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02/08/2006 | LUXEMBOURG | N°21725

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 août 2006, 21725


Numéro 21725 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 juillet 2006 Audience publique du 2 août 2006 Recours formé par Monsieur … contre un arrêté du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 21725 du rôle, déposée le 26 juillet 2006 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à la

Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le ...

Numéro 21725 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 juillet 2006 Audience publique du 2 août 2006 Recours formé par Monsieur … contre un arrêté du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 21725 du rôle, déposée le 26 juillet 2006 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité serbo-monténégrine, actuellement placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’un arrêté du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 17 juillet 2006 prononçant à son encontre une mesure de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification dudit arrêté;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 juillet 2006;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 31 juillet 2006 par Maître François MOYSE pour compte de Monsieur …;

Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté critiqué;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Virginie VERDANET, en remplacement de Maître François MOYSE, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-

Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 2 août 2006.

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A la suite d’une demande d’asile présentée auprès du service compétent du ministère de la Justice, Monsieur …, préqualifié, se vit refuser la délivrance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève par décision ministérielle du 20 novembre 2000, confirmée par décision du 20 février 2001 prise sur recours gracieux. Un recours contentieux introduit par Monsieur … contre ces décisions fut définitivement rejeté par un arrêt de la Cour administrative du 20 novembre 2001.

Le 1er décembre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-

après désigné par le « ministre », sollicita auprès du ministère de l’Intérieur de la République du Monténégro l’accord pour la reprise de Monsieur ….

Par courrier du 26 juillet 2005, le ministre informa Monsieur … de ce qu’il a été définitivement débouté de sa demande d’asile et de son obligation de quitter le territoire et l’invita à opter pour un départ volontaire assisté, un départ forcé étant inévitable dans le cas contraire. Alors même que Monsieur … avait signalé à travers un courrier de son mandataire de l’époque du 7 avril 2006 sa disposition à bénéficier d’un retour assisté dans son pays d’origine, il ne donna plus suite à des invitations du ministre pour préparer concrètement son départ.

En date du 20 juin 2006, le ministre saisit la direction générale de la police grand-

ducale d’une demande de faire signaler et de découvrir la résidence actuelle de Monsieur ….

Le 17 juillet 2006, le ministre prit à l’encontre de Monsieur … un arrêté ordonnant son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision en question. Cette décision est fondée sur les motifs suivants :

« Vu l'article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l'entrée et le séjour des étrangers ;

Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;

Considérant que l'intéressé est démuni de toute pièce de voyage valable ;

- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels légalement acquis ;

- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

- que l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;

Considérant qu’un accord de délivrance d’un laissez-passer a été donné par les autorités monténégrines ;

- qu’en attendant l’émission de ce document de voyage, l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d'éloignement ».

En date du 18 juillet 2006, Monsieur … fit l’objet d’un contrôle à son domicile actuel à Surré et fut arrêté en l’absence de documents permettant de l’identifier. Le même jour, l’arrêté de placement précité fut notifié à Monsieur … et mis en exécution à partir de cette date.

Par requête déposée le 26 juillet 2006, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre de l’arrêté de placement du 17 juillet 2006.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.

l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit contre l’arrêté litigieux, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.

Le demandeur soulève d’abord le moyen d’incompétence tiré de ce que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration et non pas le ministre de la Justice, autorité compétente d’après la loi prévisée du 28 mars 1972, aurait pris l’arrêté critiqué.

C’est cependant à juste titre que le délégué du gouvernement se prévaut de l’arrêté grand-ducal du 7 août 2004 portant constitution des Ministères, publié au Mémorial A n° 147 en date du 11 août 2004, pris en exécution de l’article 76 de la Constitution et de l’arrêté royal grand-ducal modifié du 9 juillet 1857 portant organisation du gouvernement grand-

ducal, et attribuant compétence au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière d’octroi du statut de réfugié.

