Tribunal administratif N° 20650 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 novembre 2005 Audience publique du 3 juillet 2006 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Transports en matière de permis de conduire
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 20650 du rôle et déposée le 15 novembre 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc WALCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, né le … à Ettelbrück, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Transports du 20 avril 2005 portant retrait pur et simple de son permis de conduire un véhicule automoteur, ainsi que de ses permis de conduire internationaux délivrés sur le vu dudit permis national ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 février 2006 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 10 mars 2006 par Maître Marc WALCH pour compte de Monsieur … ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 avril 2006 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Marc WALCH et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline GUILLOU-JACQUES en leurs plaidoiries respectives.
Suivant courrier recommandé du 16 février 2005, Monsieur … fut convoqué à se présenter devant la commission médicale des permis de conduire instituée auprès du ministère des Transports, ci-après dénommée la « commission médicale », pour le 9 mars 2005 « aux fins de vérification de vos aptitudes physiques ».
Suivant courrier du 9 mars 2005, le ministre des Transports, ci-après dénommé le « ministre », invita Monsieur …, conformément aux dispositions de l’article 90 modifié de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 portant règlement de la circulation sur toutes les voies publiques, d’envoyer dans les meilleurs délais au médecin-président de la commission médicale « un avis diabétologique (dr.m.K.) ».
Ledit avis fut dressé par le Dr. Marc K. en date du 11 mars 2005 et enregistré au ministère des Transports en date du 18 mars 2005.
Dans son avis pourtant daté au 9 mars 2005 (sic !), la commission médicale proposa à l’unanimité des voix de retirer le permis de conduire à Monsieur … et le ministre se rallia en date du 7 avril 2005 audit avis.
En date du 20 avril 2005, le ministre, considérant que Monsieur … « souffre d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire », prit à l’égard de ce dernier un arrêté dont l’article 1er est libellé de la façon suivante :
« Le permis de conduire un véhicule automoteur, délivré au susnommé, est retiré. Sont en outre retirés les permis de conduire internationaux délivrés à l’intéressé sur le vu du susdit permis national ».
Par courrier recommandé du 19 juillet 2005, Monsieur …, par l’intermédiaire de son mandataire, introduisit un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle du 20 avril 2005.
En annexe à un courrier recommandé du 28 juillet 2005, le mandataire de Monsieur … communiqua encore au ministre un nouveau certificat médical du Dr. K.
daté au 21 juillet 2005.
Par un nouvel avis du 10 août 2005, la commission médicale proposa à l’unanimité des voix d’émettre un avis défavorable quant à la restitution du permis de conduire à Monsieur … tout en proposant de « demander un avis diabétologique dans six mois et d’en informer l’intéressé », avis auquel le ministre se rallia en date du 17 août 2005.
Par courrier du 22 août 2005, le ministre informa le mandataire de Monsieur … de son « obligation de me rallier à l’avis de la commission médicale » et que « les dispositions de l’arrêté ministériel du 20 avril 2005 restent d’application ».
Par requête déposée le 15 novembre 2005, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle initiale du 20 avril 2005.
Aucun texte de loi ne prévoit un recours au fond en la présente matière, de sorte que le tribunal est incompétent pour connaître du recours en réformation.
Il s’ensuit que seul un recours en annulation, recours de droit commun, a pu être introduit par le demandeur à l’encontre de la décision ministérielle du 20 avril 2005. Dans la mesure où le recours en annulation a été formé dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de son recours, le demandeur soutient en premier lieu que la décision ministérielle critiquée du 20 avril 2005 ne serait motivée que d’une manière stéréotype « ne tenant pas du tout compte de la situation précise du requérant ».
D’après l’article 6 (1) du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, une décision administrative doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, notamment lorsqu’elle révoque ou modifie une décision antérieure. – La sanction de l’obligation de motiver une décision administrative ne consiste cependant que dans la suspension des délais de recours. La décision reste valable et l’administration peut produire ou compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois devant le juge administratif (cf. Cour adm. 8 juillet 1997, n° 9918C du rôle, Pas. adm. 2005, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 47 et autres références y citées). – Les motifs sur lesquels repose l’acte, si l’acte lui-même ne les précise pas, peuvent être communiqués au plus tard au cours de la procédure contentieuse pour permettre à la juridiction administrative d’exercer son contrôle de légalité, étant donné qu’il est loisible à l’administration de présenter ces motifs en cours d’instance, à condition que la juridiction administrative puisse en contrôler la légalité au moment où elle est appelée à statuer (cf. trib. adm. 26 avril 2004, n° 17153 du rôle, Pas. adm. 2005, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 47 et autres références y citées).
