Tribunal administratif N° 19694 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 avril 2005 Audience publique du 28 juin 2006 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision de la Commission de Surveillance du Secteur Financier en matière d’agrément
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 19694 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 20 avril 2005 par Maître Gaston VOGEL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision de la Commission de Surveillance du Secteur Financier, établie et ayant son siège social à L-…, « non datée intervenue probablement autour du 15 novembre 2004 », refusant sa nomination à la fonction de dirigeant agréé de la société anonyme … (Luxembourg) s.a., établie et ayant son siège social à L-… ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Frank SCHAAL, demeurant à Luxembourg, du 21 avril 2005 portant signification de ce recours à la Commission de Surveillance du Secteur Financier ainsi que l’exploit du même huissier du 27 février 2006 portant signification du recours à la société anonyme … (Luxembourg) s.a.;
Vu la constitution d’avocat déposée au greffe du tribunal administratif en date du 29 avril 2005 par Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la Commission de Surveillance du Secteur Financier ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif en date du 21 septembre 2005 par Maître Patrick KINSCH pour compte de la Commission de Surveillance du Secteur Financier ;
Vu la communication de ce mémoire en réponse au mandataire du demandeur intervenue en date du même jour ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 17 octobre 2005 par Maître Gaston VOGEL au nom du demandeur ;
Vu la communication de ce mémoire en réplique au mandataire de la Commission de Surveillance du Secteur Financier intervenue en date du même jour ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 17 novembre 2005 par Maître Patrick KINSCH pour compte de la Commission de Surveillance du Secteur Financier ;
Vu la communication de ce mémoire en réponse au mandataire du demandeur intervenue en date du 16 novembre 2005 ;
Vu l’avis du tribunal administratif du 22 novembre 2005 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Gaston VOGEL et Maître Patrick KINSCH en leurs plaidoiries à l’audience publique du 12 juin 2006.
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Par courrier daté du 20 octobre 2004, la société … s.p.a., succursale de Luxembourg, sollicita sur base de la loi modifiée du 5 avril 1993 relative au secteur financier l’agrément par la Commission de Surveillance du Secteur Financier (ci-après « CSSF ») de Monsieur …, appelé à exercer la fonction de « commercial manager » et de membre du comité de direction au sein de l’établissement de crédit en voie de constitution … (Luxembourg) s.a. (ci-après « … »).
Le 5 novembre 2005, … informa la CSSF que Monsieur … avait été nommé avec effet au 1er novembre 2004 comme membre du comité de direction et comme directeur commercial.
Au cours d’une entrevue tenue le 9 novembre 2004 entre des représentants de la CSSF et des représentants d’ …, ayant fait l’objet d’un procès-verbal daté du 18 novembre 2004, la CSSF informa … de ce qu’elle estimait que Monsieur … ne serait pas le « bon candidat pour faire partie de la direction autorisée d’… » et que la CSSF n’accepterait dès lors pas sa candidature.
Par note datée du 15 novembre 2004 adressée à la CSSF, Monsieur … prit position par rapport aux reproches ayant amené la CSSF à refuser sa candidature et, par courrier daté du 25 novembre 2004 adressé à la CSSF, il informa celle-ci de sa démission en tant que directeur commercial d’… et exigea communication du dossier le concernant ainsi qu’une prise de position formelle de la part de la CSSF, qui lui fut adressée par courrier daté du 26 janvier 2005.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 20 avril 2005, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision de la CSSF « non datée intervenue probablement autour du 15 novembre 2004 » et « secrète » refusant sa nomination à la fonction de dirigeant agréé d’….
Force est prime abord de constater que si conformément à l’article 7, alinéa 3 de la loi modifiée du 5 avril 1993 relative au secteur financier les décisions de la CSSF ayant trait à l’agrément des personnes devant remplir les conditions légales d’honorabilité ou d’expérience professionnelles peuvent faire l’objet d’un recours en réformation, le demandeur s’est en l’espèce limité à demander l’annulation de la décision déférée, la CSSF s’étant d’ailleurs rapportée à prudence de justice en ce qui concerne la recevabilité du recours sous cet aspect.
