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26/06/2006 | LUXEMBOURG | N°21167

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 juin 2006, 21167


Tribunal administratif N° 21167 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 mars 2006 Audience publique du 26 juin 2006 Recours introduit par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 21167 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 23 mars 2006 par Maître Valérie DEMEURE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Iju-Oke Osoro

(Ondo State, Nigeria), de nationalité nigériane, demeurant actuellement à L-…, tendant à l...

Tribunal administratif N° 21167 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 mars 2006 Audience publique du 26 juin 2006 Recours introduit par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 21167 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 23 mars 2006 par Maître Valérie DEMEURE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Iju-Oke Osoro (Ondo State, Nigeria), de nationalité nigériane, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 14 décembre 2005 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative rendue sur recours gracieux en date du 21 février 2006 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 avril 2006 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions ministérielles entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Valérie DEMEURE, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 3 février 2004, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur … fut entendu en date du 22 juillet 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs se trouvant à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa par lettre du 14 décembre 2005, envoyée par lettre recommandée le 9 janvier 2006, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire (…) [du 3 février 2004] et le rapport d’audition de l’agent du Ministère de la Justice du 22 juillet 2004.

Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous auriez quitté le Nigeria trois semaines avant le dépôt de votre demande d’asile. Un prêtre blanc vous aurait aidé à vous enfuir, et vous aurait présenté un employé du port qui vous aurait introduit illégalement sur un bateau. Vous ne savez pas si le pasteur aurait payé quelque chose, ni où le bateau aurait accosté. Une fois débarqué, un homme blanc se serait occupé de vous, vous aurait donné des vêtements chauds. Vous auriez ensuite été conduit en voiture jusqu’au Luxembourg, où vous vous seriez présenté au bureau de la police à la gare. Le dépôt de votre demande d’asile date du 3 février 2004. Vous ne présentez aucune pièce d’identité.

Il résulte de vos déclarations que vous seriez originaire de l’Etat d’Ondo et appartiendriez à l’ethnie Yoruba. Selon les traditions Iwo qui se pratiquent dans votre village, une personne doit porter « Ebo » à l’occasion du festival d’Iwo célébré chaque année. D’après vos explications (p.9), le culte Iwo protégerait contre la mort et la maladie et le fait de porter « Ebo » empêcherait les malades de mourir.

Cependant, les personnes portant « Ebo » seraient censées mourir peu de temps après puisque la dernière personne ayant porté « Ebo » il y a trois ans serait décédée trois mois plus tard. Or, lors du dernier festival Iwo en septembre 2003, vous auriez été désigné pour porter « Ebo ». Vous auriez peur de mourir ou d’être battu par les gens du village du fait que vous refuseriez de porter « Ebo », et vous vous seriez par conséquent enfui dans la forêt. Une personne que vous connaîtriez d’avant, Olabode Omajugba, vous aurait ensuite aidé à rejoindre Lagos puis quitter votre pays.

Enfin, vous admettez n’avoir subi aucune persécution ni mauvais traitement, et ne pas être membre d’un parti politique.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Force est cependant de constater que votre demande ne correspond à aucun critère de fond défini par la Convention de Genève et que vous ne faites pas état de persécutions ou de craintes de persécutions dans votre pays d’origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, appartenance à un groupe social ou de vos opinions politiques. En effet, en l’espèce, le fait de fuir votre village afin de ne pas avoir à participer au festival Iwo ne pourra être considéré comme acte de persécution ou justifier une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. En effet, votre crainte de mourir après avoir porté « Ebo », ou de vous faire battre par les gens de votre village si vous ne le portez pas traduit plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. En tout état de cause, cette crainte apparaît peu vraisemblable puisque, d’après vos dires lors de l’audition, les pratiques rituelles des Iwos auraient comme objectif la protection contre la mort et la maladie (p. 9 du rapport d’audition). En outre, vous fondez vos craintes de mourir sur le fait unique d’une personne ayant porté « Ebo » il y a trois ans qui serait décédée ensuite, alors que le festival serait annuel. Or, vos descriptions nous incitent à croire que le décès dont vous faites référence pourrait plutôt être accidentel, puisqu’aucun lien de causalité entre le décès et le fait de porter « Ebo » n’est établi.

Quoi qu’il en soit, ni les dieux Iwos, ni les gens de votre village ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la prédite Convention, d’autant plus qu’il ne ressort pas de votre dossier que vous auriez demandé la protection des autorités nigérianes. Il n’est par conséquent pas établi que celles-ci n’auraient pas été en mesure ou auraient refusé de vous accorder une protection quelconque.

Enfin, vous n’apportez en l’espèce aucune raison valable justifiant une impossibilité de vous installer dans une autre région de votre pays d’origine pour ainsi profiter d’une fuite interne.

Ainsi, vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est par conséquent pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. ».

Un recours gracieux fut introduit à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 14 décembre 2005 par lettre du mandataire de Monsieur … du 7 février 2006, parvenu au ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration le 8 février 2006. Ledit recours gracieux fut rejeté par une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration le 21 février 2006.

Par requête déposée le 23 mars 2006, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions ministérielles précitées des 14 décembre 2005 et 21 février 2006.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre compétent d’avoir commis une erreur d’appréciation des faits en refusant sa demande d’asile, en exposant qu’il appartiendrait à l’ethnie « Yoruba », que selon les traditions « Iwo » qui se pratiqueraient dans son village une personne désignée devrait porter « Ebo » à l’occasion d’un festival célébré annuellement, que ce culte empêcherait les malades de mourir, mais que les personnes portant « Ebo » seraient censées mourir par après.

Or, comme il aurait été désigné pour porter « Ebo » lors du festival de septembre 2003, il aurait eu peur de mourir respectivement d’être battu par les autres habitants de son village et il se serait par conséquent enfui dans la forêt avant de rejoindre Lagos et de quitter son pays d’origine par bateau pour l’Europe.

Le représentant étatique soutient que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que son recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, le demandeur, en invoquant sa crainte d’être persécuté par des habitants de son village d’origine, se prévaut d’actes de persécution émanant non pas des autorités publiques, mais de personnes privées. S’agissant ainsi d’actes émanant de certains éléments de la population, une persécution commise par des tiers peut uniquement être considérée comme fondant une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève en cas de défaut de protection de la part des autorités publiques pour l’un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile. Il convient d’ajouter que la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s). Pareillement, ce n’est pas la motivation d’un acte criminel qui est déterminante pour ériger une persécution commise par un tiers en un motif d’octroi du statut de réfugié, mais l’élément déterminant à cet égard réside dans l’encouragement ou la tolérance par les autorités en place, voire l’incapacité de celles-ci d’offrir une protection appropriée.

Or, en l’espèce, le demandeur reste en défaut de démontrer concrètement que les autorités nigérianes chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics ne soient ni disposées ni capables de lui assurer un niveau de protection suffisant, étant relevé qu’il ne s’est à aucun moment adressé aux autorités en place.

Par ailleurs, il n’appert pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal qu’une possibilité de fuite interne lui aurait été impossible, pareille possibilité de trouver refuge dans une autre partie de son pays d’origine paraissant tout à fait possible, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité d’un demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2005, V° Etrangers, n° 62 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schroeder, premier juge M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 26 juin 2006 par le premier juge, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schroeder 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 21167
Date de la décision : 26/06/2006

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2006-06-26;21167 ?

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