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13/07/2006 | LUXEMBOURG | N°20957

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 juillet 2006, 20957


Tribunal administratif Numéro 20957 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 janvier 2006 Audience publique du 13 juillet 2006 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière d’autorisation de séjour

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J U G E M E N T Vu la requête, inscrite sous le numéro 20957 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 janvier 2006 par Maître Laurent LUCAS, avocat à la Cour, inscrit au t

ableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Saraj...

Tribunal administratif Numéro 20957 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 janvier 2006 Audience publique du 13 juillet 2006 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière d’autorisation de séjour

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J U G E M E N T Vu la requête, inscrite sous le numéro 20957 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 janvier 2006 par Maître Laurent LUCAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Sarajevo (Bosnie Herzégovine), demeurant à Banja Luka (Bosnie-

Herzégovine), …, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 3 octobre 2005, par laquelle il s’est vu refuser la délivrance d’un visa « D + C » en vue d’un regroupement familial ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 avril 2006 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 12 mai 2006 par Maître Laurent LUCAS préqualifié pour compte de Monsieur … ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Laurent LUCAS, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

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Monsieur …, après avoir présenté une première demande d’asile au Luxembourg en date du 1er juillet 2002, rentra volontairement dans son pays d’origine, à savoir la Bosnie-Herzégovine, en date du 11 mars 2004. Une deuxième demande d’asile présentée en date du 22 février 2005 fut déclarée irrecevable.

Le 22 février 2005, Monsieur … fit par ailleurs l’objet d’un arrêté du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration par lequel l’entrée et le séjour lui furent refusés et en date du même jour, le même ministre a pris un arrêté par lequel son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière fut ordonné pour une durée maximale d’un mois, au motif qu’il ne disposait ni d’un titre de séjour valable, ni de moyens d’existence personnels légalement acquis et qu’il se trouvait partant en séjour irrégulier au pays. Monsieur … fut par la suite rapatrié dans son pays d’origine le 9 mars 2005.

En date du 1er septembre 2005, Monsieur … introduisit auprès de l’ambassade de Belgique à Zagreb une demande tendant à la délivrance d’un visa « Schengen » pour une durée de 365 jours, partant un séjour prolongé, en indiquant être marié à Madame …, demeurant à L-…. Il ressort en effet des pièces annexées à ladite demande que Monsieur … a contracté mariage avec Madame … à Banja Luka – MK Srpske Toblice en date du 15 août 2005. Il ressort encore des pièces y annexées que Madame … est de nationalité belge et qu’elle dispose au Luxembourg d’une carte de séjour de ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne valable jusqu’au 11 mai 2010. Ladite demande fut transmise le 5 septembre 2005 par ladite ambassade au ministère de la Justice, avec la précision qu’il s’agissait d’une demande tendant à se voir délivrer une autorisation de séjour provisoire pour regroupement familial.

Par décision du 3 octobre 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration informa l’ambassade de la Belgique à Zagreb qu’il s’opposait à la délivrance du visa ainsi sollicité, de la catégorie « D + C » en vue d’un regroupement familial, au motif que Monsieur … aurait été signalé au Système Informatique Schengen par les autorités luxembourgeoises, ledit signalement étant valable jusqu’au 26 avril 2008.

A la suite de l’introduction d’un recours gracieux contre la décision ministérielle précitée du 3 octobre 2005, introduit par courrier du mandataire de Monsieur … du 22 novembre 2005, ledit ministre confirma sa décision initiale par un courrier du 8 décembre 2005.

Il ressort d’un procès-verbal du service de police judiciaire, police des étrangers et des jeux, du 6 mars 2006 que Monsieur …, entré sur le territoire national sur base d’un visa britannique lui délivré le 21 décembre 2005, a quitté le Luxembourg en direction de Londres en date du 3 mars 2006, dans le cadre d’un « départ surveillé ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 26 janvier 2006, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 3 octobre 2005, en sollicitant la délivrance d’une autorisation de séjour, sinon d’un visa D + C.

Le tribunal est incompétent pour connaître de la demande en réformation de la décision ministérielle critiquée, aucune disposition légale ne lui conférant compétence pour statuer comme juge du fond en la matière.

Le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il se serait rendu pour la première fois au Luxembourg au cours de l’année 2002 et qu’à cette occasion, il y aurait présenté une demande d’asile. A cette époque, il aurait fait la connaissance de Madame …, avec laquelle il aurait commencé à entretenir une relation intime, mais qu’à la suite du rejet de sa demande d’asile, il aurait été obligé de rentrer volontairement dans son pays d’origine, la Bosnie Herzégovine, en date du 11 mars 2004. Malgré leur séparation géographique, il aurait néanmoins continué à entretenir sa relation avec Madame … « au mieux de leurs possibilités ».