Or, si, dans une matière dans laquelle la loi a institué un recours en réformation, le demandeur conclut à la seule annulation de la décision attaquée, le recours est néanmoins recevable dans la mesure où le demandeur se borne à invoquer des moyens de légalité (trib. adm.
3 mars 1997, n° 9693, Pas. adm. 2005, V° Recours en réformation, n° 2, p. 661) et que l’intérêt à agir du demandeur reste vérifié par rapport à cette demande.
Il s’avère que la CSSF conteste à ce sujet tout intérêt à agir dans le chef du demandeur, au motif que celui-ci ne serait pas « au niveau du droit administratif, à considérer comme intéressé par la décision négative prise par la CSSF à l’égard de la demande en autorisation de modification de dirigeant qui émanait d’… ».
Le demandeur entend résister à ce moyen en répliquant qu’il aurait « incontestablement un intérêt immédiat et direct d’attaquer cette décision dont la motivation ne lui a été communiquée que très tardivement, sans qu’il ait eu, à aucun moment, le droit de présenter ses observations et moyens de défense » et en soulignant que ce seraient ses qualifications professionnelles et son honorabilité qui ont fait l’objet d’un examen critique et qui ont motivé la décision litigieuse, de sorte que l’intérêt à agir existerait « au premier plan » dans son chef.
Le tribunal constate que la décision directement litigieuse est en l’espèce non pas la décision d’agrément de l’établissement de crédit, mais le refus par la CSSF d’avaliser la nomination de Monsieur … aux fonctions de membre du comité de direction et de directeur commercial, la demande relative à l’approbation de cette nomination n’ayant pas été présentée directement par Monsieur … à la CSSF, mais par … s.p.a., Monsieur … ayant en fait, dans le cadre de ses relations avec …, d’ores et déjà été nommé à ces fonctions. Il en résulte que si Monsieur … n’est pas à considérer d’un point de vue formel comme destinataire direct de la décision incriminée, à défaut d’en avoir été l’impétrant, il doit en revanche être considéré comme directement intéressé, la décision en question, certes prise dans le contexte plus global de l’agrément de l’établissement de crédit, ayant été prise au vu de son honorabilité professionnelle et affectant directement sa situation personnelle privée et professionnelle.
Il en résulte que Monsieur … dispose d’un intérêt personnel et direct à agir en annulation de la décision déférée, étant encore une fois souligné que celle-ci ne consiste pas en la décision de la CSSF de refuser l’agrément d’… mais en sa décision de refuser d’avaliser la nomination du demandeur.
Force est d’ailleurs à ce sujet de constater que la CSSF elle-même, dans son courrier du 21 mars 2005 adressé au demandeur informe ce dernier que « nous considérons que votre personne est l’objet de cette décision et que … (Luxembourg) s.a. est la personne qui nous a fait parvenir une demande d’autorisation. Nous ne considérons donc ni vous-même ni … (Luxembourg) s.a. comme tiers dans ce cas ».
La CSSF soulève encore l’irrecevabilité du recours pour avoir été déposé tardivement.
Elle fait plaider à ce sujet Monsieur … aurait eu immédiatement connaissance de la décision litigieuse, vraisemblablement le 9 novembre 2004 même, « ce qui est illustré par ses démarches entreprises immédiatement auprès de la CSSF », de sorte qu’il lui aurait appartenu d'introduire son recours devant le tribunal administratif dans le délai d'un mois.
Il échet de prime abord de relever que si le demandeur, comme retenu ci-avant, a valablement pu limiter le recours en réformation tel que lui ouvert par la loi en sollicitant uniquement l’annulation de la décision litigieuse, il n’en demeure pas moins qu’il est tenu d’observer les règles de procédure spéciales pouvant être prévues et les délais dans lesquels le recours doit être introduit (trib. adm. 3 mars 1997, n° 9693, Pas. adm. 2005, V° Recours en réformation, n° 2), délais qui sont limités, conformément à l’article 7, alinéa 3 de la loi modifiée du 5 avril 1993 relative au secteur financier, à un mois.