En effet, l’article 76 de la Constitution autorise le Grand-Duc à régler l’organisation de son Gouvernement (…). Il résulte de ce texte que le Grand-Duc peut librement créer les ministères et faire la répartition des départements ou des affaires ministérielles entre les ministres (voir Pierre MAJERUS, L’Etat luxembourgeois, éd. 1983, page 162). En matière d’organisation du gouvernement cette disposition constitutionnelle confère au Grand-Duc un pouvoir réglementaire direct et autonome en disposant que le Grand-Duc règle l’organisation de son gouvernement. Ce pouvoir est donc indépendant de la cause d’ouverture fondamentale des règlements qui est l’exécution des lois. L’octroi de ce pouvoir autonome par la Constitution procède de l’idée de la séparation des pouvoirs : l’organe gouvernemental doit être indépendant à l’égard du Parlement; pour cette raison, il doit pouvoir déterminer en pleine indépendance son organisation intérieure. Dans le domaine circonscrit par la notion de l’« organisation du Gouvernement », le Grand-Duc exerce un pouvoir discrétionnaire et originaire; les règlements fondés sur l’article 76 de la Constitution sont donc, dans leurs domaines, des actes équipollents aux lois (voir Pierre PESCATORE, Introduction à la science du droit, éd. 1978, n° 95, page 152).

Il s’ensuit que le prédit arrêté du 7 août 2004, ayant force de loi, a modifié la législation en matière d’« entrée et de séjour des étrangers » en ce sens que la compétence ministérielle revient au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, de sorte que le moyen tiré de l’incompétence de l’autorité à la base de la décision de placement est à rejeter (cf. trib. adm. 17 novembre 2004, n° 18823 du rôle, Pas. adm. 2005, v° Compétence, n° 9).

Le demandeur soulève ensuite qu’aucune mesure d’expulsion ou de refoulement de nature à justifier une mesure de rétention n’aurait été notifiée, voire prise à son égard, de manière qu’aucune base valable pour une telle mesure privative de liberté n’existerait. Il estime encore que la situation irrégulière d’une personne et le défaut de moyens d’existence légalement acquis ne sauraient être considérés comme circonstances de nature à pouvoir justifier une mesure privative de liberté.

Il se dégage de l’article 15, paragraphe (1) de la loi précitée du 28 mars 1972 que lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 ou 12 de la même loi est impossible en raison des circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre compétent, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée d’un mois. Il en découle qu’une décision de placement au sens de la disposition précitée présuppose une mesure d’expulsion ou de refoulement légalement prise ainsi que l’impossibilité d’exécuter cette mesure.

Il ressort du dossier et des renseignements dont dispose le tribunal que le placement de l’intéressé est basé sur l’impossibilité d’exécuter une mesure de refoulement.

Or, en vertu de l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972, une mesure de refoulement peut être prise « sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal » à l’égard d’étrangers non autorisés à résidence (…) « 2) qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ; 3) auxquels l’entrée dans le pays a été refusée en conformité de l’article 2 [de la loi précitée du 28 mars 1972] ; 4) qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis ».

Aucune disposition législative ou réglementaire ne déterminant la forme d’une décision de refoulement, celle-ci est censée avoir été prise par le ministre compétent à partir du moment où les conditions de forme et de fond justifiant un refoulement, telles que déterminées par l’article 12 de la loi du 28 maris 1972 sont remplies, et où, par la suite, une mesure de placement a été décidée à l’encontre de l’intéressée. En effet, une telle décision de refoulement est nécessairement sous-jacente à la décision de mise à la disposition du gouvernement, à partir du moment où il n’existe pas d’arrêté d’expulsion (trib. adm. 4 mars 1999, n° 11140 du rôle, Pas. adm. 2005, v° Etrangers, n° 347, et autres décisions y citées).

En l’espèce, il ressort des éléments du dossier administratif que le demandeur n’était ni en possession de papiers de légitimation valables, ni de moyens personnels légalement acquis. Il y a lieu d’ajouter que c’est à tort que le demandeur entend justifier l’existence de moyens personnels suffisants par une proposition d’engagement de la part de la personne qui l’entretenait et le logeait, alors qu’il faut que ces revenus soient légalement perçus et soient personnels sans provenir de tierces personnes. Or, il ne ressort d’aucun élément du dossier soumis au tribunal que le demandeur soit en possession d’un permis de travail et il n’est dès lors pas autorisé à occuper un emploi au Grand-Duché de Luxembourg et à toucher des revenus provenant de cet emploi, de sorte qu’il ne saurait être considéré comme disposant de moyens d’existence suffisants pour supporter ses frais de séjour.

