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19/06/2006 | LUXEMBOURG | N°21012

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 juin 2006, 21012


Numéro 21012 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 février 2006 Audience publique du 19 juin 2006 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 21012 du rôle, déposée le 13 février 2006 au greffe du tribunal administratif par Maître David YURTMAN, avocat à

la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le...

Numéro 21012 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 février 2006 Audience publique du 19 juin 2006 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 21012 du rôle, déposée le 13 février 2006 au greffe du tribunal administratif par Maître David YURTMAN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Lagos State/Nigeria), de nationalité nigériane, demeurant actuellement à L- …, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 10 novembre 2005 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 10 janvier 2006 prise sur recours gracieux;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 mars 2006;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, en présence de Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline GUILLOU-JACQUES qui s’est référée au mémoire écrit de la partie publique à l’audience publique du 12 juin 2006.

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Le 19 novembre 2003, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu en date du 20 octobre 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 10 novembre 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministre », l’informa que sa demande avait été rejetée comme étant non fondée en émettant d’abord des doutes quant à la crédibilité du récit présenté à l’appui de la demande d’asile du fait que de nombreuses corrections, parfois substantielles, ont été apportées par Monsieur … au rapport d’audition au moment de la relecture, étant entendu que nombreuses de ces corrections auraient tendu à transformer les réponses fournies dans le sens d’exagérer les persécutions réellement vécues et de relativiser la motivation économique pourtant clairement mise en avant lors de l’audition. Le ministre a retenu ensuite que même à supposer les faits allégués comme étant établis, ils ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’ils ne pourraient, à eux seuls, fonder une crainte justifiée d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section 1, paragraphe 2 de la Convention de Genève. Ainsi les membres de l’OPC, désignés par le demandeur en tant qu’agents de persécution, ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève, faute de s’analyser en des autorités étatiques, ceci d’autant plus que le gouvernement fédéral du Nigeria aurait interdit l’OPC en 1999, mais que malgré cela Monsieur … n’aurait pas pour autant porté plainte auprès des autorités nigérianes compétentes contre les agissements allégués. Après avoir relevé le défaut du demandeur d’avoir établi que les autorités lui auraient refusé toute protection ou auraient été dans l’incapacité de lui fournir une protection quelconque contre les agissements des membres de l’OPC, le ministre a retenu que les problèmes afférents allégués traduiraient un sentiment général d’insécurité plutôt qu’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par ailleurs, concernant les motifs sociaux, ainsi qualifiés, avancés par Monsieur …, le ministre a retenu que son désir de poursuivre ses études et de s’établir au Luxembourg, bien que compréhensible, ne rentrerait pas pour autant dans le cadre d’une persécution prévue par la Convention de Genève et ne sauraient par conséquent fonder une demande en obtention du statut de réfugié. Il a constaté finalement que Monsieur … n’aurait avancé aucune raison valable justifiant une impossibilité dans son chef de s’installer dans une autre région de son pays d’origine.

Le recours gracieux que Monsieur … a fait introduire par courrier de son mandataire datant du 9 décembre 2005 à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 10 novembre 2005 s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 10 janvier 2006, il a fait introduire, par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 13 février 2006 un recours contentieux tendant à la réformation des deux décisions ministérielles ci-avant visées des 10 novembre 2005 et 10 janvier 2006.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il a dû fuir son pays en raison de persécutions consécutives à ses croyances religieuses et à son refus des croyances que l’OPC aurait voulu lui imposer, tout en se réservant le droit de produire en cours de procédure de plus amples informations sur la nature et les méthodes de l’OPC. En droit, il reproche au ministre de ne pas avoir motivé à suffisance les décisions litigieuses. Il critique plus particulièrement le fait pour le ministre d’avoir mis en doute la crédibilité de son récit au motif qu’il a apporté des corrections qualifiées de substantielles à son récit au moment de la relecture du rapport d’audition, alors que la raison d’être de cette relecture serait précisément de s’assurer que le demandeur d’asile ait bien compris les questions qui lui avaient été posées ainsi que de lui permettre de vérifier s’il n’a pas oublié des choses importantes. Il estime ainsi que la crédibilité du récit présenté par un demandeur d’asile serait à apprécier uniquement à la lecture du rapport final et non pas à déduire de corrections.

