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31/05/2006 | LUXEMBOURG | N°21018

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 31 mai 2006, 21018


Tribunal administratif N° 21018 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 février 2006 Audience publique du 31 mai 2006

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Recours introduit par Monsieur …, Schrassig contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 21018 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 13 février 2006 par Maître Gille

s PLOTTKE, avocat à la Cour, assisté de Maître Radu DUTA, avocat, tous les deux inscrits au tableau d...

Tribunal administratif N° 21018 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 février 2006 Audience publique du 31 mai 2006

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Recours introduit par Monsieur …, Schrassig contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 21018 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 13 février 2006 par Maître Gilles PLOTTKE, avocat à la Cour, assisté de Maître Radu DUTA, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Minsk (Biélorussie), de nationalité biélorusse, alias K., né le … à Kaunas (Lituanie), de nationalité lituanienne, actuellement détenu au Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 14 novembre 2005, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 12 janvier 2006, en réalité datée au 10 janvier 2006, prise sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 avril 2006 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions ministérielles entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Brigitte CZOSKE, en remplacement de Maître Gilles PLOTTKE, et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

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Le 3 juin 2005, Monsieur …, alias K., introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut encore entendu en date du 24 octobre 2005 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa par lettre du 14 novembre 2005 que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« En mains le rapport du service de Police Judiciaire du 3 juin et celui de la Police Grand-Ducale du 3 août 2005. En mains également le rapport d'audition de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration du 24 octobre 2005.

Vous avez dit au Service de Police Judiciaire, à votre arrivée au Luxembourg que vous étiez biélorusse. Vous auriez quitté Minsk trois jours auparavant en vous cachant dans la remorque d'un camion. Vous aviez ajouté que votre passeport se trouvait à la police en Biélorussie.

Votre véritable identité ayant été mise à jour, vous avez expliqué à l'agent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration que vous aviez dit être biélorusse pour avoir plus de chance d'obtenir le statut de réfugié, mais vous avez reconnu être lituanien.

Vous auriez quitté votre pays parce que vos parents seraient morts. Vous seriez d'origine russe et on vous aurait fait des remarques agressives quand vous parliez russe avec des amis ou avec vos frères. Pour le surplus, vous dites qu'il n'y aurait pas de travail en Lituanie.

Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d'asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l'article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par contre, selon l'article 9, alinéa 1 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile ; 2) d'un régime de protection temporaire « une demande d'asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu'elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, si la crainte du demandeur d'asile d'être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d'asile. » Je vous rends attentif au fait que la Lituanie fait partie de l’Union Européenne et qu'elle ne saurait être considérée comme un pays dans lequel des persécutions seraient à craindre. Le fait que des Lituaniens vous auraient lancé des propos désagréables parce que vous parliez russe avec des amis est insuffisant pour vous voir conférer le statut de réfugié.

Quant au fait qu'il n'y aurait pas [de] travail en Lituanie, il n'est pas relevant ; les motifs économiques ne relèvent pas de la Convention de Genève.

Votre demande ne répond donc à aucun des critères de fond de la Convention de Genève et est manifestement dénuée de fondement. De même, votre demande est abusive et elle repose sur une fraude délibérée.

Une demande d'asile qui peut être déclarée manifestement infondée peut, a fortiori, être déclarée non fondée pour les mêmes motifs.

Il résulte de ce qui précède que votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l'article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile ; 2) d'un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le 14 décembre 2005, Monsieur … formula, par le biais de son mandataire, un recours gracieux auprès du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration à l’encontre de cette décision ministérielle.

Suivant décision du 10 janvier 2006, notifiée à l’intéressé le 2 février 2006, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision initiale, « à défaut d’éléments pertinents nouveaux ».

Par requête déposée le 13 février 2006, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation contre les décisions ministérielles de refus prévisées des 14 novembre 2005 et 10 janvier 2006.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre les décisions ministérielles entreprises, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur soutient qu’il aurait vécu en Lituanie où il aurait appartenu à la minorité russophone. Il expose qu’il aurait été victime des tensions existant entre les communautés russes et lituaniennes. Ainsi, il aurait subi quotidiennement des vexations, discriminations et menaces de la part de la population lituanienne. Il explique qu’en raison de l’hostilité que lui témoignerait la population lituanienne en raison de ses origines russes, il lui aurait été impossible de trouver un travail et de mener une vie sociale normale en Lituanie. Dans ce contexte, il nie qu’il aurait quitté son pays en raison de problèmes économiques, tout en faisant valoir que ses problèmes économiques seraient la conséquence des persécutions dont il serait la victime en raison de sa race et de sa nationalité.

Il soutient que les violations des droits de l’homme qui frappent la population russe de Lituanie serait un fait connu et que les autorités lituaniennes seraient impuissantes voire qu’elles y participeraient activement.

En substance, il reproche au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la réalité et la gravité des motifs de crainte de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le représentant étatique soutient que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé. Il précise encore que le demandeur aurait avoué qu’il aurait déclaré être d’origine biélorusse dans le seul but d’avoir plus de chances d’obtenir le statut de réfugié, que son véritable nom serait K. et qu’il serait né en Lituanie et de nationalité lituanienne.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, s’il est vrai que la situation des membres de la communauté russe à la suite de l’indépendance de la Lituanie a pu s’avérer difficile, cette situation n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions et force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal.

Ainsi, les faits exposés par le demandeur lors de son audition et à travers son recours -

en des termes essentiellement vagues et non autrement circonstanciés – ont trait à des vexations, discriminations et menaces de la part de certaines personnes appartenant à la population lituanienne, lesquelles ne revêtent néanmoins pas le caractère de gravité requis pour établir un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

En outre, le tribunal est amené à constater que les actes concrets de persécution invoqués par le demandeur paraissent émaner de personnes privées étrangères aux autorités publiques, de même qu’ils s’analysent dans cette mesure en une persécution émanant non pas de l’Etat, mais d’un groupe de la population et ne sauraient dès lors être reconnus comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève. Il convient d’ajouter que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence et qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel. Il ne saurait en être autrement qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-

Yves CARLIER : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s).

Or, en l’espèce, le demandeur ne démontre point que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en Lituanie ne soient pas capables de lui assurer une protection adéquate, étant entendu qu’il a déclaré ne pas s’être adressé aux autorités pour faire cesser les menaces.

Finalement, il convient de rappeler que des considérations d’ordre matériel et économique, comme en l’espèce, l’espoir de jouir de meilleures conditions de vie pour soi-

même en obtenant un travail, aussi compréhensibles soient-elles, ne constituent pas un motif d’obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, dès lors que le demandeur reste en défaut d’établir à suffisance de droit que la cause des difficultés économiques dont il fait état du fait de ne pas trouver de travail en Lituanie réside dans des discriminations en raison de ses origines russes et non pas dans le contexte du chômage existant dans son pays d’origine.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, premier vice-président, M. Schroeder, premier juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 31 mai 2006 par le premier vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 21018
Date de la décision : 31/05/2006

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2006-05-31;21018 ?

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