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02/08/2006 | LUXEMBOURG | N°21606

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 août 2006, 21606


Numéro 21606 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 juillet 2006 Audience publique du 2 août 2006 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 21606 du rôle, déposée le 3 juillet 2006 au greffe du tribunal administratif par Maître Philippine RICOTTA-WALAS, avocat à

la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, n...

Numéro 21606 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 juillet 2006 Audience publique du 2 août 2006 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 21606 du rôle, déposée le 3 juillet 2006 au greffe du tribunal administratif par Maître Philippine RICOTTA-WALAS, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité monténégrine, demeurant actuellement à …, tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 5 mai 2006 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme étant manifestement infondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 juillet 2006;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Roby SCHONS, en remplacement de Maître Philippine RICOTTA-WALAS, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 2 août 2006.

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Le 20 avril 2006, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur … fut entendu en date du 4 mai 2006 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministre », l’informa par décision du 5 mai 2006, notifiée le 2 juin 2006, que sa demande avait été rejetée comme étant manifestement infondée aux motifs énoncés comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 20 avril 2006 et le rapport d’audition de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration du 4 mai 2006.

Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous auriez quitté le Monténégro le 17 avril 2006 pour vous rendre en camionnette en direction du Luxembourg où vous seriez arrivé le 20 avril 2006. Vous avez déposé votre demande d’asile le même jour. Vous étiez en possession d’un passeport ayant été établi le 30 mars 2006 à Rozaje et étant valable jusqu’au 30 mars 2016. Vous précisez finalement avoir deux oncles au Luxembourg où vous résidez actuellement.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté le Monténégro principalement en raison de la situation économique y régnante. Vous dites ne pas avoir de travail au Monténégro et vous admettez que vous n’auriez jamais quitté votre pays d’origine si vous en aviez eu un. Vous dites néanmoins craindre une éventuelle guerre en raison de l’instabilité politique de votre pays. Vous admettez par contre n’avoir été ni menacé ni persécuté dans votre pays d’origine. Vous ajoutez avoir déposé une demande d’asile pour pouvoir rester auprès de votre famille au Luxembourg.

Enfin, vous ne seriez également pas membre d’un parti politique.

Selon l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ».

Force est de constater que votre demande ne correspond à aucun critère de fond défini par la Convention de Genève et que vous ne faites pas état de persécutions personnelles. Vous dites être venu au Luxembourg parce que vous seriez sans emploi au Monténégro. Or, des raisons économiques ne sauraient fonder une demande en obtention du statut de réfugié car elles ne rentrent pas dans le cadre d’un motif de persécution prévu par la Convention de Genève de 1951. Il en va de même du fait que vous désirez résider auprès de votre famille au Luxembourg. En ce qui concerne votre crainte d’une éventuelle guerre, elle traduit tout au plus un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un sentiment d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la prédite Convention. D’ailleurs, vous admettez vous-même ne jamais avoir été menacé ou persécuté au Monténégro.

A cela s’ajoute que l’article 5-1) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 précitée, dispose que « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur d’asile provient d’un pays où il n’existe pas, en règle générale, de risques sérieux de persécution ».

Ce constat doit être fait pour le Monténégro, où la situation politique a favorablement évolué depuis la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement en Yougoslavie au mois d’octobre 2000. La sortie de la crise a été consolidée en mars 2002 par la signature d’un accord serbo-

monténégrin par les présidents Kostunica et Djukanovic, prévoyant l’adoption d’une nouvelle Constitution et l’organisation d’élections permettant de donner plus d’indépendance au Monténégro.

