Tribunal administratif N° 21014 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 février 2006 Audience publique du 3 juillet 2006
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Recours introduit par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 21014 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 13 février 2006 par Maître Valérie DEMEURE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Népal), de nationalité népalaise, demeurant à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 20 octobre 2005, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 12 janvier 2006, prise sur recours gracieux ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 avril 2006 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions ministérielles critiquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique du 26 juin 2006, en présence de Maître Valérie DEMEURE et de Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRÜCK qui se sont rapportées aux écrits de leurs parties respectives.
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Le 30 mars 2005, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Monsieur … fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.Il fut encore entendu en date du 4 avril 2005 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.
Par décision du 20 octobre 2005, notifiée le 2 décembre 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration informa Monsieur … que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :
« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 30 mars 2005 et le rapport d’audition de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration daté du 4 avril 2005.
Vous auriez quitté votre village au Népal le 30 décembre 2004 pour aller en Inde.
Vous y auriez passé deux mois. De là, vous auriez pris un vol KLM pour l’Europe et vous auriez atterri dans un endroit inconnu. Un passeur vous aurait emmené en voiture à Luxembourg où vous seriez arrivé le 24 mars 2005. Le 29 mars 2005, à l’occasion d’un contrôle policier dans un restaurant de la capitale, dans lequel vous travailliez sans autorisation, vous avez émis le vœu de déposer une demande d’asile. Ceci aurait été fait en date du 30 mars 2005.
Vous n’auriez pas fait de service militaire. Vous exposez que l’armée aurait pris le contrôle de votre village et aurait procédé à des arrestations. Vous auriez pris peur et vous seriez parti à Butwal, puis Sumauli, à la frontière indienne. Vous seriez alors passé en Inde.
Vous ne seriez membre d’aucun parti mais vous auriez participé à des manifestations qui auraient été organisées dans votre village quand il y avait un problème, par exemple pour l’approvisionnement en eau. Votre village aurait aussi eu des problèmes avec les Maoïstes et l’armée se serait installée dans le village il y a un an. Ceci aurait eu comme conséquence de fâcher les Maoïstes qui auraient reproché aux habitants de mettre des terrains à la disposition de l’armée. Ils auraient réclamé de l’argent à la population ou bien de les rejoindre dans le maquis. Pour ce faire, ils auraient envoyé des lettres aux villageois. Vous-
même vous vous seriez caché pour ne pas devoir rejoindre les Maoïstes. D’après vous, le gouvernement soupçonnerait vos parents d’être favorables à ces Maoïstes puisqu’ils auraient reçu ce genre de lettres. Vos parents auraient été emprisonnés pendant deux jours, il y a plus d’un an. Ainsi vous dites craindre à la fois les Maoïstes et les forces gouvernementales.
Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’articler 1er, A, 2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raisons de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.
Je relève d’abord que vous êtes dépourvu du moindre document prouvant votre identité ou pour confirmer votre récit. Le fait que vous ayez été pris à travailler sans autorisation dans un restaurant laisse à penser que vous devez être à Luxembourg depuis plus longtemps que vous le dites. De plus l’organisation même de votre voyage et surtout la présence d’un passeur à votre arrivée à l’aérodrome laisse à penser que vous êtes venu ici pour travailler. Quoiqu’il en soit, si vous aviez réellement voulu déposer une demande d’asile, vous auriez pu le faire dès votre arrivée sur le sol luxembourgeois.
En ce qui concerne votre récit, je relève que vous vous référez presque exclusivement à la situation dans votre pays d’origine. Il est vrai que la guérilla maoïste, présente au Népal depuis 1996, et suivant en cela la tactique du « sentier lumineux » en Amérique Latine, a essayé de rallier les villages à sa cause. Mais, depuis février 2005, un dialogue s’est instauré entre le Roi Gyanendra, les différents partis et la guérilla. Même si les élections que le Roi a tenté d’organiser en avril 2005 n’ont pas eu lieu, faute d’entente du premier ministre, Sher Bahadur Deuba, avec la guérilla, les maoïstes ont déclaré unilatéralement un cessez-le-feu et prouvé ainsi leur volonté de trouver un compromis. Un grand rassemblement populaire pour la paix réunissant plus de trente mille personnes a eu lieu en septembre 2005 dans les rues de Katmandou, prouvant ainsi la volonté populaire de mettre fin au conflit. .