Toutefois, après avoir été menacé à plusieurs reprises par des musulmans qui auraient appartenu à la police secrète à Sarajevo, il serait revenu au Luxembourg pour y présenter une nouvelle demande d’asile en date du 22 février 2005, demande qui fut toutefois rejetée, ce qui aurait également eu pour conséquence qu’un arrêt de refus d’entrée et de séjour a été pris à son encontre, de sorte à l’obliger à rentrer à nouveau en Bosnie Herzégovine.

Il fait encore exposer qu’en date du 15 août 2005, il a épousé Madame … à Srpske Toplice en Bosnie Herzégovine et que depuis lors, il désirerait pouvoir partager le même domicile conjugal, en précisant toutefois que son épouse serait dans l’impossibilité de le rejoindre à Sarajevo, dans la mesure où elle ne serait pas en mesure d’y trouver un emploi. Il ajoute encore dans ce contexte que lui-même serait sans emploi à Sarajevo et qu’il y vivrait de l’argent que son épouse lui ferait parvenir mensuellement. Par contre, leur situation au Luxembourg serait différente, dans la mesure où Madame … y exercerait un travail et où elle y disposerait d’un appartement, ledit salaire étant suffisant pour pouvoir subvenir aux besoins de leur ménage. Il estime encore qu’il serait facile pour lui de trouver un travail au Luxembourg, puisque des employeurs potentiels seraient prêts à l’embaucher dès qu’il bénéficiera d’une autorisation de séjour au Luxembourg.

En ce qui concerne leur vie familiale, il soutient que sa relation avec son épouse serait « sérieuse et bien réelle », en invoquant pour preuve le fait que son épouse l’a visité en Bosnie Herzégovine pendant la période du 1er au 8 novembre 2005.

En droit, le demandeur estime que le refus par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration de lui délivrer un visa « D + C » en vue du regroupement familial violerait l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dénommée ci-après « CEDH », en ce que ledit refus aurait pour effet pour l’état de s’immiscer d’une manière disproportionnée dans sa vie privée et familiale et qu’il causerait un déséquilibre manifeste entre les intérêts en cause, notamment au vu de son objectif de cohabiter avec son épouse et de ce qu’il ne présente aucun risque sérieux de commettre une quelconque infraction pénale au Luxembourg.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement relève que le demandeur n’a exercé aucun recours contre la décision précitée du 22 février 2005 par laquelle l’entrée et le séjour lui ont été refusés au Luxembourg, dans la mesure où il a limité le recours sous analyse à la décision de refus de visa pour regroupement familial prise en date du 3 octobre 2005 et confirmée le 8 décembre de la même année.

En ce qui concerne la prétendue violation par les décisions incriminées de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, le représentant étatique, après avoir relevé que les époux …-… ne vivraient que « sporadiquement ensemble », estime qu’ils auraient noué leur relation amoureuse en connaissance de cause de la précarité de la situation de l’un des partenaires, à savoir celle de Monsieur …, de sorte qu’ils ne sauraient se plaindre à l’heure actuelle de ce qu’une autorisation de séjour a été refusée à celui-ci en entraînant dans son chef une impossibilité de résider sur le territoire luxembourgeois. Il relève encore dans ce contexte qu’il n’y aurait aucune impossibilité pour l’épouse du demandeur de s’installer avec lui en Bosnie Herzégovine, la seule considération que Madame … aurait des difficultés à y trouver un emploi n’étant pas de nature à empêcher une vie familiale commune dans ce pays.

En ce qui concerne pour le surplus le fait que le demandeur aurait une possibilité de trouver un emploi au Luxembourg, le représentant étatique fait valoir qu’une telle considération de fait serait indifférente, dans la mesure où il ne disposerait pas du titre de séjour légalement requis afin de résider sur le territoire luxembourgeois, en signalant dans ce contexte que le demandeur est signalé comme « étranger indésirable jusqu’en avril 2008 » dans le cadre du Système Informatique Schengen, et que le demandeur ne disposerait pas de moyens personnels suffisants de nature à lui assurer son séjour au Luxembourg, de sorte que les conditions prévues par l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 seraient remplies en l’espèce pour lui refuser l’entrée et le séjour au Luxembourg. Il s’ensuivrait que le refus de délivrance du visa tel que sollicité par le demandeur serait justifié.

