Tribunal administratif N° 20897 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 janvier 2006 Audience publique du 24 mai 2006
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Recours introduit par Monsieur …, Schrassig contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 20897 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 12 janvier 2006 par Maître Stef OOSTVOGELS, avocat à la Cour, assisté de Maître Carine LECOQ, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Dalaba (Guinée-Conakry), de nationalité guinéenne, actuellement détenu au Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 12 décembre 2005, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 mars 2006 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision ministérielle critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Carine LECOQ et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline GUILLOU-JACQUES en leurs plaidoiries respectives.
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Le 22 août 2005, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.Il fut entendu en date du 7 septembre 2005 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.
Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa par lettre du 12 décembre 2005, notifiée à l’intéressé le 16 décembre 2005, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :
« En mains le rapport de la Police Judiciaire du 22 août 2005 et le rapport d’audition de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration du 7 septembre 2005.
Il ressort du rapport de la Police Judiciaire du 22 août 2005 que vous auriez quitté Conakry vers la fin de juillet-début août 2005 à bord d’un bateau. La traversée aurait duré environ deux à trois semaines et vous auriez accosté quelque part en Italie. Par la suite, la personne vous ayant accompagnée lors du voyage vous aurait emmené dans une gare où vous auriez pris un train jusqu’à Paris. Vous y auriez changé de train pour le Luxembourg pour y déposer une demande d’asile en date du 22 août 2005. Vous ne présentez aucune pièce d’identité.
Le 19 janvier 2005, le jour de la tentative d’assassinat contre le président de la Guinée, votre frère militaire de carrière se serait rendu à votre domicile au quartier Enco 5 avec des amis, munis de sacs. Vous dites qu’ils se seraient préparés, mais vous auriez ignoré à quoi. Votre frère vous aurait alors donné un fusil et il vous aurait dit de tirer avec eux sur le président de la Guinée. Vous dites l’avoir fait encore le même jour, mais ne pas savoir pourquoi vous l’auriez fait, de l’avoir seulement fait parce que votre frère l’aurait dit ! Encore le même jour, vous seriez allé vous cacher chez votre cousine à Conakry, deux jours plus tard vous seriez allé à Coyah. Votre cousine vous aurait dit que votre frère aurait été arrêté près de Guéckédou. On vous aurait également dit que des voisins vous auraient vu tirer sur le président et que vous seriez maintenant recherché par les gendarmes.
Enfin, vous ne seriez ni militaire, ni membre d’un groupe rebelle et ni membre d’un parti politique. Vous ne faites pas état d’autres problèmes ou de persécutions.
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Il y a tout d’abord lieu de relever que vos déclarations sont peu crédibles. En effet, le fait qu’un jour votre frère serait venu chez vous, vous aurait donné un fusil et dit de tirer sur le président de la Guinée, ce que vous auriez fait, sans pouvoir dire pourquoi vous l’auriez fait est peu convaincant et difficilement concevable. A cela s’ajoute que vous ne faites pas état de revendications politiques de votre acte et que vous dites ne pas être militaire, membre d’un groupe rebelle ou d’un parti politique.
Quoiqu’il en soit et même à supposer vos dires comme vrais, il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécuté dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève. En effet, le fait que vous seriez recherché par la gendarmerie parce que vous auriez tiré avec une arme à feu sur le président de la Guinée ne saurait être considéré comme acte de persécution au sens de la Convention de Genève. En effet, vous vous seriez rendu coupable d’une infraction de droit commun et il est tout à fait légitime que vous seriez recherché par les forces de l’ordre de la Guinée.
Votre peur purement hypothétique et basée sur aucun fait réel ou probable de vous faire arrêter et emprisonner ne saurait suffire pour constituer un des motifs visés par la Convention de Genève. En effet, vous dites ne pas avoir été inquiété par la police et vous ajoutez même ne pas avoir subi de persécutions.
Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.
Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».
Par requête déposée le 12 janvier 2006, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 12 décembre 2005.
Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable.
Le recours en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre compétent d’avoir commis une erreur d’appréciation en refusant sa demande d’asile, au motif que sa vie aurait été en danger dans son pays d’origine, la Guinée. Il expose plus particulièrement que le 18 janvier 2005, son frère, Jacques …, un militaire de carrière, se serait rendu avec d’autres militaires chez lui au bar qu’il tenait à Enco 5 (banlieue de Conakry), qu’ils auraient passé la soirée ensemble et que le lendemain, son frère et ses compagnons se seraient préparés dans une pièce adjacente au bar, puis ils auraient tiré sur le cortège du président guinéen. Il précise que son frère lui aurait donné un fusil et lui aurait demandé de tirer pour se défendre car on leur tirait dessus. Ignorant tout de l’attentat qui se préparait, il se serait réfugié chez sa cousine où il aurait appris que des voisins l’auraient vu tirer sur le président, qu’ils l’auraient dénoncé et que son frère aurait été arrêté. Craignant pour sa sécurité, il aurait quitté son pays d’origine dans lequel les droits les plus fondamentaux seraient bafoués par les autorités judiciaires et où la peine de mort serait encore appliquée.
Le représentant étatique soutient que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.
L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.
L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
En effet, le demandeur fait essentiellement état de sa crainte d’être arrêté et condamné par les autorités de son pays pour avoir tiré sur le président guinéen Lansana CONTE lors de la tentative d’assassinat perpétrée contre ce dernier en janvier 2005.
Or, même en admettant la véracité du récit du demandeur, c’est-à-dire en faisant abstraction des invraisemblances relevées par l’autorité ministérielle, les craintes ainsi mises en avant par le demandeur ne paraissent pas empreintes du moindre arrière-fond politique, religieux, ethnique ou racial et partant ne sauraient justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef.
Enfin, en ce qui concerne sa crainte exprimée à l’encontre des autorités guinéennes en raison du sort éventuel qui lui serait réservé en cas de retour en Guinée, force est de constater que ce faisant, le demandeur exprime des craintes essentiellement vagues, non circonstanciées et purement hypothétiques qui à elles seules sont insuffisantes pour s’analyser en une persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.
Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;
donne acte au demandeur qu’il bénéficie de l’assistance judiciaire ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, premier vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 24 mai 2006 par le premier vice-président, en présence de M. Legille, greffier.
Legille Schockweiler 5