En ce qui vous concerne personnellement, je relève que vos craintes restent à l’état de simple supposition. Vous dites craindre l’armée parce que vos parents auraient passé deux jours en garde à vue en 2004 mais vous-même n’avez jamais été personnellement inquiété. Le fait d’avoir reçu des lettres dans lesquelles les Maoïstes demandaient de l’argent est insuffisant pour vous voir conférer le statut de réfugié. Vos dires font état d’un sentiment d’insécurité mais pas d’une crainte fondée de persécution telle que prévue par la Convention de Genève.
Votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».
Le 12 janvier 2006, Monsieur … formula, par le biais de son mandataire, un recours gracieux auprès du ministre à l’encontre de la décision précitée du 20 octobre 2005.
Suivant décision du 12 janvier 2006, le ministre confirma sa décision initiale « à défaut d’éléments pertinents nouveaux ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 13 février 2006, Monsieur … a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation sinon à l’annulation des décisions ministérielles précitées des 20 octobre 2005 et 12 janvier 2006.
L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est par voie de conséquence irrecevable.
A l’appui de son recours, le demandeur expose qu’après 10 années de guerre civile, le Népal verrait sa situation empirer de jour en jour, les népalais seraient pris entre la monarchie et la guérilla.
Il fait valoir plus particulièrement que son village serait occupé par l’armée et que la guérilla rançonnerait et menacerait sa population. Il soutient que, d’un côté, la guérilla voudrait de l’argent de sa famille et qu’il s’engagerait à leur côté en faveur de leur cause et que, d’autre part, l’armée et la police soupçonneraient sa famille de supporter la guérilla. Il affirme que ses parents auraient été emprisonnés pendant 2 jours à cause de ces soupçons et que cette situation serait devenue insupportable. Ayant peur d’être torturé ou de disparaître, il aurait préféré quitter son pays.
Il se réfère pour le surplus à la situation générale dangereuse et instable au Népal, en s’appuyant sur divers rapport d’organisations internationales. Il estime ainsi avoir établi qu’il existe une crainte justifiée de persécution en raison de sa nationalité, de ses opinions politiques, de sa race, de son appartenance à un groupe social dans son chef et que l’autorité administrative aurait fait une appréciation erronée des faits d’espèce en ce sens qu’elle aurait à tort conclu que les faits relatés et corroborés par différents documents, ne justifieraient pas la qualité de réfugié.
Le représentant étatique soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.
En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition par un agent du ministère, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
En effet, c’est à juste titre que le ministre est arrivé à la conclusion que les déclarations du demandeur se résument en substance à la description de la situation générale dans son pays d’origine, mais qu’il reste en défaut de faire état d’une persécution personnelle vécue ou d’une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.
Il se dégage ainsi des déclarations du demandeur qu’au moment où il a quitté son pays, la situation au Népal était certes déplorable et que la situation sécuritaire était précaire, mais force est cependant de retenir que son récit exprime avant tout un malaise d’ordre général, sans que sa situation personnelle ne se distingue pour autant spécifiquement de celle que connaissent les membres de la communauté népalaise.
Il convient encore de relever qu’entre-temps, il y a eu un accord entre les forces maoïstes et le gouvernement concernant la réorganisation des institutions et la tenue d’élections générales et que la guérilla a cessé ses opérations de déstabilisation du pays.
Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours en réformation laisse d’être fondé.
PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, déclare le recours non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 3 juillet 2006 par :
M. Ravarani, président, Mme Lamesch, premier juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Ravarani 5