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16/08/2006 | LUXEMBOURG | N°21814

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 août 2006, 21814


Tribunal administratif Numéro 21814 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 août 2006 Audience publique du 16 août 2006 Recours formé par Monsieur …, alias … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 21814 du rôle et déposée le 9 août 2006 au greffe du tribunal administratif par Maître Sébastien RIMLINGER, avocat à la Cour, inscrit au table

au de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à Sinkor ...

Tribunal administratif Numéro 21814 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 août 2006 Audience publique du 16 août 2006 Recours formé par Monsieur …, alias … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 21814 du rôle et déposée le 9 août 2006 au greffe du tribunal administratif par Maître Sébastien RIMLINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à Sinkor (Liberia) et être de nationalité libérienne, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 12 juillet 2006, ordonnant son placement audit Centre de séjour provisoire pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification dudit arrêté ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 août 2006 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Sébastien RIMLINGER et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 16 août 2006.

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En date du 27 mai 2004, Monsieur …, né le … à Sinkor (Liberia), alias …, né le 10 février 1982 à Port-Harcourt (Nigeria), présenta une demande en reconnaissance du statut de réfugié, laquelle fut rejetée comme n’étant pas fondée par décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministre », du 28 avril 2005, confirmée suite à l’introduction d’un recours contentieux par Monsieur … par jugement du tribunal administratif du 24 octobre 2005, l’appel contre ce jugement ayant été déclaré irrecevable par arrêt de la Cour administrative du 14 mars 2006.

En date du 31 mars 2006, le ministre prit à l’encontre de Monsieur … un arrêté de refus d’entrée et de séjour fondé sur les motifs tirés du défaut d’un titre de voyage valable, du défaut de moyens d’existence personnels, du séjour irrégulier au pays et du danger pour l’ordre et la sécurité publics.

Le même jour, le ministre ordonna également le placement de Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximale d'un mois à partir de la notification de ladite décision dans l'attente de son éloignement du territoire luxembourgeois. Cette dernière mesure fut prorogée une première fois par un arrêté ministériel du 8 mai 2006 et une deuxième fois suivant arrêté ministériel du 8 juin 2006.

Le recours introduit par Monsieur … contre la première décision de placement du 31 mars 2006 fut rejeté par jugement du tribunal administratif du 19 avril 2006.

Par courrier du 10 juillet 2006, le ministre saisit la direction générale de la police grand-ducale d’une demande de faire signaler et de découvrir la résidence actuelle de Monsieur ….

En date du 12 juillet 2006, Monsieur … fit l’objet d’un nouvel arrêté ministériel ordonnant son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision en question.

Cette décision est fondée sur les considérations et motifs suivants :

« Vu l'article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l'entrée et le séjour des étrangers;

Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière;

Vu le procès-verbal no 935 – 2 du 12 juin 2006 établi par la Police grand-ducale ;

Vu mon arrêté de refus d’entrée et de séjour du 31 mars 2006 lui notifié ;

Considérant que l’intéressé est dépourvu du visa requis ;

Considérant que l’intéressé est démuni de toute pièce d’identité et de voyage valable ;

- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels légalement acquis ;

- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

- que l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;

Considérant qu’un laissez-passer a été demandé auprès des autorités nigérianes ;

- qu’en attendant l’émission de ce document de voyage, l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;

Considérant qu'il existe un risque de fuite, alors que l'intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d'éloignement ».

Cet arrêté fut notifié à Monsieur … le 27 juillet 2006 et mis en exécution à partir de la même date.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 9 août 2006, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 12 juillet 2006.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.

l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre l’arrêté litigieux. Ledit recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il vivrait depuis 2004 une « relation amoureuse » avec Mademoiselle …, de nationalité luxembourgeoise, qu’ils vivraient ensemble depuis un an, que sa compagne serait enceinte de 8 mois et qu’il serait le père de l’enfant.

Il soutient que la décision de placement litigieuse violerait l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, garantissant le droit au respect de la vie privée et familiale, au motif qu’elle constituerait une ingérence injustifiée dans leur vie familiale et privée. Il fait valoir dans ce contexte qu’il leur serait difficile de s’installer dans un autre pays dans la mesure où sa compagne s’adonnerait à une activité rémunérée au pays.

Le demandeur estime ensuite que la mesure de placement litigieuse violerait l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en ce qu’elle constituerait un traitement inhumain et dégradant dans la mesure où son éloignement l’empêcherait de connaître et de voir son enfant et qu’elle serait « non proportionnelle, non nécessaire et non justifiable ».