En l’espèce, malgré une motivation succincte de l’arrêté ministériel litigieux, notamment en ce qui concerne la précision quant aux infirmités ou troubles dont souffre le demandeur, il appert néanmoins indubitablement à la lecture dudit arrêté et de l’avis de la commission médicale auquel la décision ministérielle se réfère, ensemble les pièces du dossier administratif produit par le délégué du gouvernement -
dont le demandeur a pu prendre examen, de sorte que ses droits de la défense n’ont pas été affectés de ce chef - que le ministre s’est notamment basé sur les constatations faites par la commission médicale et contenues dans l’avis de cette dernière daté au 9 mars 2005, avis duquel il ressort que le demandeur souffrirait de diabète susceptible d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire.
La motivation indiquée dans l’arrêté critiqué, ensemble les éléments communiqués suite à l’introduction du recours gracieux et au cours de l’instruction de l’affaire sous examen, suffisent en conséquence aux exigences de l’article 6 (1) du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 précité, de manière que le moyen tiré d’une motivation insuffisante dudit arrêté est à rejeter.
Monsieur … conclut ensuite à l’annulation de l’arrêté ministériel en cause pour baser sur une mauvaise appréciation des faits.
Dans ce contexte, le demandeur relève que bien que souffrant d’un diabète de type 1, la commission médicale se serait dans le passé à plusieurs reprises prononcée en faveur du maintien de son permis de conduire.
Il signale en outre qu’il serait en traitement depuis des années auprès du Dr.
K., que ce dernier aurait constaté une stabilisation de son état de santé, documenté notamment par un dernier certificat émis le 21 juillet 2005, mais que la commission médicale, de même que le ministre ignoreraient le contenu dudit certificat médical.
Monsieur … précise finalement que la décision critiquée porterait gravement atteinte à ses droits et entraverait sa vie quotidienne et qu’elle s’avérerait particulièrement handicapante dans son chef, ce tant au niveau de la recherche d’un travail, que dans ses possibilités de se déplacer vers un éventuel lieu de travail.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement relève que le demandeur s’est vu délivrer initialement son permis de conduire de catégorie B en date du 9 juillet 1991 uniquement sous réserve de quatre conditions à savoir :
1) de se soumettre à des analyses glycémiques, 2) de produire un certificat opthalmologique, 3) de produire un rapport d’un diabétologue et 4) de se soumettre à des examens médicaux périodiques permettant d’assurer son suivi, ce qui fut le cas de 1990 à 2005.
Or, il se serait avéré que plusieurs incidents se seraient produits en relation avec les problèmes diabétiques du demandeur et plus particulièrement un accident de la circulation en date du 20 mars 1992, une conduite dangereuse en date du 29 novembre 2002, un nouvel accident de la circulation en date du 20 mai 2003 et finalement un accident de la circulation en date du 31 décembre 2004.
Le représentant étatique rappelle pour le surplus que Monsieur … s’est déjà vu retirer une première fois son permis de conduire par arrêté ministériel du 23 octobre 2003, vu que son état de santé aurait connu des stades excessivement variés et qu’il résulterait des certificats médicaux du Dr. K. que « la perception des hypoglycémies est nulle ce qui peut provoquer des comas à l’emporte pièce », de sorte que lesdites données ne pourraient qu’impliquer une suspension immédiate du droit de conduire, étant donné qu’il serait irresponsable de laisser une personne conduire un véhicule sur la voie publique dans de telles conditions.
Le représentant étatique concède que le certificat médical du Dr. K. du 21 juillet 2005 laisse entrevoir une amélioration très minime de l’état de santé de Monsieur …, mais relève également que ledit certificat n’affirmerait pas avec certitude que ledit état de santé est redevenu tout à fait normal permettant une reprise de la conduite automobile. Partant, la décision ministérielle accorderait une large place à la prévention et à la sécurité routière au vu des sérieux problèmes de santé dont souffre Monsieur …, qui constitueraient un danger manifeste pour le demandeur et pour les autres usagers de la route tout en laissant la possibilité de revoir la situation du demandeur en vue de lui permettre une plus grande mobilité sur production d’un nouvel avis du diabétologue prévu pour début février 2006 en vue d’une réévaluation.
Etant donné que Monsieur … ne remplirait cependant pas pour l’instant les conditions physiques nécessaires pour la conduite d’un véhicule automoteur, le délégué du gouvernement soutient que la décision critiquée serait fondée en fait et en droit.