Il se réfère pour le surplus à ses déclarations en rapport avec les problèmes allégués avec l’OPC qui aurait tenté de l’endoctriner par la force, ainsi qu’au fait qu’il n’aurait pas pu bénéficier de la protection des autorités policières en raison de la puissance de l’OPC, pour soutenir qu’il aurait établi à suffisance une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève dans son chef.

Le délégué du Gouvernement rétorque que le refus allégué du demandeur d’adhérer au groupe OPC ainsi que de céder à la pression de celui-ci ne correspondrait à aucun des critères de fond de la Convention de Genève, étant donné que les membres de ce groupe ne sauraient être considérés comme des agents de persécution au sens de cette convention et qu’il ne serait pas établi en cause que les autorités nigérianes auraient été dans l’incapacité ou auraient refusé de protéger de Monsieur … s’il avait requis leur soutien.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 20 octobre 2004, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, les persécutions avancées par le demandeur de la part de membres du groupe OPC du fait de son refus de devenir un chef prêtre dans leur société ainsi qu’un docteur pour l’oracle « modarikan » à Akanran dans l’Etat de Oyo, n’émanent pas de l’Etat, mais d’éléments groupés de la population lesquels ne sauraient en tant que tels être considérés comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-

Yves CARLIER : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

Compte tenu des déclarations afférentes du demandeur, le ministre a valablement pu retenir que Monsieur … est resté en défaut de fournir une explication satisfaisante à son défaut d’avoir sollicité la protection des autorités en place. En effet, aucune pièce afférente n’a été versée en cause et le demandeur, malgré le droit qu’il s’est réservé à travers sa requête introductive d’instance de produire en cours de procédure de plus amples informations sur la nature et les méthodes de l’OPC, n’a pas autrement étayé son récit sur ce point dans le cadre d’un éventuel mémoire en réplique ou moyennant production de pièces complémentaires, de sorte que le motif de refus afférent retenu à la base de la décision litigieuse n’est pas sérieusement ébranlé par les moyens avancés en cause.

Il s’y ajoute que le récit du demandeur acté au dossier moyennant le rapport d’audition du 20 octobre 2004 laisse clairement entendre, même après correction, que les raisons ayant poussé le demandeur à fuir son pays d’origine sont également d’ordre économique, l’intéressé ayant à plusieurs reprises exprimé son désir de continuer son éducation au Grand-Duché de Luxembourg et d’y trouver de meilleurs conditions de vie.

Quant aux explications avancées par Monsieur … pour rencontrer la question de l’agent d’audition ainsi que le motif de refus du ministre en rapport avec une éventuelle possibilité de fuite interne, force est encore de constater que la prise de position de Monsieur …, non autrement explicitée en cours d’instance contentieuse, n’emporte pas la conviction du tribunal. L’affirmation que l’oracle serait très puissant (« because the oracle is very strong and Djudju is major part of it ») et qu’il serait dès lors menaçant dans toute l’Afrique (« the threat is there »), - sans pour autant inquiéter l’intéressé au Grand-Duché de Luxembourg -, paraît pour le moins difficilement conciliable avec l’affirmation que personnellement, en tant que chrétien, il ne croit pas à l’oracle (« If you are a christian, how can you believe in those things ? I personally don’t believe in it.”) Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que le recours en réformation doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 19 juin 2006 par:

Mme Lenert, vice-président Mme Lamesch, premier juge M. Sünnen, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 21012
Date de la décision : 19/06/2006

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2006-06-19;21012 ?

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