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07/09/2006 | LUXEMBOURG | N°21824

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 septembre 2006, 21824


Tribunal administratif N° 21824 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 août 2006 Audience publique du 7 septembre 2006 Recours formé par Monsieur XXX XXX, XXX contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 21824 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 août 2006 par Maître Valérie DEMEURE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’O

rdre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur XXX XXX, sans état, né le 25 décembre 1983...

Tribunal administratif N° 21824 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 août 2006 Audience publique du 7 septembre 2006 Recours formé par Monsieur XXX XXX, XXX contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 21824 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 août 2006 par Maître Valérie DEMEURE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur XXX XXX, sans état, né le 25 décembre 1983 à XXX (Territoires Palestiniens), de nationalité palestinienne, demeurant actuellement à L-XXX, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration intervenue le 11 avril 2006, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme étant manifestement infondée, ainsi que d’une décision confirmative de refus du même ministre du 10 juillet 2006, prise suite à un recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 août 2006 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport à l’audience publique du 6 septembre 2006, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en ses plaidoiries.

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Le 13 février 2006, Monsieur XXX XXX introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur XXX fut entendu en date du 11 avril 2006 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande.

Par décision datant du même jour, lui notifiée par courrier recommandé expédié le 13 avril 2006, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa de ce que sa demande avait été rejetée comme étant manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, aux motifs suivants :

« J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration en date du 13 février 2006.

En mains le rapport d'audition de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration du 11 avril 2006.

Il résulte de vos déclarations qu'en 2000 ou 2001, votre mère se serait remariée à un certain XXX XXX. Six mois après leur mariage, cet homme aurait commencé à vous maltraiter et battre, et ce de façon régulière. Il vous aurait même cassé l'auriculaire gauche. Ne supportant plus cette situation, vous auriez décidé de quitter la Palestine et venir en Europe. En août 2005, vous seriez allé en Egypte, à Alexandrie. Vous y auriez travaillé dans un restaurant français pendant vingt mois. Vous n'y auriez rencontré aucun problème. Un homme vous aurait alors convaincu de l'accompagner jusqu'en Europe. Vous l'auriez alors suivi en Libye où vous auriez rencontré des passeurs. Vous seriez alors monté à bord d'une embarcation clandestine moyennant la somme de 800 livres libyennes. En arrivant à Lampedusa, des garde-côtes vous auraient arrêté et emmené dans un centre. Ils y auraient pris vos empreintes digitales et votre photo. Vous y seriez resté une semaine avant d'être emmené à Agrigento à bord d'un avion. Ensuite, ils vous auraient remis un titre de transport et vous auriez reçu l'ordre de quitter le territoire italien endéans 15 jours. Vous vous seriez alors rendu à Alcano, Trapani, en Italie et y auriez passé 9 mois en y travaillant les champs agricoles.

Au début de l'année 2006, vous vous seriez rendu à Bruxelles, puis à Namur et plus précisément à Perweh où vous auriez travaillé dans une ferme pendant deux ou trois semaines. Lors d'un contrôle d'identité, vous auriez été arrêté parce que vous auriez été dans l'incapacité de fournir une pièce d'identité. Les policiers auraient alors pris vos empreintes digitales et des photos et vous auraient ordonné de quitter le territoire endéans 5 jours. Vous auriez alors décidé de vous rendre au Luxembourg où vous seriez arrivé le 10 février 2006 à bord d'un bus de la compagnie Eurolines. Vous auriez passé deux nuits dans un foyer. Puis le responsable de ce foyer vous aurait conseillé de déposer une demande d'asile, demande que vous avez introduite le 13 février 2006. Vous ne présentez aucune pièce d'identité.

Vous ajoutez qu'en 1999, lors d'une rafle, vous auriez été arrêté par les autorités israéliennes et vous auriez été emmené dans un centre de torture à Ramallah. Vous y seriez resté enfermé sans nourriture, ni couverture. Deux jours plus tard, vous auriez réussi à vous enfuir. A la suite de cet incident, vous auriez évité de sortir de chez vous.

Vous dites craindre votre beau-père et qu'il ne vous tue. Vous ajoutez qu'en cas de retour en Palestine, il n'est pas exclu que vous ne tuiez votre beau-père.

Enfin, vous admettez n'avoir subi aucune persécution ni mauvais traitement, et ne pas être membre d'un parti politique.

Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d'asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

A cela s'ajoute que selon l'article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile; 2) d'un régime de protection temporaire, « une demande d'asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu'elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d'asile d'être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d'asile ». Par ailleurs, l'article 3 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 précitée, dispose que « une demande d'asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur n'invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande».

Force est de constater que votre demande ne correspond à aucun critère de fond défini par la Convention de Genève et que vous ne faites pas état de persécutions ou de craintes de persécutions dans votre pays d'origine du fait de votre race, votre religion, votre nationalité, votre appartenance à un groupe social ou de vos opinions politiques.