Dans le cadre de son mémoire en réplique, le demandeur fait rappeler que le recours sous analyse est dirigé contre une décision par laquelle il s’est vu refuser l’émission en sa faveur d’un visa « D + C », et que le recours a pour objet de lui voir accorder une autorisation de séjour au Luxembourg, sinon un visa « D + C » afin de pouvoir rejoindre son épouse au Luxembourg. Il estime qu’il serait en droit d’obtenir son regroupement familial avec son conjoint résidant au Luxembourg, dans la mesure où il y existerait des attaches suffisamment fortes de nature à justifier que la vie privée et familiale de leur couple puisse s’y exercer. Il relève plus particulièrement dans ce contexte que son épouse vivrait au Luxembourg depuis le 16 février 1989, de sorte qu’elle aurait des attaches très fortes avec ce pays. Il estime encore que dans la mesure où il aurait séjourné à plusieurs reprises au Luxembourg, il aurait pu y nouer des amitiés nombreuses et gagner la confiance d’un employeur potentiel qui serait prêt à l’engager à partir du moment où il dispose des autorisations légalement requises. En ce qui concerne son épouse, il fait exposer que celle-ci bénéficierait actuellement de deux contrats de travail dont les revenus seraient suffisants pour subvenir aux besoins de leur famille.

En ce qui concerne son pays d’origine, à savoir la Bosnie-Herzégovine, il fait soutenir qu’au vu de leur âge et du taux de chômage qui y serait très élevé, il leur serait impossible d’y trouver « le moindre travail », de sorte qu’ils y seraient « contraints de vivre sur la rue ». Ce serait d’ailleurs la raison pour laquelle, il vivrait actuellement auprès de sa fille en Grande-Bretagne qui aurait accepté de l’y héberger en attendant qu’il soit autorisé à résider légalement au Luxembourg.

Par ailleurs, il fait soutenir qu’il serait difficile pour son épouse de résider en Bosnie-Herzégovine, dans la mesure où elle ne parlerait pas la langue officielle de ce pays et qu’elle n’y aurait ni des parents ni des amis.

Enfin, en ce qui concerne l’effectivité de leur vie familiale, il fait référence aux « nombreuses attestations testimoniales » versées en cause qui établiraient qu’il entretient avec son épouse une relation amoureuse profonde depuis des années et qu’il désirerait « ardemment enfin pouvoir vivre ensemble ».

Il échet tout d’abord de constater à la lecture de la demande adressée par le demandeur à l’ambassade de Belgique à Zagreb, représentant également les intérêts du Grand-Duché de Luxembourg pour le territoire de la Bosnie Herzégovine, datée au 1er septembre 2005, qu’il a sollicité la délivrance d’un visa « Schengen » pour une durée de 365 jours en vue d’un séjour prolongé avec la précision que son conjoint habite au Luxembourg. L’objet de cette demande ressort par ailleurs d’un transmis adressé le 5 septembre 2005 par ladite ambassade au ministère luxembourgeois de la Justice, dans lequel il est indiqué que le demandeur a sollicité l’obtention d’une autorisation de séjour provisoire « pour regroupement familial », en raison de son mariage avec Madame … demeurant à Luxembourg. C’est partant par rapport à cette demande qu’est intervenue la décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 3 octobre 2005, refusant l’émission d’une autorisation de séjour sollicitée pour regroupement familial dans le chef du demandeur, ladite décision ayant été confirmée par le courrier également précité du 8 décembre 2005 portant refus d’une autorisation de séjour en faveur du demandeur.

Il s’ensuit que le tribunal est amené dans le cadre de la présente instance à analyser la légalité du refus opposé au demandeur de lui délivrer une autorisation de séjour provisoire pour une durée d’un an au titre du regroupement familial avec son conjoint. Il s’ensuit encore que l’argumentation du délégué du gouvernement suivant laquelle le recours devrait être déclaré sans objet en ce qu’il n’a été dirigé que contre la décision précitée du 3 octobre 2005, telle que confirmée le 8 décembre de la même année, et non pas contre celle antérieurement prise par le même ministre en date du 22 février 2005, par laquelle l’entrée et le séjour ont été refusés au demandeur. En effet, les décisions actuellement sous analyse étant postérieures à celle du 22 février 2005, elles se substituent à celle-ci pour l’avenir, de sorte que le présent recours a valablement pu être dirigé contre les seules décisions actuellement déférées.

Encore que le demandeur ne conteste pas en l’espèce ne pas disposer de moyens personnels suffisants et légalement acquis pour supporter ses frais de séjour au Luxembourg au-delà de l’aide qui lui est apportée par un tiers, en l’occurrence son épouse légalement établie au Grand-Duché de Luxembourg, de sorte que le ministre a en principe valablement pu refuser de faire droit à sa demande en se basant sur l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, il y a néanmoins lieu d’examiner si la décision déférée ne se heurte pas aux dispositions de l’article 8 CEDH, invoqué par le demandeur.

L’article 8 CEDH dispose que :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

S’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la CEDH ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de ladite Convention.

Si la notion de vie familiale au sens de l’article 8 CEDH couvre nécessairement le cas de couples mariés, il y a néanmoins lieu de vérifier d’abord si le demandeur peut se prévaloir d’une vie familiale préexistante et effective, caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites ainsi que de vérifier, dans l’affirmative, si la décision de refus de délivrance d’une autorisation de séjour a porté une atteinte injustifiée à cette vie familiale devant, le cas échéant, emporter son annulation pour cause de violation de l’article 8 CEDH.

