22 août 2004 (page 8).
Par ailleurs, il est invraisemblable que vous vous soyez marié en 1976, alors vous n’auriez été âgé que de 6 ans ! De plus, vous prétendez lors de l’audition que votre épouse aurait 23 ans, elle serait alors née vers 1977, soit un an après votre mariage ! Enfin, il est également peu probable que vous n’ayez rien dû payer pour votre voyage en Europe.
Ces nombreuses contradictions et incohérences entachent sérieusement la véracité et la crédibilité de vos déclarations.
Quoi qu’il en soit, force est de constater que vous ne faites pas état de persécutions ou de mauvais traitements par le gouvernement nigérian au sens de la Convention de Genève du fait de votre race, votre religion, votre nationalité, votre appartenance à un groupe social ou de vos opinions politiques. En effet, il convient de souligner que votre crainte est hypothétique, il ne ressort pas de vos déclarations que vous ayez été impliqué dans cette affaire de meurtres commandités et il n’est pas du tout établi que vous risquiez de subir le même sort que votre frère alors que vous ne travailliez pas dans une compagnie pétrolière ni n’avez été menacé personnellement. Par ailleurs, le fait que votre maison ait été brûlée ne constitue pas un acte de persécution au sens de la Convention de Genève. De plus, le fait qu’un groupe d’individus ait tué votre frère en raison de son refus de procéder à des meurtres pour leur compte ne correspond à aucun des critères de fond de ladite Convention.
Soulignons en outre que ces individus appartenant à l’ethnie Igbo, ethnie dont vous faites partie, ne sauraient être considérés comme des agents de persécution au sens de la prédite Convention. Il convient également de constater qu’il n’est pas établi que les autorités nigérianes seraient incapables ou bien refuseraient de vous protéger, alors qu’il ne ressort pas de vos déclarations que vous ayez requis leur protection. Même si vous affirmez que le commissariat de police d’Izombe ait été brûlé, rien ne vous empêchait de vous rendre dans un autre commissariat.
Enfin, vous n’apportez en l’espèce aucune raison valable justifiant une impossibilité de vous installer dans une autre région de votre pays d’origine et ainsi de bénéficier d’une fuite interne.
Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.
Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».
Le recours gracieux que Monsieur … a fait introduire par courrier de son mandataire du 13 avril 2006 à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 16 mars 2006 s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 21 avril 2006, il a fait introduire, par requête déposée en date du 22 mai 2006, un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre des deux décisions ministérielles prévisées des 16 mars et 21 avril 2006.
Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi. Le recours subsidiaire en annulation est partant irrecevable.
A l’appui de son recours, le demandeur explique tout d’abord que les erreurs faites lors de son audition concernant la date de son mariage et l’âge de son épouse au moment de leur mariage seraient dues au stress de l’audition et au dépaysement. Il expose ensuite que son frère, qui était sa seule famille, aurait été assassiné par la tribu des Igbo en raison de son refus d’éliminer les employés de la compagnie pétrolière pour laquelle il travaillait. Cette entreprise aurait provoqué une grave crise lorsqu’elle aurait refusé de fournir du pétrole à la ville, causant de nombreuses victimes parmi lesquelles des membres des forces de l’ordre envoyés par le gouvernement pour rétablir l’ordre. Les personnes qui auraient assassiné son frère auraient ensuite brûlé sa maison, ce qui l’aurait incité à quitter le Nigeria. Il soutient qu’il n’aurait pas pu demander de l’aide auprès des autorités locales au motif que celles-ci seraient corrompues et qu’elles violeraient régulièrement et en toute impunité les droits de l’homme.
Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur de sorte qu’il serait à débouter de son recours.
L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels évènements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.
L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
En effet, même en faisant abstraction des contradictions et incohérences relevées par le ministre dans le récit du demandeur, force est de constater que celui-ci fait essentiellement état de sa crainte de subir le même sort que son frère qui aurait été assassiné par des membres de la tribu des Igbo en raison de son refus de tuer les employés d’une compagnie pétrolière. Or, les craintes ainsi mises en avant par le demandeur ne paraissent pas empreintes du moindre arrière-fond politique, religieux, ethnique ou racial et ne sauraient partant justifier la reconnaissance du statut de réfugié.
Pour le surplus, il convient encore de relever que les craintes du demandeur se limitent à sa région d’origine et le demandeur aurait pu trouver refuge dans une autre partie de son pays d’origine, étant donné que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité d’un demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2005, V° Etrangers, n° 62 et autres références y citées).
Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays d’origine, de manière que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, premier vice-président, M. Schroeder, premier juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 16 octobre 2006 par le premier vice-président, en présence de M. Legille, greffier.
s. Legille s. Schockweiler 6