Dans son mémoire en réplique, le demandeur insiste de nouveau sur le fait que son état de santé se serait nettement stabilisé et qu’il ne serait pas établi que les incidents dont il est fait état dans le mémoire en réponse seraient tous en relation avec ses problèmes diabétiques. Partant, au vu de la stabilisation de son état de santé, il ne serait pas irresponsable de maintenir purement et simplement une autorisation de conduire à son profit, sinon de la maintenir sous certaines conditions ou pour certains trajets « dont les déplacements du domicile au lieu de travail et retour, déplacements en vue de se présenter à un entretien d’embauche, déplacements pour consultation de médecin, déplacements pour se rendre à la pharmacie ou en soins ».
Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement signale encore que la commission médicale a pris connaissance de nouveaux certificats établis par le Dr. K. en dates respectivement des 17 janvier et 7 mars 2006, tout en relevant que ledit docteur n’aurait pas affirmé que Monsieur … serait de nouveau apte à conduire un véhicule automoteur, de sorte que la décision prise serait à maintenir.
Il convient de rappeler que la finalité primordiale d’une mesure de retrait administratif du permis de conduire est celle de protéger pour le futur la sécurité des autres usagers de la route contre des personnes représentant un danger potentiel à leur égard et non celle de sanctionner les personnes concernées pour des faits passés.
L’appréciation si une personne présente encore les garanties susvisées doit nécessairement reposer sur son comportement global, pour lequel les infractions antérieurement constatées constituent un élément essentiel (cf. trib. adm. 27 décembre 1999, n° 11391 du rôle, Pas. adm. 2005, V° Transports, n° 22).
Lorsque le juge administratif est saisi d’un recours en annulation, il lui appartient d’examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, ainsi que de vérifier si les éléments de faits dûment établis sont de nature à motiver légalement ladite décision.
Dans le cadre d’un recours en annulation, l’appréciation du caractère proportionnel de la mesure prise par rapport aux faits établis est limitée aux cas exceptionnels où une flagrante disproportion des moyens laisse entrevoir un usage excessif du pouvoir par cette autorité, (cf. Cour adm. 18 juin 2002, n° 14771C du rôle, Pas. adm. 2005, V° Recours en annulation, n° 14 et autres références y citées).
Ceci étant, en l’espèce, force est de constater qu’il se dégage des pièces du dossier administratif que Monsieur … a commis depuis la délivrance de son permis de conduire différentes infractions aux règles de la circulation routière, dont trois peuvent être mises en relation avec son état diabétique, à savoir, un accident de la circulation en date du 20 mars 1992, une conduite dangereuse sur la voie de circulation opposée en date du 29 novembre 2002 et un accident de la circulation suite à un malaise en date du 31 décembre 2004. Or, au regard de l’ensemble des faits établis en l’espèce, les deux derniers étant relativement récents pour être susceptibles de renseigner au moment de la prise de la décision sur l’état de santé et les aptitudes, respectivement capacités de conduire du demandeur, l’arrêté ministériel se justifie et le ministre a pu estimer, au stade où il a été appelé à statuer, sans transgresser les limites de son pouvoir d’appréciation, que les infractions au Code de la route, d’une gravité certaine, justifient le retrait du permis de conduire de Monsieur … et ceci dans un but de protection des autres usagers de la route et de l’intéressé lui-même.
S’il est certes exact que le docteur K., dans son certificat du 21 juillet 2005, a constaté une légère amélioration de l’état de santé de Monsieur …, étant donné que ce dernier ne travaille plus, ce qui a engendré une diminution du facteur « stress » qui déstabilisait le diabète du demandeur en plus des autres facteurs, ledit médecin conclut cependant toujours à un « diabète de type 1 de longue date instable avec complication micro- et macro- angiophatiques », de sorte que ladite amélioration n’est pas de nature à ébranler la conclusion tirée par le ministre dans l’arrêté critiqué.
Il suit des considérations qui précèdent que l’appréciation du ministre dans sa décision de retrait du permis de conduire n’encourt pas de reproches devant conduire à l’annulation de cette décision.
Le recours en annulation est donc à rejeter comme non fondé.
Finalement, il y a lieu de retenir que le tribunal n’est pas compétent pour connaître de la demande formulée par Monsieur … dans son mémoire en réplique tendant au maintien du permis de conduire sous certaines conditions ou pour certains trajets, l’examen de pareille demande par la juridiction saisie présupposant l’existence d’un pouvoir de réformation, que le législateur n’a cependant pas prévu en la matière.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, premier vice-président, M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 3 juillet 2006 par le premier vice-président, en présence de M. Legille, greffier.
s. Legille s. Schockweiler 6