A partir des éléments présentés en cause par le demandeur, il y a lieu d’admettre qu’une vie familiale effective a commencé à s’établir sur le territoire luxembourgeois dans un passé récent, à savoir au cours de l’année 2002, entre le demandeur et Madame …, à savoir plus particulièrement à une époque où le demandeur était demandeur d’asile dont le séjour au pays a été admis tant que durait l’instruction de sa demande d’asile. Il s’ensuit qu’à l’époque où le demandeur a noué des relations amoureuses avec Madame …, il devait nécessairement être au courant de la précarité de sa situation au Luxembourg, tant qu’était pendante la procédure d’asile et, au plus tard, après le rejet de ses deux demandes d’asile présentées au Luxembourg, le demandeur devait nécessairement avoir connaissance de ce qu’il séjournait illégalement au Luxembourg. En ce qui concerne le mariage du demandeur avec Madame … en date du 15 août 2005, il y a lieu de relever que ledit mariage a eu lieu à une période à laquelle le demandeur n’était pas autorisé à séjourner au Luxembourg, à la suite de la prise à son encontre de l’arrêté ministériel précité du 22 février 2005 portant refus d’entrée et de séjour dans son chef au pays.

Force est de constater que si la décision de refus de délivrance d’une autorisation de séjour porte certes atteinte à la vie familiale du demandeur en ce sens qu’il n’est pas en mesure d’exercer son droit à une vie privée et familiale au Luxembourg, cette atteinte ne saurait pas pour autant être qualifiée d’excessive en l’espèce.

En effet, dans le cadre du contrôle de proportionnalité à effectuer dans ce contexte, il importe de relever que l’article 8 CEDH ne confère pas directement aux étrangers un droit de séjour dans un pays précis et que le demandeur et Madame …, lorsqu’ils ont noué leur relation amoureuse, et lorsqu’ils se sont mariés, n’étaient pas sans ignorer la précarité de la situation du demandeur en tant que demandeur d’asile et d’étranger n’étant pas admis à séjourner sur le territoire luxembourgeois. S’il est en effet certes constant qu’un demandeur d’asile débouté demeurant sur le territoire luxembourgeois peut alléguer qu’une mesure d’éloignement ou de refus d’entrée et de séjour au pays constitue une ingérence dans sa vie privée et familiale, il importe néanmoins de relever que le caractère précaire de sa présence sur le territoire n’est pas sans pertinence dans l’analyse de la conformité de la mesure restrictive avec notamment la condition de proportionnalité inscrite au second paragraphe de l’article 8. La Cour européenne des droits de l’homme n’accorde en effet qu’une faible importance aux événements de la vie d’immigrants qui se produisent durant une période où leur présence sur le territoire est contraire à la loi nationale, voire couverte par un statut de séjour précaire (Revue trimestrielle des droits de l’homme (60/2004), p. 926).

En l’espèce, compte tenu du caractère somme toute récent de la relation entre Madame … et le demandeur, ainsi que du fait que ce dernier a uniquement séjourné à titre précaire et de manière sporadique au pays, un non-respect du principe de proportionnalité entre la mesure de refus de délivrance d’une autorisation de séjour et la situation familiale du demandeur ne peut être déduit des éléments de fait soumis au tribunal. Cette conclusion n’est pas énervée par les attestations testimoniales versées par le demandeur, qui ont pour objet d’établir l’existence effective d’une relation intime entre le demandeur et Madame …, ainsi que leur souhait d’habiter ensemble.

En effet, ces attestations ne suffisent pas pour justifier la création et la continuation au Luxembourg d’une vie familiale créée en considération de la précarité de la situation de l’un des futurs époux, à savoir le demandeur.

En outre, eu égard à la situation personnelle et familiale du demandeur et aux antécédents relatifs à son séjour, les éléments en cause ne dénotent pas un usage par le ministre du pouvoir d’appréciation lui conféré par la loi prévisée du 28 mars 1972, qui ne serait pas en conformité avec les finalités de cette loi.

Par voie de conséquence, le moyen du demandeur tiré du caractère disproportionné de la décision litigieuse et du non-respect de l’article 8 CEDH laisse d’être fondé.

Il découle de l’ensemble des développements qui précèdent que le recours sous analyse n’est pas justifié et est à rejeter comme non fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

donne acte au demandeur de ce qu’il bénéficie de l’assistance judiciaire ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;

reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, premier vice-président, M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, juge et lu à l’audience publique du 13 juillet 2006, par le premier vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 8


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 20957
Date de la décision : 13/07/2006

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2006-07-13;20957 ?

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