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13/06/2006 | LUXEMBOURG | N°21176C

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 juin 2006, 21176C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 21176C Inscrit le 24 mars 2006

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Audience publique du 13 juin 2006 Recours formé par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration dirigé contre un jugement du tribunal administratif rendu dans l’affaire ayant opposé … et consorts à une décision du dit ministre en matière de police des étrangers - Appel et appel incident -

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GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 21176C Inscrit le 24 mars 2006

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Audience publique du 13 juin 2006 Recours formé par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration dirigé contre un jugement du tribunal administratif rendu dans l’affaire ayant opposé … et consorts à une décision du dit ministre en matière de police des étrangers - Appel et appel incident -

(jugement entrepris du 13 mars 2006, no 20663 du rôle)

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Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 21176C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 24 mars 2006 par Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul Reiter, agissant en nom et pour compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, sur base d’un mandat lui conféré par le ministre délégué des Affaires étrangères et de l’Immigration en date du 22 mars 2006, dirigée contre un jugement rendu par le tribunal administratif le 13 mars 2006 dans l’affaire ayant opposé …, né le … à … (Russie), de nationalité russe et de son épouse …, née le …. à …(Ukraine), de nationalité ukrainienne, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leur enfant mineur …, né le …. à …, demeurant actuellement ensemble à L-…, à une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 29 juillet 2005 portant rejet de leur demande en obtention d’une autorisation de séjour pour raisons humanitaires, sinon du statut de tolérance, et d’une décision confirmative dudit ministre du 24 août 2005, rendue sur recours gracieux, jugement par lequel le tribunal administratif a reçu le recours subsidiaire en annulation en la forme, au fond, l’a déclaré non justifié dans la mesure où les décisions ministérielles déférées ont refusé de faire droit à la demande en obtention d’une autorisation de séjour pour raisons humanitaires et en a débouté;

Vu la notification de ladite requête d’appel par voie postale à l’intimé … et à son mandataire Maître Sandra Vion en date du 27 mars 2006 ;

Vu le mémoire en réponse contenant appel incident présenté par Maître Sandra Vion à la Cour administrative en date du 27 avril 2006 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Ouï le conseiller en son rapport à l’audience publique de la Cour administrative ainsi que le délégué du Gouvernement Jean-Paul Reiter et Maître Sandra Vion en leurs observations orales.

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Par requête inscrite sous le numéro 21176C du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 novembre 2005 par Maître Sandra Vion, avocat à la Cour, …, né le … à … (Russie), de nationalité russe et de son épouse …., née le … à …. (Ukraine), de nationalité ukrainienne, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leur enfant mineur …, né le … à Luxembourg, demeurant actuellement ensemble à L-…., ont demandé l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 29 juillet 2005 portant rejet de leur demande en obtention d’une autorisation de séjour pour raisons humanitaires, sinon du statut de tolérance, et d’une décision confirmative dudit ministre du 24 août 2005, rendue sur recours gracieux.

Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement en date du 13 mars 2006 a reçu le recours subsidiaire en annulation en la forme, au fond, l’a déclaré non justifié dans la mesure où les décisions ministérielles déférées ont refusé de faire droit à la demande en obtention d’une autorisation de séjour pour raisons humanitaires et en a débouté.

Il a déclaré le recours justifié dans la mesure où les décisions ministérielles déférées n’ont pas pris position par rapport à la demande subsidiaire en obtention d’un statut de tolérance et a annulé la décision implicite de rejet du ministre se dégageant du silence observé par ce dernier par rapport à la demande subsidiaire en obtention d’un statut de tolérance introduite par les demandeurs en date du 5 juillet 2005 en renvoyant l’affaire en prosécution de cause devant le ministre.

Fort d’un mandat délivré par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 22 mars 2006, le délégué du Gouvernement Jean-Paul Reiter a déposé un acte d’appel en date du 24 mars 2006 dans lequel la partie appelante demande la réformation du premier jugement.

Le Gouvernement fait valoir que ce serait à tort que le tribunal a retenu qu'une décision de refus implicite serait à annuler pour défaut de motivation, en estimant que « la communication et la motivation de la décision doivent permettre à l'administré de connaître exactement sa situation administrative et de juger ainsi, en pleine connaissance de cause, de l'opportunité d'un recours contentieux de sa part ».

De même, ce serait à tort que le tribunal a estimé qu'admettre que la communication postérieure en cours de procédure contentieuse de la prise de position de l'autorité compétente puisse couvrir le silence au niveau précontentieux aboutirait à vider l'article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 de sa substance.

Le nouveau revirement de jurisprudence opéré par le jugement dont appel serait clairement contraire à l'esprit du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des Communes.

Le représentant gouvernemental souligne que la sanction de l'obligation de motiver une décision administrative consisterait en principe dans la suspension des délais de recours, la décision restant valable lorsque l'administration produit ou complète de manière utile les motifs postérieurement et même pour la première fois devant le juge administratif.

