Numéro 20836 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 décembre 2005 Audience publique du 7 juin 2006 Recours formé par Monsieur ….. ….., …..
contre des bulletins d’impôt émis par le bureau d'imposition Luxembourg 9 en matière d’impôt sur le revenu
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JUGEMENT
Vu la requête, inscrite sous le numéro 20836 du rôle, déposée le 23 décembre 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Gerry OSCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ….. ….., employé privé, demeurant à L-….. ….., ….., rue ….., tendant à la réformation sinon à l’annulation de deux bulletins de l’impôt sur le revenu portant sur les années 2000 et 2001, émis par le bureau d’imposition Luxembourg 9 le 28 juillet 2004, ainsi que d’un décompte portant la même date que les prédits bulletins ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 mars 2006;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 24 avril 2006 par Monsieur ….. …..;
Vu les pièces versées en cause et notamment les bulletins critiqués;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport à l’audience publique du 31 mai 2006, et Maître Guillaume MARY, en remplacement de Maître Gerry OSCH, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Marie KLEIN, qui se sont tous les deux rapportés aux écrits respectifs de leur partie.
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Suite au non-dépôt des déclarations fiscales pour les années 2000 et 2001, le bureau d’imposition Luxembourg 9 de la section des personnes physiques de l’administration des Contributions directes, procédant par voie de taxation, adressa à Monsieur ….. en date du 2 mai 2003 deux bulletins d’impôt sur le revenu portant sur les années 2000 et 2001.
En date du 28 juillet 2004, le prédit bureau d’imposition fit parvenir à Monsieur …..
deux bulletins d’impôt rectificatifs de l’impôt sur le revenu pour les années fiscales 2000 et 2001.
Sa réclamation du 27 octobre 2004 à l’encontre de ces bulletins d’impôt rectificatifs n’ayant pas été toisée par une décision du directeur de l’administration des Contributions directes, Monsieur ….. a fait introduire, par requête déposée le 23 décembre 2005, un recours contentieux à l’encontre desdits bulletins de l’impôt sur le revenu du 28 juillet 2004.
Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », et de l’article 8 (3) 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif, le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours dirigé contre un bulletin d’impôt sur le revenu en cas de silence du directeur durant plus de six mois suite à une réclamation dûment introduite par le contribuable. Le tribunal a partant compétence pour connaître du recours en réformation dirigé contre les bulletins d’impôt sur le revenu du 28 juillet 2004.
A travers sa requête, le demandeur expose tout d’abord la chronologie des faits, tels qu’il les perçoit. A ce titre, il fait valoir qu’il aurait été actionnaire et gérant de la société ….., déclarée en faillite par jugement du tribunal de commerce du 24 octobre 2003. Il soutient que la taxation d’office ayant abouti aux bulletins d’impôt litigieux du 2 mai 2003 trouve son origine dans le non-dépôt des déclarations fiscales par lui-même ainsi que par la société …..
sàrl pour les exercices en question. Une contrainte fut décernée à son encontre le 22 janvier 2004 et par procès-verbal du 29 juin 2004, un huissier de justice pratiqua saisie-exécution sur ses biens personnels, saisie à l’encontre de laquelle il releva opposition par exploit du 21 juillet 2004.
Il affirme qu’aucun manque de diligence ne saurait lui être reproché, étant donné qu’il aurait incombé à la gérante de fait de la société ….., Madame ….. ….., en laquelle il avait une confiance aveugle en ce qui concerne les affaires comptables et fiscales, de produire ses déclarations fiscales en temps utile. Il ressortirait par ailleurs d’un écrit de Madame ….. que la faute exclusive dans le non-dépôt des déclarations fiscales incomberait à celle-ci.
Il précise encore qu’au prix d’un effort remarquable, une fiduciaire aurait repris toutes les écritures comptables depuis 2000 pour préparer les déclarations fiscales manquantes de lui-même ainsi que de la société ….., lesquelles déclarations furent déposées le 14 juillet 2004 auprès du bureau d’imposition compétent. Les documents comptables auraient également été remis au curateur de la faillite. Il soutient que suite à la remise de ces déclarations, le bureau d’imposition Luxembourg 9 aurait émis, en date du 28 juillet 2004, de nouveaux bulletins d’impôt pour les exercices 2000 et 2001. Néanmoins, à la lecture de ces nouveaux bulletins, il ressortirait que sa dette fiscale, malgré le dépôt des déclarations et la communication des pièces comptables au bureau d’imposition, était évaluée au même montant que celui figurant dans les bulletins émis le 2 mai 2003 par taxation d’office.
