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05/07/2006 | LUXEMBOURG | N°21289

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 juillet 2006, 21289


Numéro 21289 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 avril 2006 Audience publique du 5 juillet 2006 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 21289 du rôle, déposée le 21 avril 2006 au greffe du tribunal administratif par Maître Gilles PLOTTKE, avocat à la

Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le ...

Numéro 21289 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 avril 2006 Audience publique du 5 juillet 2006 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 21289 du rôle, déposée le 21 avril 2006 au greffe du tribunal administratif par Maître Gilles PLOTTKE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à New Kru Town (Libéria), de nationalité libérienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 9 février 2006 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 21 mars 2006 prise sur recours gracieux;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 mai 2006;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Magalie LYSIAK, en remplacement de Maître Gilles PLOTTKE, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline GUILLOU-JACQUES en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 juillet 2006.

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Le 16 octobre 2003, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut entendu en dates des 27 novembre 2003 et 8 janvier 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministre », l’informa par décision du 9 février 2006, notifiée par courrier recommandé du 10 février 2006, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire de la même date et le rapport d’audition du Ministère de la Justice du 27 novembre 2003.

Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous auriez quitté le Libéria via le Togo où vous auriez embarqué sur un bateau pour les Pays-Bas. Vous ne donnez aucune information sur l’embarcation, mis à part que le capitaine aurait été un citoyen grec. Grâce à l’argent que vous auriez ensuite donné à un homme blanc, vous auriez pris un train et seriez arrivé au Luxembourg le 15 octobre 2003. Le dépôt de votre demande d’asile date du lendemain. Vous ne présentez aucune pièce d’identité.

Il résulte de vos déclarations que vous seriez né au Libéria mais que depuis l’âge de 6 ans, vous auriez vécu au Nigeria. Vous y auriez été un joueur de football professionnel mais auriez arrêté à cause de la discrimination dont vous auriez été victime. En effet, étant libérien, vous n’auriez pas bénéficié des mêmes faveurs que celles accordées aux nigérians pour intégrer une équipe nationale. En outre, vous auriez vécu dans la crainte constante pour votre vie puisque vous auriez résidé à Kaduna où la Sharia est appliquée, mais étant chrétien, vous auriez été la cible de pressions et d’attaques fréquentes par les musulmans. Vous auriez ainsi décidé de rentrer au Libéria vers mai 2003, également afin de pouvoir recevoir la part des biens de votre père qui vous reviendrait de droit. Mais vous n’auriez pas été informé de l’ampleur des problèmes au Libéria, ni du décès de votre père 4 années auparavant. Vous auriez passé deux semaines dans la maison de votre père avec sa deuxième femme avant l’arrivée des rebelles LURD dans votre région. Vous auriez ainsi suivi la foule qui se serait d’abord cachée dans une église, puis vous auriez été escorté par les militaires de l’ECOMOG jusqu’au port de Grand Kru. Vous auriez embarqué sur un petit bateau militaire qui vous aurait conduit jusqu’à un autre bateau à destination des Pays Bas.

Enfin, vous admettez n’avoir subi aucune autre persécution ni mauvais traitement, et ne pas être membre d’un parti politique.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

A défaut de pièces, un demandeur d’asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Or, il convient de relever les contradictions et invraisemblances dans les faits relatés. En premier lieu, en ce qui concerne votre voyage, alors que vous dites à la Police judiciaire avoir embarqué au Togo, vous expliquez lors de l’audition que l’ECOMOG vous aurait mené du port de Grand Kru jusqu’à une embarcation au Libéria, qui aurait ensuite fait escale au Togo avant d’accoster aux Pays-

Bas. Vous dites également à la police que la seule information en votre possession serait que le capitaine aurait été grec, et lors de l’audition qu’il se serait appelé James Rob, un nom qui ne permet pas forcément d’établir qu’il serait grec.

De toutes façons, même à supposer les faits de 2003 que vous alléguez comme établis, ils ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’ils ne peuvent, à eux seuls, suffire pour fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans votre pays d’origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève. En effet, en l’espèce, à supposer avérées vos craintes à l’encontre du mouvement rebelle LURD qui aurait sévi durant la guerre civile au Libéria en 2003, celles-ci n’ont à présent plus lieu d’être puisqu’une force multinationale, intervenue le 4 août 2003, le départ de Charles Taylor et l’instigation d’un gouvernement transitoire le 14 octobre 2003 ont permis de démanteler les groupes rebelles et ont mis fin aux conflits dans votre pays. De plus, les élections démocratiques et pacifiques d’octobre et novembre 2005 ainsi que l’investiture de la nouvelle Présidente Ellen Johnson Sirleaf le 16 janvier 2006 ont définitivement stabilisé la situation et restauré une paix durable au Libéria. Soulignons également que la Présidente, lors de sa prestation de serment, a imploré le retour des nombreux réfugiés libériens afin de participer à la reconstruction de leur pays.