Maître Sandra Vion a déposé un mémoire en réponse en date du 27 avril 2006 au greffe de la Cour administrative dans lequel elle demande acte qu’elle interjette appel incident contre le 2 jugement du 13 mars 2006 en ce qu'il a rejeté le recours en annulation dirigé contre les décisions ministérielles portant rejet de la demande en obtention d'une autorisation de séjour.

Ce serait à tort que les premiers juges ont rejeté le recours en ce qu'il était dirigé contre les décisions portant refus d'octroi d'une autorisation de séjour pour raisons humanitaires.

Les premiers juges auraient estimé à tort que le ministre avait pu se baser sur le défaut de moyens personnels propres pour refuser l'entrée et le séjour et que la loi du 28 mars 1972 concernant l'entrée et le séjour des étrangers ne comportait aucune disposition relative à l'octroi d'une autorisation de séjour pour raisons humanitaires.

Il conviendrait cependant de rappeler que l'article 2 de la loi du 28 mars 1972 conférerait un pouvoir d'appréciation au ministre en matière d'octroi d'autorisation de séjour et énumérait les cas de figure dans lesquels il peut refuser de délivrer une autorisation de séjour.

L'article 3 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes prévoirait que «toute autorité administrative est tenue d'appliquer d'office le droit applicable à l'affaire dont elle est saisie».

Force serait de constater que les appelants ont présenté une demande d'autorisation de séjour pour raisons humanitaires, en se basant sur les dispositions de l'article 14 in fine de la loi du 28 mars 1972.

Même si la base légale invoquée par les appelants, quod non, était erronée, alors qu'elle serait étrangère à la matière d'autorisation de séjour et ne viserait que celle de l'expulsion, il aurait appartenu au ministre d'examiner d'office cette demande non pas seulement au regard des dispositions de l'article 2 de la loi précitée, mais aussi au regard de la législation applicable en matière d'autorisation de séjour pour raisons humanitaires, et ce conformément à l'article 3 du règlement grand-ducal 8 juin 1979.

En tout état de cause, force serait de constater que le ministre a effectivement examiné cette demande au regard de la législation applicable en matière d'autorisation de séjour pour raisons humanitaires, alors qu'il a pris soin de préciser dans sa décision que « par ailleurs, je suis amené à constater que vos mandants ne font pas état de raisons humanitaires justifiant une autorisation de séjour au Luxembourg ».

En outre, dans son mémoire du 20 décembre 2005, le délégué du gouvernement aurait précisé qu'il n'existerait aucune raison valable d'admettre que le retour soit en Russie soit en Ukraine exposerait les requérants à des traitements dégradants ou inhumains ou encore que leur vie ou leur liberté serait gravement menacée.

Le juge administratif, lorsqu'il est saisi d'un recours en annulation, aurait le droit et l'obligation d'examiner l'existence et l'exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, de vérifier si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée, et de contrôler si cette décision n'est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés.

Il aurait appartenu au tribunal d'examiner le bien fondé du recours en annulation au regard non seulement des dispositions de l'article 2, respectivement de l'article 14 in fine de la loi du 3 20 mars 1972 invoquées par les parties intimées, mais aussi au regard de la législation générale applicable en matière d'autorisation de séjour pour raisons humanitaires à laquelle le prédit article 14 in fine ferait expressément référence, et à laquelle le ministre a expressément fait référence dans sa décision du 29 juillet 2005, à savoir les engagements internationaux ratifiés par le Grand-Duché de Luxembourg qui l'emporteraient sur de simples règles de droit interne (à savoir la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ainsi que la Convention des nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants).

Quant à la demande en obtention d'un statut de tolérance, les intimés font valoir que ce serait à bon droit que les premiers juges ont estimé qu'il y avait lieu à annulation pour défaut de motifs des décisions ministérielles critiquées et ils se réfèrent dans ce contexte aux développements contenus au jugement entrepris.

Ce serait à bon droit que les premiers juges ont estimé que la communication et la motivation sont des conditions essentielles de la légalité d'un acte administratif, qui ne saurait être couverte a posteriori par le biais d'une communication en cours de procédure contentieuse.

Pour être tout à fait complet, les intimés relèvent que les motifs mêmes invoqués a posteriori devraient être rejetés et que la décision de refus d'octroi du statut de tolérance devrait encourir l'annulation pour absence de motifs.

Quant à l’appel incident Sur le vu des faits pour autant qu’ils sont relatifs à l’obtention d’une autorisation de séjour humanitaire et qui sont les mêmes que ceux soumis aux juges de première instance, la Cour estime que ceux-ci ont, dans un examen complet et minutieux de tous les éléments recueillis, apprécié ces derniers à leur juste valeur et en ont tiré des conclusions juridiques exactes.

Conformément aux dispositions de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger :

 qui est dépourvu de papiers de légitimation prescrits, et de visa si celui-ci est requis,  qui est susceptible compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics,  qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour. » Cette disposition légale confère au ministre compétent la faculté de refuser l’entrée et le séjour au pays à un étranger qui ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite notamment de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers.

