Tribunal administratif N° 21256 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 avril 2006 Audience publique du 5 juillet 2006
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Recours introduit par Monsieur … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 21256 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 13 avril 2006 par Maître Barbara NAJDI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Sierra Leone), de nationalité sierra-léonnaise, actuellement détenu au Centre pénitentiaire à Schrassig, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 15 février 2006, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 avril 2006 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 24 mai 2006 par Maître NAJDI pour compte de Monsieur … ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision ministérielle critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Anne DEVIN, en remplacement de Maître Barbara NAJDI, et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience du 3 juillet 2006.
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Le 21 mai 2004, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.
Il fut encore entendu le 9 juillet 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.
Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa par décision du 15 février 2006, notifiée le 7 mars 2006, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs que les faits par lui invoqués à l’appui de sa demande d’asile ne sauraient être reconnus comme justifiant la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève. Plus particulièrement le fait invoqué que des membres d’un culte secret auraient menacé Monsieur … en raison de son refus de succéder à son père et qu’à la suite de ce refus il aurait été ensorcelé, ne correspondrait à aucun des critères de fond prévus par la Convention de Genève. Le ministre a relevé en outre que les faits invoqués, à les supposer établis, remontent à l’année 1999 et que les seuls problèmes relatés sont des troubles psychiques et des cauchemars. Quant à la crainte du demandeur des membres des groupes « Bondo », « Purro » et « Wendie », le ministre a précisé que s’agissant de personnes privées, ils ne sauraient être assimilés à des agents de persécution au sens de la Convention de Genève et qu’ici encore les faits relatés antérieurs à 1999 ne sauraient en tout état de cause être utilement pris en considération pour être trop éloignés dans le temps. Il ressortirait pour le surplus du dossier qu’entre 1999 et 2002 Monsieur … a pu vivre dans une autre ville du Sierra Leone sans avoir rencontré de problèmes concrets avec ses ennemis, de sorte à avoir bénéficié d’une possibilité de fuite interne.
Par l’intermédiaire de son mandataire, Monsieur … a fait introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée en rappelant le contexte de conflit qui se présentait au début de mois de janvier 1999 à Freetown pour faire valoir qu’une extension de ce conflit sur Tombo Village, dont il est originaire, serait hautement vraisemblable. Il a insisté en outre sur le fait que c’est à partir de son refus de prendre la relève de son père en tant que chef de différents groupes occultes que les persécutions par voie de sorcellerie auraient commencé. Or, dans la mesure où il aurait refusé de succéder à son père pour des raisons de conscience valables, en ce sens que le groupement occulte concerné serait au service du mal (« Da diese böse in der Form sei, dass sie regelmässig Menschenopfer bringt »), les persécutions par lui invoquées s’inscriraient clairement dans le contexte de la Convention de Genève. Il a relevé en outre avec insistance que s’il n’existe certes pas de nombreux précédents de ces formes de sorcellerie typiquement africaines en Europe, il n’en demeurerait pas moins qu’en Afrique les prises d’influence occultes et la sorcellerie seraient monnaie courante et, dans les régions de conflit, même employées au combat. Afin de rendre plus accessible à la mentalité européenne les problèmes par lui invoqués, Monsieur … a encore fait valoir que dans son essence l’idée d’être possédé par le mal serait également profondément ancrée dans l’église catholique qui aurait dans ces cas recours à la pratique de l’exorcisme (« ausserdem ist der Gedanke der Bessenheit selbst in der katholischen Kirche verankert, die an deren Heilung durch Exorzismus glaubt »). Or, dans la mesure où conformément au conseil de son herboriste la seule possibilité d’échapper à l’issue fatale lui destinée aurait été de quitter l’Afrique, il n’aurait eu d’autre possibilité que de chercher asile en Europe, où ses symptômes se seraient par ailleurs nettement améliorés.
Le ministre ayant confirmé, par courrier du 21 mars 2006, sa décision initiale du 15 février 2006, Monsieur … a fait introduire, par requête déposée en date du 13 avril 2006, un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ainsi confirmée du 15 février 2006.
Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours. Le recours en réformation, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable.
A l’appui de son recours, le demandeur insiste sur l’incompatibilité de ses croyances chrétiennes avec les pratiques des sociétés secrètes auxquelles il aurait refusé d’adhérer en tant que successeur de son père, ainsi que sur la puissance du sort qui lui aurait été jeté à la suite de ce refus, ces persécutions étant ressenties sous forme de maux de tête semblables à des migraines, des crises d’angoisse et des cauchemars à répétition, et s’analysant, d’après ses explications, en des symptômes typiques de persécution par voie de magie. Dans la mesure encore où ces sociétés secrètes seraient étroitement liées entre elles et disposeraient d’un véritable pouvoir établi dans toute la région africaine, l’hypothèse d’une fuite interne ne serait pas envisageable en tant que remède utile.
Le délégué du Gouvernement rétorque que les praticiens de la magie ne sauraient être considérés comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève et que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que son recours laisserait d’être fondé.
Monsieur … fait répliquer qu’il n’aurait pas bénéficié de la protection des autorités en place qui seraient restées manifestement en défaut de faire les démarches nécessaires en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis.
L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.
L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
C’est en effet à juste titre que le ministre a retenu que les présumés envoûteurs de Monsieur … ne sauraient être considérés comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné que des groupes de la population ne peuvent être reconnus comme auteurs de persécutions que dans l’hypothèse où la personne concernée ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève et qu’en l’espèce, le demandeur reste en défaut de préciser concrètement tant la nature de la protection qui lui aurait été refusée, qu’un quelconque défaut avéré de lui accorder cette protection. Dans la mesure où il se dégage en effet des déclarations du demandeur que même des herboristes notables et à son sens particulièrement efficaces dans ce domaine, n’ont pas su remédier à son mal, - mal qui semble d’ailleurs sévir également en Europe vu que le demandeur en était atteint lors de son audition par un agent du ministère de la Justice (« Even here I have to control my head. My head will shake otherwise”) - , le tribunal n’entrevoit pas concrètement le type de protection auquel l’intéressé ait pu s’attendre.
Cette conclusion ne saurait être énervée par la considération du demandeur qu’en Europe le phénomène des personnes possédées par des mauvais esprits connaîtrait également un ancrage culturel profond pour être rencontré moyennant la pratique de l’exorcisme dans le cadre de l’église catholique, étant donné que la pratique alléguée de l’exorcisme et le prétendu phénomène de possession sous-jacent ne présentent en tout état de cause pas non plus le moindre facteur de rattachement aux différents critères prévus par la Convention de Genève pour valoir en tant qu’actes de persécution justifiant l’octroi du statut de réfugié. Il s’y ajoute que les maux relatés par le demandeur au titre de persécutions ne revêtent pas une gravité suffisante pour valoir en tant qu’actes de persécution et que les nombreux procès-verbaux dressés à son encontre durant son séjour au Grand-Duché de Luxembourg du chef d’infractions à la législation sur les stupéfiants portent à croire que les maux de tête et malaises de l’intéressé pourraient autant être le résultat d’un mode de vie excessif de l’intéressé plutôt que de relever du domaine de la sorcellerie.
Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
déclare le recours en annulation irrecevable ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 5 juillet 2006 par:
Mme Lenert, premier vice-président, Mme Lamesch, premier juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Lenert 4