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31/05/2006 | LUXEMBOURG | N°20757

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 31 mai 2006, 20757


Tribunal administratif N° 20757 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 décembre 2005 Audience publique du 31 mai 2006 Recours introduit par Monsieur …, ….

contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 20757 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 12 décembre 2005 par Maître Gilles PLOTTKE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à

Zatriq (Kosovo/Etat de Serbie-et-Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuell...

Tribunal administratif N° 20757 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 décembre 2005 Audience publique du 31 mai 2006 Recours introduit par Monsieur …, ….

contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 20757 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 12 décembre 2005 par Maître Gilles PLOTTKE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Zatriq (Kosovo/Etat de Serbie-et-Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 23 septembre 2005, confirmée sur recours gracieux par décision du même ministre du 8 novembre 2005, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 mars 2006 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions ministérielles entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Denis LENFANT, en remplacement de Maître Gilles PLOTTKE, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 14 mars 2005, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Il fut encore entendu en date des 25 mars et 1er juillet 2005 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs se trouvant à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa par lettre du 23 septembre 2005, notifiée par lettre recommandée le 28 septembre 2005, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 14 mars 2005 et le rapport d’audition de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration du 25 mars 2005.

Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 14 mars 2005 que vous auriez quitté le Kosovo en date du 9 mars 2005 à bord d’un camion qui vous aurait emmené au Luxembourg. Vous y seriez arrivé le 11 mars 2005, le dépôt de votre demande d’asile date du 14 mars 2005. Vous ne présentez aucune pièce d’identité. Lors de l’audition du 25 mars 2005, vous précisez que votre carte d’identité yougoslave et votre badge de policier vous auraient été volés à la gare du Luxembourg. Vous ne seriez pas en possession de documents établis par la MINUK.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez été simple policier à Rahovec depuis 1988. A partir de 1990, vous auriez travaillé en civil et arrêté votre travail qu’au début des bombardements en 1999. Depuis, vous auriez vécu en cachette à Tirana/Albanie et à Gjakova/Kosovo chez votre sœur de peur de vous faire éliminer parce que vous seriez considéré comme espion, comme traître par les albanais. Vous dites avoir été contre les vôtres, contre les albanais et d’être au courant de ce qu’ils auraient subi. Vous donnez que peu de précisions. Ce n’est qu’après insistance de l’agent ayant procédé à l’audition de relever plus de précisions, que vous déclarez qu’en tant que « salarié du pouvoir », vous auriez collaboré, dénoncé des personnes, notamment celles en possession d’armes.

En février 2004, des personnes auraient appelé au domicile de votre sœur et auraient demandé à vous voir pour éclaircir certaines choses. Vous pensez que quelqu’un vous aurait dénoncé. Des gens auraient également attendu devant votre domicile et celui de votre sœur. Vous dites avoir été à l’UNMIK à trois reprises. Vous auriez finalement décidé de quitter le Kosovo. Enfin, vous ne faites pas état de persécutions personnelles et vous ne seriez pas membre d’un parti politique.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il y a d’abord lieu de relever que vous n’êtes pas en mesure de prouver que vous seriez effectivement né au Kosovo et que vous y auriez séjourné. Vous ne présentez aucune pièce d’identité, notamment établie par la MINUK. Vous prétendez que vous seriez enregistré auprès de l’UNMIK mais que vous n’auriez pas osé y retourner pour récupérer des documents d’identité. Pourtant, vous dites avoir été à trois reprises à l’UNMIK. Vous n’êtes également pas en mesure de prouver que vous auriez travaillé comme policier au Kosovo de 1988 à 1999.

A cela s’ajoute que des recherches entreprises par un agent du Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur place au Kosovo ont donné que vous ne faites pas état de persécutions au Kosovo. En effet, selon les déclarations de votre cousin Liman … habitant également à Zatriq vous n’auriez jamais fait partie de la police. De plus, toujours selon les informations fournies par votre cousin vous auriez quitté Zatriq en 1989 pour aller vous installer à Djakova. En 1992, vous seriez parti pour la Croatie et à partir de 1994 vous auriez séjourné en Suisse, Italie et France.

En 2001, vous auriez vécu trois mois à Rahovac/Kosovo et seriez retourné en Italie, puis auriez séjourné en Belgique avant de venir au Luxembourg. Votre cousin a également ajouté que vous seriez en possession d’un passeport serbo-monténégrin et que vous n’auriez jamais fait de demande pour obtenir des documents de la MINUK.

Il y a donc lieu de conclure que vos dires ne correspondent manifestement pas à la vérité et que vous avez fait des fausses déclarations verbales au sujet de votre demande d’asile.

Selon l’article 6, 2b) « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle repose clairement sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile. Tel sera le cas notamment lorsque le demandeur a délibérément fait de fausses déclarations verbales ou écrites au sujet de sa demande, après avoir demandé l’asile ». Je vous informe qu’une demande d’asile qui peut être déclarée manifestement infondée peut, a fortiori, être déclarée non fondée pour les mêmes motifs.

Il faut aussi souligner qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, est installée au Kosovo pour assurer la coexistence pacifique entre les différentes communautés et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place. Les élections municipales du 28 octobre 2000 se sont conclues avec la victoire des partis modérés et une défaite des partis extrémistes.