Etant donné que la légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait existant au jour où elle a été prise et qu’il appartient au juge de l’annulation de vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute, c’est à juste titre que les premiers juges ont constaté en l’espèce que les demandeurs ne 4 disposaient pas de moyens personnels suffisants susceptibles de leur permettre de subvenir à leurs besoins de subsistance au pays.

Il s’ensuit que c’est à bon droit et sans commettre une violation de la loi ou une erreur manifeste d’appréciation que le ministre compétent a pu se baser sur le défaut de moyens personnels propres légalement acquis au moment de la prise de la décision litigieuse pour refuser l’entrée et le séjour au pays aux demandeurs.

En ce qui concerne les raisons, qualifiées d’humanitaires, et avancées par les demandeurs aux fins de justifier l’obtention de l’autorisation de séjour sollicitée, la Cour se rallie et faits siens les arguments des premiers juges en ce qu’ils ont constaté que la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée ne comporte aucune disposition imposant, voire prévoyant l’octroi d’une autorisation de séjour pour raisons humanitaires.

Il y a lieu de relever dans ce contexte que la référence à l’article 14 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée n’est pas pertinente en l’espèce, la disposition d’ordre humanitaire de l’article 14 ne s’appliquant qu’à la matière de l’expulsion, matière étrangère à la question de l’attribution d’une autorisation de séjour (Cour adm. 29 novembre 2005, n° 20059C).

Il s’ensuit que l’appel incident est à déclarer non fondé.

Quant à l’appel principal L’acte d’appel est recevable pour avoir été formé dans les forme et délais de la loi.

Le litige actuellement soumis à la Cour consiste à analyser les conséquences à tirer d’un refus implicite provoqué par le silence de l’administration.

Le recours contentieux contre le silence de l’Administration, initialement introduit dans le droit administratif du Grand-Duché par l’article 4 de la loi du 20 juillet 1939 ayant pour objet la modification de la loi sur l’organisation du Conseil d’Etat, Comité du Contentieux, interprète l’inaction prolongée de l’Administration comme un mode d’exercice de la fonction.

Ladite inaction est réputée constituer une manifestation d’opinion impliquant une décision négative ayant des conséquences juridiques et donnant ouverture au recours. Cette fiction empêche l’inertie administrative et permet le contrôle contentieux ouvert en principe seulement contre une décision formalisée préalable.

S’il est vrai que tant le silence de l'administration suite à une requête légitime que l'absence de motivation d'une décision peuvent constituer l'administration en faute si elle n'a pas agi en tant qu'administration normalement prudente, diligente et avisée, un tel comportement doit cependant trouver sa sanction dans les règles de la responsabilité civile et non pas conduire à l'annulation automatique de l'acte si la décision administrative est, par ailleurs, basée sur des motifs légaux quoique non formellement énoncés dans l'acte.

La sanction de l’obligation de motiver une décision administrative consiste en principe dans la suspension des délais de recours, la décision restant valable lorsque l’administration produit ou complète de manière utile les motifs postérieurement et même pour la première fois devant le juge administratif.

5 La Cour constate que le délégué du Gouvernement a fourni au tribunal administratif dans un mémoire déposé en date du 20 décembre 2005 un certain nombre de motifs destinés à compléter la décision implicite de refus se dégageant du silence observé par ce dernier par rapport à la demande subsidiaire en obtention d’un statut de tolérance introduite par les demandeurs en date du 5 juillet 2005.

Il en résulte que contrairement aux conclusions du tribunal administratif, la décision implicite de rejet ne saurait être annulée au vu de l’unique considération tirée de l’absence de motifs fournis.

Il y a lieu dès lors lieu de déclarer l’appel fondé et de réformer le jugement entrepris en ce sens.

Pour des raisons tenant au principe du double degré de juridiction il n’y a pas lieu à évocation, mais il convient de renvoyer l’affaire en prosécution de cause devant le tribunal administratif.

Par ces motifs la Cour, statuant contradictoirement, sur le rapport de son conseiller, déclare l’appel du 24 mars 2006 et l’appel incident du 27 avril 2006 recevables ;

déclare l’appel incident non fondé ;

déclare l’appel principal fondé ;

réformant, déclare non fondé le moyen d’annulation basé sur une absence d’indication de motifs ;

renvoie le dossier en prosécution de cause devant le tribunal administratif ;

réserve les frais.

Ainsi délibéré et jugé par Jean Mathias Goerens, vice-président Marc Feyereisen, conseiller, rapporteur Henri Campill, conseiller et lu par le vice-président Jean Mathias Goerens en l’audience publique au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête en présence du greffier de la Cour Anne-Marie Wiltzius.

le greffier le vice-président 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 21176C
Date de la décision : 13/06/2006

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2006-06-13;21176c ?

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