Quant au fond, Monsieur ….. conteste le montant des revenus d’une occupation salariale lui mis en compte par le bureau d’imposition ainsi que l’imposition au titre de la perception de revenus de capitaux mobiliers.
Le délégué du Gouvernement soulève d’une part l’irrecevabilité du recours dans la mesure où le bureau d’imposition compétent ayant émis les bulletins rectificatifs sur base du § 218 alinéa 2 AO pour tenir compte – dans le sens de la baisse – d’un renvoi du bureau d’imposition Sociétés 3 concernant des revenus de location, n’aurait pas été autorisé à revenir à cette occasion sur le reste des impositions émises le 2 mai 2003. Il conclut que le demandeur, qui n’avait pas entrepris les premières impositions en temps utile, ne serait pas recevable à les contester dans le cadre des bulletins rectificatifs, étant donné que l’autorité de la chose décidée s’y opposerait conformément au § 234 AO.
Il soulève d’autre part qu’un décompte ne constitue pas une décision susceptible de faire grief au sens du droit des voies de recours, de sorte que le recours introduit à son encontre serait également irrecevable.
Quant au moyen d’irrecevabilité soulevé par le délégué du Gouvernement, le demandeur fait rétorquer principalement qu’une décision administrative pourrait être attaquée dans toutes ses composantes et ne saurait être limitée aux quelques points soulevés par l’administration, lesquels points elle aurait discrétionnairement choisi de rectifier. Ainsi, la circonstance que les bulletins du 28 juillet 2004 reprendraient – partiellement – l’imposition retenue en 2003 serait irrelevante et ne priverait nullement le contribuable de soumettre au tribunal toutes les dispositions retenues dans cette décision. En effet, il s’agirait d’une nouvelle décision qui pourrait être entreprise sur les points causant grief.
A titre subsidiaire, il fait valoir que le § 234 AO invoqué par le délégué du Gouvernement ne saurait trouver application en l’espèce, étant donné que l’administration aurait, de son propre chef, réouvert le dossier fiscal en émettant de nouveaux bulletins d’impôt pour les exercices concernés. A supposer que les bulletins émis en mai 2003 étaient coulés en force de chose décidée, l’administration n’aurait pas pu remettre en cause la quote-
part d’impôt fixée dans ces bulletins. Il estime que si cette dernière est autorisée à remettre en cause une situation fiscale donnée, l’équité fiscale requiert que le contribuable puisse corollairement critiquer l’imposition retenue dans toutes ses composantes, dans la mesure où la quote-part d’impôt retenue dans les différents bulletins serait indivisible.
Il insiste finalement sur le fait que l’imposition originaire aurait reposé sur une taxation, mais qu’au moment où les bulletins rectificatifs auraient été émis, les déclarations fiscales auraient été déposées. Il soutient que par principe, l’administration des Contributions directes devrait tenir compte de l’ensemble des informations à sa disposition au moment de l’émission d’un bulletin et elle ne pourrait donc pas modifier discrétionnairement un poste de la déclaration d’impôt sans considération des autres éléments dont elle aurait connaissance.
Finalement quant à la recevabilité du recours introduit à l’encontre du décompte du 28 juillet 2004, il se rapporte à la sagesse du tribunal.
Concernant le décompte d’impôt établi par l’administration des Contributions directes, bureau des recettes, en date du 28 juillet 2004, force est de constater que le recours dirigé à son encontre est irrecevable, celui-ci ne constituant ni un bulletin au sens du § 228 AO, ni une autre décision au sens du § 237 AO ( cf. trib.adm. 14 juillet 2003, n° 15882 du rôle, Pas. adm. 2005, V° Impôts, n°384 et autres références y citées).
Concernant le recours dirigé contre les bulletins rectificatifs des années 2000 et 2001 émis le 28 juillet 2004, le § 234 AO dispose que « Bei Steuerbescheiden, die frühere Steuerbescheide ändern, zum Beispiel in den Fällen des § 92 Absatz 3 und der §§ 94, 222 und 225, ist der neue Bescheid selbständig anfechtbar, soweit die Änderung reicht ».
Il y a d’abord lieu de retenir qu’un tel recours est en principe recevable, mais uniquement dans la limite des moyens de droit et de fait dirigés à l’encontre des éléments rectifiés. Ils ne peuvent pas être attaqués pour des motifs ayant trait à la fixation des bases d’imposition retenues dans les bulletins d’impôt originaires.
