La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/06/2006 | LUXEMBOURG | N°20858

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 juin 2006, 20858


Tribunal administratif N° 20858 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 janvier 2006 Audience publique du 14 juin 2006

=============================

Recours introduit par Madame …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

------------------------------------------------------------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 20858 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 2 janvier 2006

par Maître Valérie DEMEURE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembour...

Tribunal administratif N° 20858 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 janvier 2006 Audience publique du 14 juin 2006

=============================

Recours introduit par Madame …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

------------------------------------------------------------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 20858 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 2 janvier 2006 par Maître Valérie DEMEURE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à Lagos State (Nigeria), de nationalité nigériane, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 11 novembre 2005, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 mars 2006 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline GUILLOU-JACQUES en sa plaidoirie.

_____________________________________________________________________

Le 31 décembre 2003, Madame … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Madame … fut entendue par un agent de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Madame … fut en outre entendue en date du 7 juin 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, entre-temps devenu compétent en la matière, l’informa par lettre du 11 novembre 2005, envoyée par lettre recommandée le 16 novembre 2005, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée, aux motifs énoncés comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire de la même date et le rapport d’audition de l’agent du Ministère de la Justice du 7 juin 2004.

Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous auriez quitté le Nigeria vers le 20 décembre 2003 par avion, sans que vous n’ayez pu donner d’explications quant à votre lieu de départ. Vous vous seriez faite entièrement prendre en charge par une personne qui vous aurait accompagnée jusqu’au Luxembourg, sans aucune contrepartie financière. Vous seriez arrivée au Luxembourg le 27 décembre 2005 (sic !). Le dépôt de votre demande d’asile date du 31 décembre 2005 (sic !). Vous ne présentez aucune pièce d’identité.

Il résulte de vos déclarations que vous seriez musulmane, que vous seriez née à Lagos mais que vous auriez déménagé dans la province de Zamfara à cause de la Sharia et des musulmans qui seraient en conflit partout. Vous auriez alors eu des problèmes avec les musulmans de Zamfara qui appliquent la Sharia et auraient menacé de vous tuer lorsqu’ils auraient appris que vous auriez fait l’amour avec un homme sans pour autant être mariée. En avril 2003, vous auriez décidé de quitter votre pays parce que vous seriez persécutée par les gens qui appliquent la Sharia à Zamfara, et parce que vous n’auriez pas le droit de porter des pantalons ni de faire l’amour à un autre homme.

Vous n’auriez pas demandé de protection aux autorités nigérianes compétentes.

Enfin, vous ne faites pas état d’autres persécutions ou problèmes, et n’auriez subi aucun mauvais traitement. Vous ne seriez également pas membre d’un parti politique.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

A défaut de pièces, un demandeur d’asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Or, force est de constater que des contradictions et invraisemblances dans votre récit laissent planer certains doutes quant à la véracité des faits invoqués, ainsi que sur votre identité. En effet, vous prétendez être musulmane alors que vos connaissances sur l’Islam sont plus que lacunaires. Selon vous, le prophète Mahomet serait mort en 1976, le livre sacré de l’Islam serait « Smla », et les cinq bases de l’Islam seraient la prière, couvrir sa tête, et ne pas avoir d’autre époux lorsqu’on se marie. Lorsque la question vous est à nouveau posée en fin d’audition, vous dites ne pas savoir quels sont les cinq piliers de l’Islam, et vous ignorez le nombre de Surahs dans le Coran. Le fait que vous invoquiez spontanément Dieu (« God is my witness ») avant de vous corriger pour invoquer Allah renforce nos doutes sur votre origine. Vos réponses concernant votre groupe ethnique sont également surprenantes, puisque vous répondez « Safara » (qui n’est pas un groupe ethnique au Nigeria) lorsque la question sur votre appartenance ethnique vous est posée une première fois – p.2 -, puis lorsqu’elle vous est reposée – p.6 – vous ne comprenez d’abord pas, puis approuvez lorsque l’agent du Ministère vous suggère Yoruba. En outre, le fait que vous soyez nigériane peut également être mis en doute puisque vous ne connaissez pas le jour de la fête nationale du Nigeria, et hésitez dans la description du drapeau. Enfin, si vous aviez réellement résidé dans la province de Zamfara, vous ne l’auriez pas appelée « Shafara » - p.5.

En ce qui concerne votre récit, des contradictions flagrantes sont également à relever, notamment en ce qui concerne le début de vos problèmes. En p.4, vous dites qu’ils ont commencé en 1999 alors qu’en p.5, vous répondez qu’ils ont débuté en janvier 2003, mais quelques lignes plus loin, vous expliquez que l’incident qui aurait provoqué ces problèmes aurait eu lieu seulement en avril 2003 ! En outre, vous auriez vécu avec votre mère jusqu’au début de vos problèmes, alors que deux minutes auparavant vous avez dit que votre mère serait décédée en 1985 ! De plus, vous restez très vague lorsqu’il vous est demandé qui exactement vous poursuit, et ne connaissez que le prénom (ni nom, ni religion) de l’homme avec qui vous auriez fait l’amour, par erreur, et à cause duquel vous auriez eu autant de problèmes. Vous ne vous souvenez de rien en ce qui concerne votre voyage en avion jusqu’en Europe. Enfin, à la suite de votre problème en avril 2003, vous dites vous être réfugiée chez Alajin pendant 3 jours avant de venir au Luxembourg – p.6 – alors que vous auriez auparavant dit avoir quitté le Nigeria en décembre 2003 – p.3… Au vu de ce qui précède, il convient de relever que selon l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ». Par ailleurs, l’article 6 2b) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 précitée, dispose que « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle repose clairement sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile. Tel sera le cas notamment lorsque le demandeur a délibérément fait de fausses déclarations verbales ou écrites au sujet de sa demande, après avoir demandé l’asile ».