Il s’ensuit que les conditions justifiant un refoulement sont remplies en l’espèce et que l’existence d’une mesure implicite de refoulement à l’encontre du demandeur est à admettre en l’espèce. Or, une telle mesure de refoulement constitue, au vœu de l’article 15 de la loi prévisée du 15 mars 1972, une base suffisante et valable pour la prise d’une mesure de refoulement. Le moyen afférent du demandeur est partant à rejeter.

Le demandeur critique ensuite que le ministre affirmerait l’existence d’un risque de fuite dans son chef, mais resterait en défaut de motiver sa décision par des éléments concrets indiquant un risque concret dans son chef de se soustraire à une mesure d’éloignement, de manière que cette dernière serait entachée d’illégalité.

Or, force est de constater que l’article 15 de la loi prévisée du 28 mars 1972 pose exclusivement les deux conditions légales cumulatives précitées pour la prise d’une décision de placement, de manière que l’existence d’un risque de se soustraire à la mesure d’éloignement ne constitue pas une condition légale pour la validité d’une mesure de placement. S’y ajoute que le demandeur rentre directement dans les prévisions de la définition des « retenus », telle que consacrée à l’article 2 du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière et modifiant le règlement grand-ducal du 24 mars 1989 concernant l’administration et le régime interne de l’établissement pénitentiaire, et que la mise en place d’un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière repose précisément sur la prémisse qu’au-

delà de toute considération tenant à une dangerosité éventuelle des personnes concernées, celles-ci, eu égard au seul fait de l’irrégularité de leur séjour et de l’imminence de l’exécution d’une mesure d’éloignement dans leur chef, présentent en principe et par essence un risque de se soustraire à la mesure d’éloignement, fût-il minime, de sorte que la rétention du demandeur dans ledit Centre de séjour est en l’espèce justifiée dans son principe, ceci afin d’éviter que l’exécution de la mesure prévue ne soit compromise. Le moyen afférent du demandeur laisse partant d’être fondé.

Le demandeur conteste ensuite l’impossibilité de son éloignement immédiat en relevant que le ministre serait resté en défaut de justifier les circonstances de fait rendant son éloignement immédiat impossible et des démarches suffisantes de sa part pour écourter sa privation de liberté.

Le ministre compétent est dans l’impossibilité de procéder à l’éloignement immédiat d’un étranger lorsque ce dernier ne dispose pas des documents d’identité et de voyage requis pour permettre son refoulement immédiat et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un accord de reprise de l’intéressé et desdits documents. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur lui a conféré un délai initial maximal d’un mois pour obtenir de la part des autorités étrangères concernées les documents de voyage nécessaires et organiser le transfert de la personne concernée.

En l’espèce, le ministre s’est adressé dès avant le placement du demandeur, à savoir le 1er décembre 2004, aux autorités monténégrines afin d’obtenir leur accord de principe pour la reprise du demandeur et il a saisi en temps utile après le placement du demandeur les mêmes autorités d’une demande de délivrance d’un laissez-passer en vue du rapatriement du demandeur. Il s’ensuit que le moyen relatif à l’insuffisance des démarches accomplies par le ministre laisse d’être fondé.

Enfin, le demandeur conclut à l’illégalité de la mesure de rétention au motif que le procès-verbal de notification de la mesure de rétention ne serait pas signé par lui-même et n’indiquerait pas les motifs de refus de signature, de sorte que les autorités étatiques resteraient en défaut de prouver qu’il aurait été informé de ses droits conformément aux termes de l’article 15, paragraphe (8) de la loi précitée du 28 mars 1972.

Le demandeur est cependant malvenu à soulever ce moyen qui se trouve contredit en fait, alors qu’il ressort du dossier administratif que le procès-verbal de notification n° 15/266/2006/KL du 18 juillet 2006 du service de police judiciaire comporte la signature personnelle du demandeur et renseigne qu’il a été informé de ses droits.

Il découle de l’ensemble des développements qui précèdent que le recours sous analyse n’est justifié en aucun de ses moyens et est à rejeter comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. SCHROEDER, premier juge, M. SPIELMANN, juge, M. SÜNNEN, juge, et lu à l’audience publique du 2 août 2006 par le premier juge en présence de Mme WILTZIUS, greffier de la Cour administrative, greffier assumé.

s. WILTZIUS s. SCHROEDER 7


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 21725
Date de la décision : 02/08/2006

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2006-08-02;21725 ?

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