Tribunal administratif N° 21234 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 avril 2006 Audience publique du 5 juillet 2006 Recours formé par Monsieur … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 21234 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 avril 2006 par Maître Gilles PLOTTKE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Nigeria), de nationalité nigériane, demeurant à L- … , tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 14 février 2006, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme étant non fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 16 mars 2006, intervenue suite à un recours gracieux ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 avril 2006 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport à l’audience publique du 3 juillet 2006, en présence de Maître Brigitte CZOSKE, en remplacement de Maître Gilles PLOTTKE, et de Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER qui se sont tous les deux ralliés aux écrits de leurs parties respectives.
Le 15 avril 2004, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Il fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux de la police grand-ducale sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Il fut entendu en outre en date du 25 octobre 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.
Par décision du 14 février 2006, notifiée par voie de courrier recommandé expédié le 15 février 2006, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration informa Monsieur … de ce que sa demande avait été rejetée comme étant non fondée aux motifs que le récit présenté à l’appui de sa demande d’asile comporterait des contradictions en ce sens que ses déclarations faites auprès du service de la police judiciaire divergeraient de celles faites auprès de l’agent ayant procédé à son audition. Ainsi, lors de l’audition il aurait dit avoir quitté son pays en date du 28 mars 2004, tandis qu’il ressortirait du rapport de la police judiciaire qu’il n’aurait quitté le Nigeria qu’en date du 10 avril 2004.
Le ministre a relevé en outre que l’intéressé avait indiqué auprès de la police luxembourgeoise ne jamais avoir été en possession d’un passeport tandis qu’il a indiqué lors de son audition que son passeport serait resté au Nigeria. Pour le surplus, le ministre a retenu que la demande de Monsieur … ne correspondrait à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, étant donné que ses belles-mères qui l’auraient ensorcelé par jalousie ne sauraient être considérées comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève et qu’il ne serait par ailleurs pas établi que son hospitalisation aurait été réellement liée à « l’ensorcellement » de ses belles-mères. Quant aux craintes exprimées par Monsieur … de faire l’objet d’actes de persécution pour avoir été recherché par la police en raison de sa participation à une marche de protestation, le ministre a estimé que cette crainte serait purement hypothétique et manquerait d’être basée sur des faits réels, de sorte à ne pas pouvoir être utilement retenue comme motif de persécution visé par la Convention de Genève, ceci d’autant plus que l’intéressé ne ferait pas état de problèmes concrets avec la police, qu’il n’aurait pas joué de rôle particulier lors de cette manifestation et qu’il ne serait par ailleurs pas non plus membre d’un parti politique. Enfin, concernant l’affirmation de l’intéressé qu’il aurait dû changer d’université à cause de son refus d’adhérer à un culte secret, le ministre a relevé qu’il n’aurait pas fait état de problèmes concrets afférents tout en soulignant qu’il ne serait pas établi que les autorités compétentes du Nigeria seraient dans l’incapacité ou auraient refusé de lui fournir une protection quelconque, ceci d’autant plus que son père serait, d’après ses propres déclarations, très connu à Lagos et à Akoka et qu’avant sa retraite il aurait été « assistant superintendent of police », tandis que sa mère aurait travaillé pour le gouvernement local.
Le recours gracieux que Monsieur … a fait introduire par courrier de son mandataire datant du 10 mars 2006 à l’encontre de cette décision ministérielle s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 16 mars 2006, il a fait introduire, par requête déposée en date du 10 avril 2006, un recours contentieux tendant à la réformation des deux décisions ministérielles prévisées des 14 février et 16 mars 2006.
Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1.
d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître en tant que juge du fond de la demande introduite contre la décision ministérielle entreprise. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de son recours, le demandeur expose avoir été victime de maléfices de la part de trois de ses belles-mères qui l’auraient jalousé au point d’avoir été obligé de séjourner près de sept mois à l’hôpital pour un mal dont l’origine serait demeurée inconnue et dont il n’aurait finalement pu être guéri que par les soins d’un herboriste. Or, dans la mesure où les pouvoirs des sorciers et des marabouts demeureraient très vivaces, il estime que sa crainte de devenir à nouveau victime de maléfices serait légitime et justifierait l’octroi du statut de réfugié dans son chef. Il insiste encore sur son refus d’avoir adhéré aux rites d’une société secrète dénommée « black axe confraternity » dont la violence ne serait plus à établir pour soutenir qu’il aurait dû fuir sa ville et son université pour échapper aux menaces et agressions dont il aurait été victime. A cela s’ajouterait sa crainte de persécutions en raison de sa participation à une manifestation au mois de mars 2004 en opposition au résultat des élections locales, lors de laquelle la police n’aurait pas hésité à tirer dans la foule. Il reproche ainsi au ministre de s’être livré à une erreur manifeste d’appréciation des faits, étant donné que le risque par lui encouru d’être victime d’actes de représailles en cas de retour au pays, notamment du fait de l’inertie des pouvoirs publics nigérians quant aux activités des sectes et autres sorciers ou marabouts serait bien réel. Il conclut finalement que dans l’hypothèse où les preuves ne devaient pas paraître suffisamment éloquentes, il y aurait lieu de le croire sur parole au regard de ses déclarations cohérentes et circonstanciées.
Le délégué du Gouvernement pour sa part estime que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours.
L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.
L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
Force est de constater que les décisions ministérielles litigieuses, outre d’être motivées quant au fond par la considération que les motifs de persécution invoqués par le demandeur ne sauraient pas, de par leur nature, être utilement retenus pour justifier une demande en obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, sont principalement basées sur le constat d’un défaut de crédibilité et de cohérence au niveau du récit présenté par Monsieur … à l’appui de sa demande, le ministre, dans sa décision initiale du 14 février 2006, ayant fait état à cet égard de contradictions précises et circonstanciées au niveau des différentes déclarations du demandeur.
Il est encore constant que le demandeur, confronté à ces contradictions et incohérences, n’a pas fourni d’explications y relatives, de sorte que le tribunal, confronté à un dossier non autrement instruit sur ces points, se rallie à la conclusion du ministre, le demandeur n’ayant tout simplement pas pris position y relativement, mais s’étant contenté de reprendre de manière vague certains points de ses déclarations telles qu’actées par les services du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration, de manière à ne pas avoir mis le tribunal en mesure d’engager utilement un quelconque débat afférent.
Dans ces circonstances le tribunal ne saurait faire droit à la demande de l’intéressé de le croire sur parole, faute pour celle-ci de présenter un caractère cohérent.
En effet, si le tribunal est certes investi du pouvoir de statuer en tant que juge du fond en la présente matière, il n’en demeure pas moins que saisi d’un recours contentieux portant contre un acte déterminé, l’examen auquel il doit se livrer ne peut s’effectuer que dans le cadre des moyens invoqués par le demandeur pour contrer les motifs de refus spécifiques à l’acte déféré, mais que son rôle ne consiste pas à procéder à un réexamen général et global de la situation du demandeur. Il ne suffit dès lors pas de contester la conclusion d’une décision administrative donnée, en renvoyant en substance le juge administratif au contenu du dossier administratif, mais il appartient au demandeur d’établir que la décision critiquée est non fondée ou illégale pour l’un des motifs énumérés à l’article 2, alinéa 1er de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif tant en ce qui concerne sa conclusion que sa motivation.
Le recours en réformation est partant à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, déclare le recours non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 5 juillet 2006 par :
Mme Lenert, vice-président, Mme Lamesch, premier juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Lenert 5