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement fait exposer qu’en mai 2004, le demandeur avait introduit une demande d’asile sous l’identité de …, déclarant être originaire du Liberia, et que cette demande aurait été définitivement rejetée par un arrêt de la Cour administrative du 14 mars 2006. Il précise que le demandeur se serait entre-temps fait connaître comme trafiquant de drogues et qu’il aurait fait l’objet de trois mesures de placement entre avril et juin 2006 sans qu’il n’ait pu être rapatrié. Il se serait alors avéré que le demandeur aurait indiqué une fausse identité et que son véritable nom serait … et qu’il serait originaire du Nigeria. Il ajoute qu’en date du 9 août 2006, l’intéressé aurait été présenté à l’ambassade du Nigeria à Bruxelles, de sorte qu’un laissez-passer devrait être délivré dans un bref délai.

Le représentant étatique conteste ensuite les affirmations du demandeur quant à l’existence d’une vie familiale, d’une future paternité et d’une activité salariée régulière de la prétendue amie du demandeur, à défaut d’avoir versé des pièces à l’appui. Et même à supposer établie une vie familiale, il estime que l’ingérence serait justifiée au regard de l’usage d’une fausse identité par le demandeur dans le cadre de sa demande d’asile et au fait de se livrer à un trafic de drogues et, notamment près des écoles, ainsi que cela résulterait d’un rapport de la police grand-ducale du mois de juin 2006.

Quant au moyen tiré d’une violation de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ledit moyen ne serait pas autrement explicité ni circonstancié, de sorte qu’il serait à rejeter comme non fondé.

Il se dégage de l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972 que, lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 et 12 de la même loi est impossible en raison de circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre compétent, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée d’un mois.

Il en découle qu’une décision de placement au sens de la disposition précitée présuppose une mesure d’expulsion ou de refoulement exécutoire, ainsi que l’impossibilité matérielle d’y procéder dans l’immédiat.

En l’espèce, il est constant en cause qu’à la date de la prise de la décision litigieuse, le demandeur se trouvait en séjour irrégulier au pays. En effet, il se dégage des pièces versées en cause que Monsieur … est un demandeur d’asile débouté qui s’est fait connaître aux autorités luxembourgeoises sous une fausse identité. L’ambassade de la République du Nigeria à Bruxelles a été saisie, le 9 août 2006, en vue de procéder aux vérifications d'usage concernant son identité et de la délivrance d'un laissez-passer en vue du rapatriement du demandeur. Le demandeur a en outre été verbalisé pour infraction à la législation sur les stupéfiants. Les conditions légales pour ordonner une mesure de placement sont dès lors remplies.

Dans ce contexte, le moyen tiré de la violation de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, garantissant une vie familiale, invoqué à l'encontre de la mesure de placement, en raison d’une prétendue séparation de l’unité familiale par le fait de l’éloignement, n'est pas pertinent, étant donné qu'il se rapporte à la justification de la décision de refoulement, sous-jacente à la mesure de placement, non autrement contestée.

En effet, il y a lieu de préciser qu’une décision d’expulsion ou de refoulement à la base de la mesure de placement litigieuse constitue une décision administrative distincte de la mesure de placement du demandeur et sa légalité ne saurait être examinée dans le cadre du présent recours dont l’objet est confiné à l’analyse du bien-fondé de l’arrêté ministériel de placement du 12 juillet 2006, (cf. trib. adm. 8 octobre 2003, n° 17024 du rôle, Pas. adm. 2005, V° Etrangers, n° 332), mais seulement dans le cadre d’un recours introduit contre la mesure d’éloignement sous-jacente à la mesure de placement.

Dès lors, en l’absence de contestations relatives à l’existence même d’une décision d’expulsion ou de refoulement exécutoire prise à l’encontre de l’intéressé, le moyen tiré d’une violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, est à écarter pour manquer de pertinence dans le cadre du présent recours.

Il n’y a pas non plus lieu d’analyser plus loin le moyen du demandeur tiré d’une prétendue violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, étant donné que, comme l’a relevé à bon droit le délégué du gouvernement, le demandeur n’établit pas dans quelle mesure il aurait été soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains et dégradants au sens dudit article 3, de sorte que ledit moyen est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ailleurs, en contactant les autorités nigérianes dès le 8 mai 2006 en vue d'organiser le rapatriement du demandeur au Nigeria, et en relançant les autorités nigérianes le 1er août 2006, soit trois jours après la mise à exécution de la présente décision de placement en vue de la délivrance d’un laissez-passer, et en le présentant à l’ambassade du Nigeria à Bruxelles le 9 août 2006 en vue d’identification et de délivrance d’un laissez-passer, les autorités luxembourgeoises ont fait preuve d'une diligence adéquate dans le but de cantonner la durée de cette mesure de placement dans des limites raisonnables.

Il suit des considérations qui précèdent que la mesure de placement de Monsieur … répond aux exigences de l'article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972, de sorte que le recours laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 16 août 2006 par :

M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Spielmann 5


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 21814
Date de la décision : 16/08/2006

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2006-08-16;21814 ?

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