Tribunal administratif N° 20982 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 février 2006 Audience publique du 10 juillet 2006 Recours formé par Monsieur et Madame …et consorts , … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de tolérance
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 20982 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 février 2006 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo) et de son épouse Madame …, née le … , ainsi qu’en celui de leurs enfants mineurs … , tous de nationalité serbe, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 23 décembre 2005 refusant de prolonger le statut de tolérance dont ils bénéficiaient jusqu’au 31 décembre 2005 en vertu d’une décision du même ministre du 12 août 2005 ;
Vu l’ordonnance du président du tribunal administratif du 8 février 2006 ayant débouté les consorts …de leur demande tendant à l’institution d’une mesure de sauvegarde ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 avril 2006 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport à l’audience publique du 26 juin 2006, en présence de Maître Caroline LECUIT, en remplacement de Maître Nicky STOFFEL, et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRÜCK qui se sont toutes les deux rapportées aux écrits de leurs parties respectives.
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Par décision du 18 août 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration a accordé à Monsieur … et à son épouse, Madame …, ainsi qu'à leurs enfants mineurs … , ci-après désignés par «les consorts …», tous de nationalité serbe, qui s'étaient antérieurement vu refuser le statut de réfugiés politiques, le statut de tolérance, conformément à l'article 13 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile; 2.
d'un régime de protection temporaire, jusqu'au 31 décembre 2005, en considération du fait que « Madame …-… semble toujours avoir vécu à … (Kosovo) ».
Par courrier du 27 septembre 2005, le ministre les informa de ce qu'en vertu d'une communication reçue de la part du ministère de l'Intérieur serbe, il avait appris qu'ils avaient leur résidence effective en Serbie et que les autorités serbes étaient disposées à accepter leur retour dans leur pays d'origine, de sorte qu'il ne subsisterait plus de circonstances matérielles empêchant ce retour. Il les invita à présenter leurs observations concernant le retour envisagé et il les invita d'ores et déjà à organiser leur retour volontaire.
En date du 8 décembre 2005, les consorts … introduisirent une demande en vue de la prolongation de la mesure de tolérance venant à expiration le 31 décembre 2005.
Par décision du 23 décembre 2005, le ministre refusa de proroger le statut de tolérance en leur faveur sur base des motifs indiqués dans son précédent courrier du 27 septembre 2005.
Le recours gracieux introduit le 30 décembre 2005 par leur mandataire ayant été resté sans réponse de la part du ministre, les consorts … ont introduit un recours réformation sinon en annulation à l’encontre la décision de refus de prorogation du statut de tolérance du 23 décembre 2005 par requête déposée le 3 février 2006, inscrite sous le numéro 20982 du rôle.
Par requête déposée le même jour, inscrite sous le numéro 20983 du rôle, ils ont encore introduit une demande dans laquelle ils sollicitent le sursis à exécution de la décision ministérielle en question confirmant leur retour en Serbie.
Par ordonnance du 8 février 2006, le président du tribunal administratif a déclaré la demande en sursis à exécution non justifiée et en a débouté les consorts ….
Aucune disposition légale n’instaurant un recours au fond en la présente matière, le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation. Le recours subsidiaire en annulation est par contre recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de leur recours sous examen, ils estiment en premier lieu que la décision serait illégale en ce que la communication émanant du ministère de l'Intérieur serbe ne leur aurait pas été communiquée en temps utile et que partant leurs droits de la défense auraient été lésés. Par ailleurs, le ministre aurait violé les termes de la loi en leur refusant respectivement en leur retirant le statut de tolérance et « que le Ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration a commis un excès de pouvoir en procédant de la manière dont il l'a fait ». Ils demandent partant l’annulation de la décision ministérielle du 23 décembre 2005.
Quant au fond de leur recours, ils se réfèrent aux différents certificats et attestations versés en cause lors de leur première demande en obtention du statut de tolérance, pour soutenir qu’il en résulterait qu’ils auraient effectivement résidé au Kosovo avant de venir au Grand-Duché de Luxembourg. Pour le surplus, ils se réfèrent à la situation désastreuse et dangereuse au Kosovo en ce qui concerne les minorités, et plus particulièrement la minorité des Goranais, pour soutenir qu’un retour dans leur pays d’origine serait matériellement impossible en raison de circonstances de fait.
Le déléguée du Gouvernement estime que les conditions légales pour l'octroi du statut de tolérance ne sont pas remplies et que le ministre a fait une saine appréciation de la situation des demandeurs. Il retient notamment que les attestations versées en cause par les demandeurs seraient sujettes à caution et qu’il faudrait en outre se référer aux auditions des demandeurs, notamment à celle de Monsieur … dans laquelle il affirme avoir fait de petits travaux à Belgrade.
