Numéro 21457 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 mai 2006 Audience publique du 4 octobre 2006 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié
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JUGEMENT
Vu la requête, inscrite sous le numéro 21457 du rôle, déposée le 29 mai 2006 au greffe du tribunal administratif par Maître Gilles PLOTTKE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Guntan (Liberia), de nationalité libérienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 28 mars 2006 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 26 avril 2006 prise sur recours gracieux ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 juin 2006 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Brigitte CZOSKE, en remplacement de Maître Gilles PLOTTKE, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-
Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.
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Le 23 août 2004, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
En date du même jour, Monsieur JOHNSON fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Il fut entendu en date du 11 novembre 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.
Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministre », l’informa par décision du 28 mars 2006, notifiée par courrier recommandé du 31 mars 2006, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :
« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 25 août 2004 et le rapport d’audition de l’agent du ministère de la Justice (sic !) du 11 novembre 2004.
Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous auriez quitté le Libéria 3 mois auparavant pour aller en Guinée. Vous y auriez vécu 6 semaines au terme desquelles vous seriez monté à bord d’un bateau grâce à l’aide d’un certain John. Après un mois de traversée, vous seriez arrivé à Anvers. Vous auriez finalement pris un train pour Luxembourg.
Vous n’auriez rien payé pour le voyage. Vous ne présentez aucune pièce d’identité.
Il résulte de vos déclarations que des rebelles, dont vous ne connaissez pas le nom, auraient attaqué votre village et seraient venus chez vous pour vous emmener de force dans les bois. Ils vous auraient chargé de faire des courses alimentaires et d’acheter des cigarettes pour eux. Vous indiquez avoir été battu. Après une semaine auprès d’eux vous auriez décidé de vous enfuir, ainsi lors d’une course, vous vous seriez échappé et vous auriez payé un chauffeur qui vous aurait conduit en Guinée. Vous seriez resté dans ce pays un mois et demi et auriez mendié. Finalement vous seriez monté à bord d’un bateau à destination de l’Europe.
Vous déclarez avoir quitté votre pays d’origine pour échapper aux rebelles. Vous précisez que vous risquez d’être tué par les rebelles en cas de retour là-bas. Vous dites que s’ils vous voyaient, vous pensez qu’ils pourraient peut-être vous reconnaître et vous tuer. Vous ajoutez que la faim et la guerre vous auraient également fait quitter votre pays.
Enfin, vous n’êtes membre d’aucun parti politique.
Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Vos déclarations afférentes aux problèmes rencontrés avec les rebelles en mai 2004 sont peu crédibles étant donné que la guerre civile était déjà terminée depuis août 2003.
Soulignons également que votre crainte qu’ils ne vous tuent en cas de retour est totalement dénuée de fondement alors que la situation au Libéria a depuis largement évolué. En effet, les rebelles ont été désarmés et le Libéria connaît une évolution telle en matière de sécurité que l’UNHCR fait la promotion du retour des libériens dans leur pays d’origine. Déjà 200.000 réfugiés sont retournés chez eux depuis la fuite de Charles Taylor. Il est à ajouter que Ellen Johnson Sirleaf a remporté les élections d’octobre 2005, elle fait également appel aux retours des ressortissants libériens afin de participer à la reconstruction du pays.
Il convient de relever en outre que vos connaissances sur votre pays d’origine s’avèrent être très faibles. Ainsi, des doutes sont à émettre quant à votre réelle nationalité.
De plus, il est à déduire de vos déclarations que des motivations économiques sous-
tendent votre demande d’asile. En l’occurrence vous faites état de votre situation de mendiant durant 6 semaines en Guinée et avancez « la faim » comme motif de départ dans l’audition, respectivement dans la fiche de données personnelles remplie à votre arrivée. Or de tels motifs ne sauraient fonder une demande en obtention du statut de réfugié.
Enfin, force est de constater que vous ne vous êtes pas rendu au Ministère de la Famille conformément à une convocation par lettre recommandée afin de subir un examen physique médical prévu en date du 10 décembre 2004 dans le but d’évaluer votre âge probable, un tel comportement doit être qualifié de refus de collaboration manifeste.
Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.
Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».
Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 20 avril 2006 ayant été rencontré par une décision confirmative du même ministre du 26 avril 2006, Monsieur JOHNSON a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions ministérielles initiale du 28 mars 2006 et confirmative du 26 avril 2006 par requête déposée le 29 mai 2006.
Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours. Le recours en réformation, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de son recours, le demandeur expose être de nationalité libérienne et de confession chrétienne, qu’il aurait vécu avec sa famille dans le village de Guntan, qu’au courant du mois de mai 2004, sa famille aurait été attaquée par des rebelles qui les auraient emmenés de force dans les bois, que pendant une semaine il aurait été détenu et frappé par les rebelles avant de réussir à s’enfuir, d’abord pour la Guinée et ensuite par bateau pour l’Europe.
Le demandeur fait valoir que malgré les proclamations des autorités libériennes en faveur d’un retour des réfugiés au pays, le Liberia ne serait pas encore à l’heure actuelle un pays sûr et que lesdites autorités ne seraient pas encore en mesure d’intervenir efficacement pour garantir le respect des droits de l’homme. Le demandeur estime sur base de ces éléments que le ministre aurait fait une appréciation erronée de sa situation personnelle, de sa description des persécutions subies et du risque de persécutions en cas de retour dans son pays d’origine.
Le représentant étatique soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.
En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 11 novembre 2004, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
En effet, même abstraction faite de la crédibilité du récit de Monsieur JOHNSON, il convient de constater que le demandeur fait en substance état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre par des forces rebelles dans le cadre d’une situation générale non encore stabilisée suite à la guerre civile ayant fait rage au Liberia et qu’il estime que la crainte afférente pourrait être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié au vu de la situation instable et non sécurisée dans son pays d’origine.
Or, depuis le mois de mai 2003, la situation y a fondamentalement changé par la signature en août 2003 d’un accord entre le gouvernement libérien, les forces rebelles, les partis politiques et des représentants de la société civile et par l’instauration en date du 14 octobre 2003 d’un gouvernement de transition. S’y ajoute qu’une force internationale (UNMIL) a été instaurée par la résolution n° 1509 du Conseil de Sécurité des Nations Unies du 19 septembre 2003 avec la mission notamment d’assurer la sécurité intérieure du pays et de soutenir la démobilisation et le désarmement des forces rebelles et que des élections parlementaires et présidentielles ont eu lieu en octobre et novembre 2005, ayant notamment mené à la nomination d’une présidente à la tête du Liberia. S’y ajoute que l’UNHCR a pris en février 2006 officiellement position en faveur d’une politique de promotion active du retour des réfugiés libériens vers leur pays d’origine en constatant que les conditions sont globalement réunies pour un retour des réfugiés dans la sécurité et dans la dignité. La même conclusion générale se dégage par ailleurs d’une prise de position de l’UNHCR sur la nécessité d’une protection des demandeurs d’asile libériens datant du 31 mars 2006.
Face à cette évolution positive de la situation générale au Liberia et en l’absence d’éléments quelconques de nature à étayer un risque concret de recrudescence des violences, les faits mis en avant par le demandeur, tenant essentiellement à des actions de forces rebelles, ne sont plus de nature à fonder à l’heure actuelle une crainte justifiée de persécution.
Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.
PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié, partant en déboute, condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, premier vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 4 octobre 2006 par le premier vice-président en présence de M. Legille, greffier.
s. Legille s. Schockweiler 5