En effet, le paragraphe 234 AO concerne le cas où un bulletin rectificatif a remplacé un bulletin originaire sur la base notamment du paragraphe 218 AO et que le bulletin rectificatif est attaqué par la voie de la réclamation. Le § 234 AO vise l’hypothèse où le bulletin originaire avait acquis force de chose décidée au moment de l’émission du bulletin rectificatif, condition d’application fondamentale. La signification de la disposition consiste à empêcher le contribuable, auquel le bureau d’imposition réclame par bulletin rectificatif un surplus d’impôt, de pouvoir contester dans sa réclamation dirigée contre le bulletin rectificatif la cote d’impôt originaire ayant acquis force de chose décidée. Le paragraphe ne permet d’attaquer le bulletin rectificatif que dans la mesure où la cote rectifiée dépasse la cote originaire. Ainsi, le § 234 AO constitue une restriction au principe du § 243 AO portant qu’en cas de réclamation l’imposition est remise en question dans son intégralité. En effet, le § 234 AO est le pendant des paragraphes qui permettent la rectification des bulletins émis, paragraphes qui constituent ainsi une entorse au principe de la force légale matérielle des décisions administratives. La force légale matérielle empêche qu’une décision puisse encore être modifiée, soit d’office, soit à la demande de celui qu’elle concerne et abstraction faite de l’exercice des voies de recours – par l’autorité qui l’a prise ou par une autorité ou instance supérieure.
En l’espèce, les bulletins d’impôt sur le revenu de Monsieur ….. concernant les exercices 2000 et 2001 ont été établis en date du 2 mai 2003 et à défaut d’avoir fait l’objet d’une réclamation devant le directeur de l’administration des Contributions directes dans le délai de trois mois, conformément à l’article 8 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ils ont acquis autorité de chose décidée.
La question se pose donc de savoir dans quelle mesure le contribuable, qui a laissé acquérir force de chose décidée au bulletin originaire, peut attaquer le bulletin rectificatif.
Telle est l’hypothèse réglée par le § 234 AO.
En l’espèce, le recours du contribuable a pour objet d’obtenir une diminution du revenu provenant d’une activité salariale et à la suppression de l’imposition des revenus de capitaux mobiliers.
Force est dès lors de constater que les moyens à l’appui du recours visent à modifier les bases d’imposition retenues dans les bulletins originaux du 2 mai 2003 et n’ont nullement trait à la modification effectuée en faveur du demandeur dans les bulletins rectificatifs du 28 juillet 2004, à savoir, la prise en compte d’un revenu de location négatif de 537 Euro, suite à un renvoi afférent du bureau Société 3.
C’est ainsi à bon droit que le délégué du Gouvernement a soutenu que « le recourant, qui n’avait pas entrepris les premières impositions en temps utile n’est pas recevable à les contester à propos de la rectification. L’autorité de la chose décidée s’y oppose (§ 234 AO) ».
En application du § 234 AO, le recours est à déclarer irrecevable, pour défaut d’intérêt à agir, étant donné qu’il ne permet d’attaquer le bulletin rectificatif que dans la mesure où la cote rectifiée dépasse la cote originaire, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, le redressement effectué par le bureau d’imposition sur renvoi ayant trait à une prise en compte de revenus locatifs négatifs diminuant les cotes d’impôts fixés par les bulletins originaires.
Il convient de préciser encore que le bureau d’imposition a agi et ne pouvait agir que sur renvoi du bureau Sociétés 3, hypothèse expressément prévue par le § 218 AO, ce qui explique que les prédits bulletins rectificatifs du 28 juillet 2004 n’ont fait l’objet de modifications que dans limite de cette saisine. Il est dès lors erroné de soutenir que le bureau d’imposition aurait agi suite à la réception des déclarations d’impôt concernant les exercices 2000 et 2001 et que dès lors la réclamation interjetée contre les bulletins rectificatifs remettrait en question l’imposition dans son intégralité.
Il convient finalement de relever qu’une saisine du bureau d’imposition par le dépôt spontané de déclarations d’impôts plus d’une année après l’émission des bulletins originaires, intervenus suite à une taxation d’office, concrétisée par des bulletins coulés en force de chose décidée et qui ont été exécutés, ce qui s’est manifesté par la saisine des biens du débiteur, n’est prévu par aucune disposition légale en vigueur.
Il suit des développements qui précèdent que le recours est irrecevable.
PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
déclare le recours en réformation irrecevable ;
condamne le demandeur aux frais .
Ainsi jugé par :
M. Ravarani, président, Mme Lamesch, premier juge, M. Sünnen, juge, et lu à l’audience publique du 7 juin 2006 par le président en présence de M. Rassel, greffier.
Rassel Ravarani 5