Je vous informe qu’une demande d’asile qui peut être déclarée manifestement infondée peut, a fortiori, être déclarée non fondée pour les mêmes motifs.

Force est de constater que, outre ces nombreux mensonges qui entachent sérieusement la crédibilité de vos autres déclarations, votre demande ne correspond à aucun critère de fond défini par la Convention de Genève. Vos craintes d’être tuée par des membres de votre communauté ne sont basées sur aucun fait réel et ne sauraient par conséquent fonder une demande en obtention du statut de réfugié politique. A cela s’ajoute que ces musulmans, par ailleurs inconnus, ne sauraient constituer des agents de persécution. En effet, des craintes de persécutions commises par des groupes ou des personnes qui ne sont pas sous le contrôle du gouvernement peuvent être invoquées à l’appui d’une demande d’obtention du statut de réfugié si les autorités gouvernementales soutiennent ces groupes ou personnes, les tolèrent ou n’assurent pas une protection adéquate des victimes et si les victimes sont visées pour une des causes énumérées à la Convention de Genève. Or, il ressort du rapport de l’audition que vous n’avez pas requis la protection des autorités de votre pays, il n’est ainsi pas démontré que celles-ci seraient dans l’incapacité de vous protéger ou bien qu’elles encourageraient vos prétendus ennemis.

Enfin, il ressort de votre dossier que vous êtes née et avez vécu dans une région du Nigeria où la Sharia n’est pas appliquée, donc où vous n’auriez pas eu les problèmes que vous invoquez pour demander l’asile. La raison pour laquelle vous auriez quitté cette région n’est par ailleurs pas clairement établie. Vous auriez par conséquent facilement pu retourner à Lagos ou vous installer dans une autre région ou Etat du Nigeria pour ainsi profiter d’une possibilité de fuite interne.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe sociale n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 2 janvier 2006, Madame … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 11 novembre 2005.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable.

Le recours en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse reproche au ministre compétent d’avoir commis une erreur d’appréciation des faits lui soumis en refusant de faire droit à sa demande d’asile, au motif qu’elle risquerait dans son pays d’origine, à savoir le Nigeria, des persécutions en raison du fait qu’elle aurait eu des relations sexuelles hors mariage. Elle estime partant risquer la flagellation ou la mort par lapidation que les tribunaux nigérians pro-islamistes risqueraient de prononcer à son encontre.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration aurait fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse et que son recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par la demanderesse lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions et force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal.

En l’espèce, il échet de constater, au-delà du caractère vague du récit présenté par la demanderesse et des incohérences y contenues, que la demanderesse craint risquer des persécutions de la part de personnes résidant au Nigeria, qui seraient à sa recherche en vue de la tuer, sans toutefois fournir plus d’indications à leur sujet, partant de la part de personnes étrangères aux autorités publiques, qui ne peuvent être considérées comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève, de manière que les faits invoqués par la demanderesse s’analysent en une persécution émanant non pas de l’Etat, mais de personnes privées et ne sauraient dès lors être reconnus comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéfice pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève ou si elles sont incapables de fournir une telle protection. Il convient d’ajouter que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence et qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel. Il ne saurait en être autrement qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile1.

Or, la demanderesse n’a soumis aucun indice concret relativement, d’une part, à un risque de persécution de la part de membres de groupements religieux à son encontre et, d’autre part, à l’incapacité actuelle des autorités compétentes de lui fournir une protection adéquate, voire allégué une démarche concrète en vue d’obtenir la protection de la part des autorités en place. En effet, il ne suffit pas de soutenir que des personnes non autrement déterminées la persécuteraient en raison du fait d’avoir eu des relations sexuelles hors mariage pour établir de facto que des membres d’une certaine communauté religieuse, voire les autorités en place risqueraient de persécuter la demanderesse pour les mêmes motifs. Par ailleurs, la demanderesse n’a pas établi que lesdites autorités toléreraient, voire favoriseraient la commission d’actes de persécution à son égard de la part desdites personnes, voire par d’autres membres de la communauté islamique.

Enfin, la demanderesse n’a pas établi qu’elle serait dans l’impossibilité de trouver refuge à l’intérieur de son pays d’origine où il existe des Etats qui ne sont pas soumis à la loi de la charia.

Il suit de ce qui précède que la demanderesse n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, premier vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 14 juin 2006 par le premier vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

1 cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s Legille Schockweiler 7


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 20858
Date de la décision : 14/06/2006

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2006-06-14;20858 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award