Ledit accord a été ratifié aussi bien par le parlement serbe et monténégrin en date du 9 avril 2002. La République fédérale de Yougoslavie a cessé d’exister et a été remplacée par un Etat de Serbie et de Monténégro début février 2002. Il n’existe plus d’affronts entre les différentes communautés ethniques ou religieuses. Il a ainsi été jugé par le tribunal administratif le 4 septembre 2002 que « la situation politique a favorablement évolué au Monténégro suite à la signature d’un accord serbo-

monténégrin au mois de mars 2002 prévoyant l’adoption d’une nouvelle Constitution et l’organisation d’élections permettant de donner plus d’indépendance au Monténégro, de sorte que des risques sérieux de persécution ne sont plus à craindre dans le pays d’origine du demandeur ». Enfin et surtout, soulignons l’adhésion du 3 avril 2003 de la Serbie-Monténégro au Conseil de l’Europe et par là, sa signature de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Rappelons que tout Etat européen peut devenir membre du Conseil de l’Europe à condition qu’il accepte le principe de la prééminence du droit. Il doit en outre garantir la jouissance des droits de l’homme et des libertés fondamentales à toute personne placée sous sa juridiction.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par requête déposée le 3 juillet 2006, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation, sinon en réformation à l’encontre de cette décision ministérielle 5 mai 2006.

Alors même que le demandeur sollicite principalement l’annulation de la décision ministérielle déférée et seulement subsidiairement sa réformation, le tribunal est amené à vérifier d’abord l’existence d’un recours au fond en la matière, étant donné que la prévision légale éventuelle de cette voie de recours entraînerait l’irrecevabilité du recours principal en annulation.

L’article 10 (3) de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant expressément un recours en annulation en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées, le tribunal est incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation. Par contre, le recours principal en annulation est recevable pour avoir par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir qu’il aurait dû quitter le Monténégro alors que « de ses propres aveux, il ne pouvait plus survivre dans ce pays », de manière qu’il « convient d’admettre que sa vie était en danger ». Il ajoute que, contrairement aux allégations dans la décision critiquée, la situation au Monténégro ne serait toujours pas stable, de sorte qu’un retour dans son pays d’origine serait « périlleux » et que le ministre aurait dû lui accorder le statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement rétorque que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996, « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New-York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ».

En vertu de l’article 3 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de craintes de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motifs de sa demande.

Lorsque le demandeur invoque la crainte d’être persécuté dans son propre pays, mais qu’il résulte des éléments et des renseignements fournis que le demandeur n’a aucune raison objective de craindre des persécutions, sa demande peut être considérée comme manifestement infondée ».

Une demande d’asile basée exclusivement sur des motifs d’ordre personnel et familial ou sur un sentiment général d’insécurité sans faire état d’un quelconque fait pouvant être considéré comme constituant une persécution ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève est à considérer comme manifestement infondée (trib. adm. 15 novembre 1999, n° 11586 du rôle, Pas. adm. 2005, v° Etrangers, n° 123 et autres références y citées ; trib. adm. 28 juillet 1999, n° 11353 du rôle, Pas. adm. 2005, v° Etrangers, n° 124 et autres références y citées).

En l’espèce, lors de son audition en date du 4 mai 2006, le demandeur a déclaré suite à une question expresse afférente qu’il n’avait pas subi de persécutions au Monténégro et qu’il aurait peur de la guerre parce qu’il « y a eu une guerre à chaque fois qu’une République s’est détachée de la Yougoslavie et ce sera pareil pour le Monténégro ». En outre, le demandeur a admis qu’il n’avait pas de travail au Monténégro, que le salaire de sa mère aurait été insuffisant pour entretenir la famille, qu’il n’aurait pas quitté le Monténégro s’il avait eu du travail et qu’un oncle et une tante vivant au Luxembourg lui auraient offert de l’accueillir.

Ces éléments révèlent que ce sont essentiellement des motifs économiques entièrement étrangers à la Convention de Genève qui sous-tendent la demande d’asile du demandeur et que sa peur d’une guerre hypothétique s’analyse en un sentiment général de peur qui a par ailleurs été infirmé par les événements politiques récents ayant abouti à l’indépendance sans incidents du Monténégro.

Il s’ensuit que la demande d’asile sous examen ne repose sur aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande d’asile du demandeur comme étant manifestement infondée et que le recours sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties, se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. SCHROEDER, premier juge, M. SPIELMANN, juge, M. SÜNNEN, juge, et lu à l’audience publique du 2 août 2006 par le premier juge en présence de Mme WILTZIUS, greffier de la Cour administrative, greffier assumé.

s. WILTZIUS s. SCHROEDER 5


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 21606
Date de la décision : 02/08/2006

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2006-08-02;21606 ?

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