Elle a par ailleurs garanti que le Gouvernement les assistera dans leur réintégration professionnelle et au sein de leur communauté.

Votre crainte concernant la situation générale au Libéria et les rebelles n’a donc plus lieu d’être.

En outre, toutes vos allégations concernant vos problèmes au Nigeria ne sont aucunement pertinentes eu égard à votre demande d’asile. En effet, la Convention de Genève prend en compte uniquement les persécutions subies dans le pays d’origine du demandeur ou s’il n’a pas de nationalité, dans le pays où il a sa résidence habituelle, ce qui n’est pourtant pas le cas étant donné que vous affirmez être libérien.

Ainsi, vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est par conséquent pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 9 mars 2006 ayant été rencontré par une décision confirmative du même ministre du 21 mars 2006, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre des décisions ministérielles initiale du 9 février 2006 et confirmative du 21 mars 2006 par requête déposée le 21 avril 2006.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.

A l’appui de son recours, le demandeur expose qu’à cause de la guerre civile au Libéria et de persécutions dues à sa confession chrétienne, il aurait vécu durant 13 ans avec sa famille au Nigeria, qu’il y aurait fait partie de différentes équipes nigérianes en tant que joueur de football professionnel, qu’il aurait été depuis les années 1990 victime de menaces et d’attaques fréquentes de la part de musulmans du fait de vivre en tant que chrétien dans la ville nigériane de Kaduna où la charia serait d’application et qu’il aurait été de ce fait contraint de quitter le Nigeria au mois de mai 2003. Il continue que suite à son retour au Libéria, il aurait été victime de persécutions de la part du mouvement militaire rebelle LURD, de manière qu’il aurait dû quitter le Libéria seulement quelques semaines après son retour. Le demandeur fait valoir que malgré les proclamations des autorités libériennes en faveur d’un retour des réfugiés au pays, une situation de crise subsisterait et que les pouvoirs publics ne seraient pas encore en mesure d’intervenir efficacement pour garantir la sécurité des habitants. Le demandeur estime sur base de ces éléments que le ministre aurait fait une appréciation erronée de sa situation personnelle au vu de son récit cohérent et de sa description précise des persécutions subies et du risque de persécutions en cas de retour dont la crédibilité n’aurait pas été mise en doute par le ministre.

Le représentant étatique soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions en dates des 27 novembre 2003 et 8 janvier 2004, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, même abstraction faite des autres motifs avancés par le ministre, il convient de constater que le demandeur fait en substance état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre par des forces rebelles dans le cadre d’une situation générale non encore stabilisée suite à la guerre civile ayant fait rage au Libéria et qu’il estime que la crainte afférente pourrait être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié au vu de la situation instable et non sécurisée dans son pays d’origine.

Or, depuis le mois de mai 2003, époque à laquelle le demandeur a quitté le Libéria, la situation y a fondamentalement changé par la signature en août 2003 d’un accord entre le gouvernement libérien, les forces rebelles, les partis politiques et des représentants de la société civile et par l’instauration en date du 14 octobre 2003 d’un gouvernement de transition.

S’y ajoute qu’une force internationale (UNMIL) a été instaurée par la résolution n° 1509 du Conseil de Sécurité des Nations Unies du 19 septembre 2003 avec la mission notamment d’assurer la sécurité intérieure du pays et de soutenir la démobilisation et le désarmement des forces rebelles et que des élections parlementaires et présidentielles ont eu lieu en octobre et novembre 2005, ayant notamment mené à la nomination d’une présidente du Libéria. S’y ajoute que l’UNHCR a pris en mars 2006 officiellement position en faveur d’une politique de promotion active du retour des réfugiés libériens vers leur pays d’origine en constatant que les conditions sont globalement réunies pour un retour des réfugiés dans la sécurité et dans la dignité. La même conclusion globale se dégage par ailleurs d’une prise de position de l’UNHCR sur la nécessité d’une protection des demandeurs d’asile libériens datant du 31 mars 2006.

Face à cette évolution positive de la situation générale au Libéria et en l’absence d’éléments quelconques de nature à étayer un risque concret de recrudescence des violences, les faits mis en avant par le demandeur, tenant essentiellement à des actions de forces rebelles, ne sont plus de nature à fonder à l’heure actuelle une crainte justifiée de persécution.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. SCHOCKWEILER, premier vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, M. SPIELMANN, juge, et lu à l’audience publique du 5 juillet 2006 par le premier vice-président en présence de M. LEGILLE, greffier.

LEGILLE SCHOCKWEILER 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 21289
Date de la décision : 05/07/2006

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2006-07-05;21289 ?

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