En l’espèce, il se dégage des pièces versées en cause que Monsieur … a été informé oralement de la décision litigieuse orale prise vraisemblablement le 9 novembre 2004 au plus tard le 15 novembre 2004, date à laquelle il a rédigé une note exhaustive adressée à la CSSF, et qu’il s’est vu notifier formellement les motifs de la décision de la CSSF en date du 26 janvier 2005, de sorte que le recours déposé par lui en date du 20 avril 2005 doit, a priori, être considéré comme tardif.
Le demandeur fait cependant valoir que la CSSF aurait omis de lui indiquer les voies de recours contre la décision litigieuse. Il s’avère en l’espèce qu’en effet ni la décision refusant l’agrément d’… ni la décision de refuser la nomination du demandeur - décision orale matérialisée par la lettre du 26 janvier 2005 de la CSSF - ne contiennent une quelconque indication quant aux voies de recours.
Aux termes de l’article 14 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes, « les décisions administratives refusant de faire droit, en tout ou en partie, aux requêtes des parties ou révoquant ou modifiant d´office une décision ayant créé ou reconnu des droits doivent indiquer les voies de recours ouvertes contre elles, le délai dans lequel le recours doit être introduit, l´autorité à laquelle il doit être adressé ainsi que la manière dans laquelle il doit être présenté ».
La CSSF se prévaut à ce sujet d’une jurisprudence administrative pour dénier au demandeur le droit de se prévaloir de l’article 14 en question, en estimant que la sanction de l'inobservation de l'article 14 dudit règlement « ne s'applique qu'au profit du destinataire direct d'un acte administratif, et non au profit de « tiers potentiellement intéressés» par cet acte administratif » tels que le demandeur.
Le tribunal retient cependant qu’en l’espèce, si le demandeur doit être considéré comme tiers par rapport à la décision litigieuse, en ce qu’il n’est ni initiateur, ni destinataire direct de la décision, il ne saurait en revanche être considéré comme « tiers potentiellement intéressé » dans le sens de la jurisprudence invoquée, étant donné que la décision litigieuse l’affecte directement et personnellement, ce que, comme relevé ci-avant, la CSSF admet d’ailleurs dans son courrier du 21 mars 2005 adressé au demandeur. Il convient de surcroît de relever que la décision litigieuse doit être considérée comme modifiant d’office des droits reconnus à Monsieur…, étant donné qu’en refusant d’avaliser sa nomination, la CSSF a contraint … à mettre un terme aux fonctions de ce dernier qui avait été nommé avec effet au 1er novembre 2004 comme membre du comité de direction et comme directeur commercial, respectivement a contraint le demandeur à démissionner.
Il s’ensuit qu’à défaut d’indication des voies et délais de recours dans la décision concernant directement Monsieur …, le délai de recours lui ouvert par la loi doit être considéré comme n’ayant pas pris cours, de sorte que le recours soumis au tribunal est recevable ratione temporis.
Le recours en question, non autrement contesté sous cet aspect, est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes prévues par la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur soulève l’illégalité de la décision déférée en faisant valoir qu’elle violerait les dispositions du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, et plus particulièrement de ses articles 5, 6, 11 et 12, et conteste les motifs avancés par la CSSF aux fins de justifier le refus de sa nomination.
Le tribunal, saisi d’un recours tendant à l’annulation de la décision déférée, vérifie si les motifs sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et contrôle si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés (voir Pas. adm. 2005, V° Recours en annulation, n° 9, et les décisions y citées). Dans ce cadre, il appartient d’abord au tribunal de vérifier la légalité extrinsèque de l’acte lui déféré, avant de se livrer, par le biais de l’examen de la légalité des motifs, au contrôle de la légalité intrinsèque.
Le demandeur fait plaider à ce sujet que la décision déférée, qualifiée de « secrète » aurait été prise « in catimini » par la CSSF sans qu’il ait eu loisir de présenter ses observations et conclut dès lors à une violation de l’article 5 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 précité.