Après les violences généralisées de mars 2004, « la situation en matière de sécurité est restée, dans l’ensemble, calme et stable » a indiqué Hédi Annabi, sous-secrétaire général aux opérations de maintien de la paix de l’ONU le 5 août 2004. De nouvelles élections législatives ont eu lieu le 24 octobre 2004 et elles ont été remportées par le parti politique LDK. Le Kosovo doit également être considéré comme territoire où il n’existe pas en règle générale des risques de persécutions pour les albanais.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formé par le demandeur suivant lettre de son mandataire du 26 octobre 2005 à l’encontre de la prédite décision ministérielle, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision initiale de refus le 8 novembre 2005.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 12 décembre 2005, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions ministérielles précitées des 23 septembre et 8 novembre 2005.

Le recours en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours en réformation, le demandeur déclare être originaire de Rahovec au Kosovo et de confession musulmane et craindre des persécutions dans son pays d’origine en raison du fait qu’il aurait exercé la profession de policier entre 1988 et 1999 à Rahovec. Il fait ainsi état de ce qu’il aurait reçu de nombreuses menaces de mort, notamment au cours du mois de février 2005. Il estime en effet être considéré comme étant un espion ayant agi « contre son peuple » du fait d’avoir été un salarié au pouvoir des Serbes et d’avoir collaboré avec ceux-ci en exerçant la profession de policier « sous la direction des Serbes entre 1990 et 1999 ». Il précise encore que des personnes dont il ignorerait l’identité l’auraient « attendu » pendant plusieurs nuits près de la maison de sa sœur où il aurait vécu clandestinement. Il déclare encore avoir porté plainte auprès des autorités en place au Kosovo mais que celles-ci auraient refusé de réceptionner la plainte en question en raison de l’impossibilité d’identifier les personnes qui auraient proféré des menaces à son encontre, de sorte qu’il estime actuellement ne pas pouvoir compter sur une protection appropriée de la part des forces de l’ordre de son pays d’origine.

En ce qui concerne le fait qu’il n’avait pas été en mesure de prouver qu’il a demandé des papiers auprès de l’UNMIK, il fait valoir que « ses papiers lui ont été volés au Grand-Duché de Luxembourg lors de son arrivée », de sorte qu’il ne serait pas étonnant qu’il n’aurait pas été en mesure de reproduire les documents demandés.

En ce qui concerne la crédibilité de son récit, il soutient que les recherches entreprises par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration au Kosovo ne seraient de nature ni à contredire le récit cohérent qu’il aurait fourni aux autorités luxembourgeoises ni à démontrer qu’il n’aurait pas subi des persécutions dans son pays d’origine. Les autorités luxembourgeoises n’auraient partant pas démontré que ses déclarations faites lors de ses auditions par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration seraient fausses, d’autant plus que les déclarations de son cousin, Monsieur Liman …, ne seraient pas plus cohérentes ou crédibles que ses propres déclarations.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre compétent aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours.

Il estime plus particulièrement que la demande d’asile du demandeur reposerait clairement sur une fraude délibérée, en rappelant que la version des faits présentée par le cousin du demandeur établirait que ce dernier n’aurait jamais été policier et qu’il aurait quitté le Kosovo en 1989, ce qui expliquerait l’absence des preuves demandées par les autorités luxembourgeoises.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement et de manière crédible, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, à défaut de tout élément concret de preuve susceptible d’établir les faits invoqués à l’appui d’une demande d’asile, il appartient pour le moins au demandeur de présenter un récit cohérent et crédible aux autorités compétentes pour examiner sa demande d’asile. Or, en l’espèce, force est de constater que tant la cohérence que la crédibilité du récit du demandeur sont largement ébranlées par le fait dûment documenté au dossier administratif des déclarations de Monsieur Liman …, cousin de Monsieur …, l’actuel demandeur d’asile, suivant lesquelles le demandeur aurait quitté son village en 1989 pour aller vivre à Djakova, il serait parti en 1992 pour la Croatie pour y travailler, il aurait passé des séjours en Suisse, Italie et France à partir de 1994, il serait revenu au Kosovo en 2001 à cause de sa mère qui aurait été malade et il aurait vécu dans un appartement à Rahovec pendant une période de trois mois, en retournant par la suite en Italie et en Belgique pour finalement arriver au Grand-Duché de Luxembourg, il n’aurait jamais fait partie de la police et il serait en possession d’un passeport yougoslave et n’aurait jamais introduit de demande en vue d’obtenir des documents de la part de l’UNMIK.

Il échet de constater sur base des renseignements obtenus par le ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration au Kosovo que le récit présenté par le demandeur n’est pas crédible dans la mesure notamment où à l’époque à laquelle, suivant ses propres déclarations, il aurait subi des persécutions dans son pays d’origine, il n’y a pas vécu. Il échet surtout de retenir le fait que contrairement aux affirmations du demandeur, il n’a pas exercé la profession de policier de 1990 à 1999, qui constitue pour lui la principale raison de craindre des persécutions de la part des ressortissants albanais qui le considéreraient en raison de l’exercice de ladite profession, comme ayant été un espion ayant agi à l’encontre des intérêts du peuple kosovare.

Le récit d’un demandeur d’asile étant en effet un élément déterminant en ce qu’il pose le cadre de l’examen de la demande d’asile, son caractère crédible devient une prémisse indispensable à tout examen plus approfondi des différents motifs de persécution invoqués.

Il suit de ce qui précède que le ministre a dès lors valablement pu rejeter la demande d’asile de Monsieur … comme étant non fondée, en se basant sur le fait que ses déclarations ne correspondent manifestement pas à la vérité, en retenant qu’à l’appui de sa demande d’asile des fausses déclarations verbales ont été soumises aux autorités compétentes luxembourgeoises.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours en réformation laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties à l’instance ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, premier vice-président, M. Schroeder, premier juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 31 mai 2006 par le premier vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 20757
Date de la décision : 31/05/2006

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2006-05-31;20757 ?

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