Ainsi, il serait étonnant que les autorités de Belgrade inscriraient un enfant goranais à leur registre de naissance si ses parents habitaient au Kosovo, de même qu’ils n’accepteraient pas de reprendre des Goranais, s’ils n’y avaient pas effectivement habité avant de venir au Grand-Duché de Luxembourg.
Concernant la non-communication de la notice émanant du ministère de l’Intérieur serbe confirmant leur reprise, il convient en premier lieu de constater qu’il ne saurait s’en dégager une quelconque violation des droits de la défense des demandeurs, dans la mesure où il n’existe aucune texte légal ou réglementaire obligeant les administrations d’annexer tous les documents à la base de leurs décisions et que par ailleurs les demandeurs n’ont pas adressé une telle demande en communication du prédit document au ministre. Il est encore constant que dans le cadre du présent recours, le prédit document a été déposé par le représentant étatique et que les demandeurs n’ont pas jugé utile d’y prendre position.
En vertu de l'article 13, paragraphes 1er et 3 de la loi modifiée du 3 avril 1996, précitée, si le statut de réfugié est refusé à un demandeur d'asile, celui-ci est éloigné du territoire. Si l'exécution matérielle de l'éloignement s'avère impossible en raison de circonstances de fait, le ministre peut décider de le tolérer provisoirement sur le territoire jusqu'au moment où ces circonstances ont cessé.
En l'espèce, les consorts … ne contestent pas avoir été déboutés de leur demande d'asile.
Les seuls moyens qu'ils invoquent cependant à l'appui de leur demande en maintien du statut de tolérance constituent des arguments qui, à les supposer fondés, leur conféreraient le droit en obtention du statut de réfugiés politiques. Ils ne rencontrent en revanche pas de manière plausible les explications de l'Etat qui, pièces à l'appui, entend établir qu'il n'existe plus d'obstacle matériel à leur retour dans leur pays d'origine, à savoir la Serbie. Les arguments tendant à affirmer qu'ils ne sauraient être renvoyés au Kosovo où ils seraient persécutés ne sauraient valoir à ce stade, étant donné qu'il n'est pas question de les y renvoyer.
En effet, si depuis l’arrivée des demandeurs au Luxembourg un doute planait sur leur pays, voire région d’origine, force est de retenir que suite aux nouveaux documents versés par le délégué du Gouvernement, à savoir la confirmation d’une possibilité de reprise par les autorités serbes sur base du fait qu’ils étaient déclarés comme résidents en Serbie avec adresse à Belgrade, document officiel qui n’a d’ailleurs pas été mis en doute ou contesté d’une quelconque manière par les demandeurs, il est constant que les demandeurs y ont effectivement résidé. Cette analyse est corroborée par le fait que le mariage des demandeurs y a été célébré et que leur enfant aîné y est né, de même que Monsieur … a affirmé y avoir effectué avant leur départ quelques travaux. Il est également constant que le frère et la sœur du demandeur y habitent. Interrogé au sujet de ces faits, notamment pourquoi sur l’acte de mariage figure une adresse à Belgrade, le demandeur a répondu : « Mon adresse ? Je ne sais pas, peut être à cause de l’enfant ». L’agent du ministre ayant attiré son attention sur le fait qu’il l’interrogeait sur son acte de mariage et non pas sur l’acte de naissance de son enfant, Monsieur … a répondu « Il se peut qu’ils ont fait une faute ». Il a néanmoins avoué, après avoir dans un premier temps nié avoir habité à Belgrade, qu’il y aurait passé quelques mois.
Par ailleurs, comme l’a relevé à bon droit le délégué du Gouvernement, les autorités Serbes n’accepteraient pas de reprendre des citoyens non serbes, sinon des résidents du Kosovo, et plus particulièrement des Goranais, si ces derniers n’y étaient pas inscrits comme y ayant leur domicile.
Ainsi, faute pour les demandeurs d’avoir fait valoir un seul argument à l’encontre de leur rapatriement en Serbie, force est retenir qu’ils n’ont dès lors pas utilement invoqué une circonstance de fait rendant impossible l’exécution matérielle de leur éloignement vers la Serbie.
C’est dès lors valablement que le ministre a pu, au travers de la décision déférée, considérer que les demandeurs ne sont plus susceptibles de bénéficier du statut de tolérance tel que prévu par l’article 13 de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée.
Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours formé par les demandeurs est à rejeter comme n’étant pas fondé.
Par ces motifs ;
le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, déclare le recours principal en réformation irrecevable, reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié ;
partant en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 juillet 2006 par :
Mme Lenert, vice-président, Mme Lamesch, premier juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Lenert 4