La CSSF résiste à cette argumentation en affirmant que cette disposition ne serait pas applicable à la situation de Monsieur …. Elle estime à ce sujet qu’il serait « très douteux si Monsieur … peut être qualifié en principe de «tiers» au sens de ce texte » Si elle admet que le demandeur n’est ni le demandeur de l'autorisation, ni par conséquent le destinataire de la décision de la CSSF, elle estime qu’il ne saurait en revanche être considéré en tant que tiers intéressé « comme l'est le voisin d'un établissement classé, ou d'une construction que le bourgmestre entend autoriser ».
Elle relève encore que le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 précité « n'a nullement organisé le mode de la «publicité adéquate» que l'autorité administrative doit veiller à donner à ses décisions » et estime que Monsieur …, en sa qualité de dirigeant de l’établissement de crédit, devait avoir été informé de la demande d’agrément déposée par …, de sorte que « la CSSF était dispensée d'organiser par ses propres moyens une publicité qui n'aurait fait que faire double emploi avec l'information dont Monsieur … bénéficiait de toute manière en vertu de ses relations préexistantes avec … ».
Aux termes de l’article 5 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, « lorsqu'une décision administrative est susceptible d'affecter les droits et intérêts de tierces personnes, elle doit lui donner une publicité adéquate, mettant les tiers en mesure de faire valoir leurs moyens. Dans la mesure du possible, l'autorité administrative doit rendre publique l'ouverture de la procédure aboutissant à une telle décision. Les personnes intéressées doivent avoir la possibilité de faire connaître leurs observations. La décision définitive doit être portée par tous moyens appropriés à la connaissance des personnes qui ont présenté des observations ».
L'article 5 a un triple objet, à savoir garantir la publicité de l’ouverture d’une procédure aboutissant à une décision « susceptible d'affecter les droits et intérêts de tierces personnes », permettre aux tiers intéressés de participer activement à l’élaboration de la décision en leur permettant de présenter leurs observations ainsi qu’assurer leur information quant à la décision prise.
Le tribunal, comme retenu ci-avant, ne considère certes pas Monsieur … comme destinataire direct de la décision, mais bien comme tiers par rapport à la décision litigieuse et plus particulièrement comme tiers directement et personnellement concerné, en ce que la décision de la CSSF relative à l’agrément de l’établissement de crédit porte directement appréciation de son honorabilité professionnelle, de sorte qu’il aurait non seulement dû être informé de l’ouverture de la procédure d’agrément, mais encore et surtout qu’il aurait dû être mis en mesure de présenter ses observations par rapport à une question le concernant directement.
Encore que le résultat recherché par l’obligation d’informer Monsieur … semble en l’espèce atteint par le fait non sérieusement contesté que l’intéressé avait connaissance de la procédure d’agrément en cours, force est cependant de constater que la CSSF n’a pas mis Monsieur … en mesure de présenter ses observations préalablement à la prise de la décision litigieuse.
En effet si la CSSF a certes informé … téléphoniquement en date du 8 novembre 2004 de son intention de ne pas accepter Monsieur … (note relative à l’entrevue du 9.11.2004, p.1) et qu’elle a, sur demande de l’impétrant …, consenti à rencontrer certains dirigeants de l’établissement de crédit en question, elle n’a en revanche jamais informé le principal intéressé qu’elle n’entendait pas accepter sa nomination en tant que dirigeant d’…, de sorte à avoir mis le demandeur dans l’impossibilité de présenter ses observations en temps utile, c’est-à-dire avant la prise de la décision litigieuse. Une telle information s’imposait néanmoins tout particulièrement compte tenu du fait que l’honorabilité professionnelle du demandeur était mise en cause.
Il s’ensuit que la décision déférée encourt l’annulation pour violation de l’article 5 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, sans qu’il y ait lieu d’examiner plus en avant les autres moyens d’annulation avancés en cause.
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Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours tendant à l’annulation de la décision déférée en la forme ;
au fond le dit justifié ;
partant, annule la décision non datée de la Commission de Surveillance du Secteur Financier, ayant refusé la nomination de Monsieur … à la fonction de dirigeant agréé de la société anonyme … (Luxembourg) s.a.
condamne la Commission de Surveillance du Secteur Financier aux frais de justice ;
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 juin 2006 par :
Mme Lenert, vice-président Mme Lamesch, premier juge, M. Sünnen, juge, s. Schmit s. Lenert 7