Le fait que votre beau-père vous aurait frappé et maltraité ne saurait être considéré comme acte de persécution au sens de la Convention de Genève de 1951 étant donné qu'il ne rentre pas dans son champ d'application. Votre beau-père ne saurait par ailleurs être considéré comme agent de persécution au sens de la prédite Convention.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme manifestement infondée au sens de l'article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile; 2) d'un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) » Suite à un recours gracieux formulé par le mandataire de Monsieur XXX par lettre du 19 juin 2006 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration prit une décision confirmative le 10 juillet 2006.

Par requête déposée le 11 août 2006, Monsieur XXX a fait introduire un recours tendant, aux termes de son dispositif, principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions ministérielles précitées.

Il fait exposer à l’appui de son recours que le refus de lui accorder le statut de réfugié politique l’obligerait à retourner dans son pays d'origine « qui est à l'heure actuelle en état de guerre et dans le lequel il risque la torture, l'emprisonnement pour désertion si ce n'est pas la mort (sic) ».

Il affirme avoir peur du « gouvernement » et estime pouvoir se faire arrêter à tout moment, sa peur étant basée sur le fait qu'il est « palestinien dans un pays dirigé par les Israéliens », pour en conclure que les éléments d'espèce permettraient de considérer que sa situation subjective et objective serait telle qu'elle entrerait dans le champ d'application des dispositions de l'article 1er, A, (2) de la Convention de Genève et qu'il devrait partant pouvoir en réclamer le bénéfice.

Le délégué du Gouvernement relève que le demandeur n’a fait état au cours de son audition d’aucune persécution, mais qu’il s’est borné à invoquer des motifs personnels, à savoir sa mésentente avec son beau-père.

Il souligne encore que le demandeur a quitté les territoires palestiniens en 2001, qu’il a erré pendant plusieurs années au Moyen-Orient et en Europe sans déposer de demande d’asile dans aucun des pays visités.

Il ressort des éléments du dossier que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration s’est basé sur l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire et sur l’article 3 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996.

L’article 10 (3) de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée prévoit expressément qu’en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi précitée de 1996, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives, de sorte que le tribunal est incompétent pour connaître de la demande principale en réformation des décisions litigieuses.

Le recours en annulation, prévu explicitement par le prédit article 10 (3) de la loi modifiée du 3 avril 1996, est, pour sa part, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande d’asile dans le cadre de son audition, ainsi qu’au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure qu’il n’a manifestement pas établi, ni même allégué, des raisons personnelles de nature à établir dans son chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance.

En effet, lors de son audition, telle que celle-ci a été relatée dans le compte rendu figurant au dossier, le demandeur a affirmé avoir fui la Palestine à cause de son beau-père qui l’aurait torturé (« J’ai dû partir parce que mon beau-père m’a torturé »). Sur question expresse de l’agent ayant procédé à son audition (« Si je comprends bien, vous avez quitté la Palestine parce que votre beau-père vous torturait et vous frappait ? »), le demandeur a encore confirmé avoir fui son pays d’origine pour cette raison, ajoutant par la suite qu’au cas où il devrait retourner en Palestine, soit il tuerait son beau-père, soit celui-ci le tuerait.

Le tribunal est dès lors amené à constater à l’instar du ministre, que les raisons ayant justifié la fuite du demandeur résident essentiellement, voire uniquement, dans sa mésentente avec son beau-père. Il en résulte que le demandeur n’a pas fait l’objet de persécutions spécifiques au sens de la Convention de Genève laissant supposer un danger sérieux pour sa personne, mais que sa fuite, d’abord vers l’Egypte, et ensuite vers la Libye, l’Italie, la Belgique et finalement le Luxembourg, a été motivée par un conflit d’ordre privé avec un membre de sa famille.

Or, aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement ».

En vertu de l’article 3, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ».

C’est partant à juste titre que le ministre a considéré la demande d’asile sous analyse comme étant manifestement infondée pour ne pas tomber sous le champ d’application de la Convention de Genève.

Cette conclusion n’est pas énervée par l’allusion faite par le demandeur au cours de son audition à une rafle de l’armée israélienne dont il aurait été victime en 1999, soit deux ans avant sa fuite de Palestine, cette rafle ayant été sans conséquence aucune pour sa personne, le demandeur affirmant lui-même n’avoir subi ni persécution, ni mauvais traitement de la part des autorités israéliennes, et sa fuite alléguée du centre de détention israélien n’ayant eu aucune répercussion.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours formé par le demandeur est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement, se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 7 septembre 2006 par :

Mme Lenert, vice-président, Mme Gillardin, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. May, greffier en chef à la Cour administrative, greffier assumé.

s. May s. Lenert 6


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 21824
Date de la décision : 07/09/2006

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2006-09-07;21824 ?

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