Tribunal administratif Numéro 21390 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 mai 2006 Audience publique du 22 mai 2006 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 21390 du rôle et déposée le 12 mai 2006 au greffe du tribunal administratif par Maître Nathalie NIMESGERN, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Bosnie-
Herzégovine), de nationalité bosniaque, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 4 mai 2006, prorogeant pour une nouvelle durée d’un mois une première mesure de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière prise à son encontre en date du 7 avril 2006 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 mai 2006 ;
Vu le mémoire en réplique déposé le 18 mai 2006 pour compte du demandeur au greffe du tribunal administratif ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Nathalie NIMESGERN et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 mai 2006.
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Suite à des rapports établis en date des 17 décembre 2004, 18 février 2005 et 9 mars 2005 par la police grand-ducale du chef de vol, Monsieur … fut mis en détention provisoire au Centre pénitentiaire de Schrassig.
Le 18 mars 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration prit à l’encontre de Monsieur … un arrêté d’expulsion motivé par le fait que l’intéressé constitue par son comportement personnel un danger grave pour l’ordre et la sécurité publics. Le prédit arrêté fut notifié à Monsieur … en date du 8 avril 2005.
Le 7 avril 2006, le ministre prit à l’encontre de Monsieur … une décision de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois. Cette décision de placement fut fondée sur les considérations et motifs suivants :
« Vu l'article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ;
Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;
Vu mon arrêté d’expulsion du 18 mars 2005 lui notifié en date du 8 avril 2005 ;
Considérant que l’intéressé ne dispose pas de moyens d'existence personnels légalement acquis ;
- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;
- que l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;
Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ;
Arrête:
Art. 1er.- Le nommé …, alias … , de nationalité bosniaque, dont l’éloignement immédiat n'est pas possible, est placé, dans l'attente de cet éloignement, au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification.
Art. 2.- La personne susvisée est à informer des dispositions de l'article 15 sub 5) et 6) de la loi du 28 mars 1972 pré-mentionnée.
Art. 3.- La présente sera adressée au service de Police Judiciaire pour notification et exécution. Une copie sera transmise au responsable du Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière. » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 25 avril 2005, Monsieur … avait fait introduire un recours tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation de la décision ministérielle de rétention prérelatée du 7 avril 2006, notifiée le même jour à l’intéressé.
Par jugement du 4 mai 2006, le tribunal administratif a rejeté ce recours comme n’étant pas justifié.
Le 4 mai 2006, le ministre prit une décision de prorogation de la décision prérelatée du 7 avril 2006 à l’encontre de Monsieur … aux motifs « qu’un laissez-passer a été demandé auprès des autorités bosniaques ;
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qu’en attendant l’émission de ce document, l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;
Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ; ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 12 mai 2006, Monsieur … a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation de ladite décision de prorogation du 4 mai 2006.
Le délégué du Gouvernement conclut d’abord à l’irrecevabilité de ce recours pour cause de libellé obscur en faisant valoir que le demandeur se contenterait de reprendre les arguments déjà présentés une première fois au tribunal dans l’affaire portant le numéro du rôle 21315 et que, par ailleurs, dans son dispositif, il resterait en défaut de préciser dans quel sens il souhaite la réformation sollicitée.
Il se dégage de la requête introductive d’instance que le demandeur reproche au ministre d’avoir prorogé la décision de placement initiale du 7 avril 2006, alors que l’arrêté d’expulsion pris à son encontre le 18 mars 2005 ne serait plus fondé et devrait lui aussi être annulé.
Au-delà de la question du caractère justifié ou non de ce moyen quant au fond, force est de constater qu’il s’analyse en substance en une contestation des conditions légales prévues par la loi pour prendre une décision de prorogation d’une mesure de placement, de sorte que le tribunal est en mesure de déceler le cadre légal du recours qui lui est soumis.
Quant à la demande adressée au tribunal de procéder à la réformation de la décision litigieuse, encore que celle-ci pêche par son caractère vague et imprécis, force est cependant de constater à partir des doléances générales du demandeur qu’il entend voir mettre fin, par le tribunal, à la mesure de placement dont il fait actuellement l’objet.
Il n’y a par conséquent pas lieu de déclarer la requête sous examen irrecevable pour cause de libellé obscur.
Le recours en réformation, prévu par l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de son recours, le demandeur expose qu’il aurait été « arrêté il y a 15 mois et mis en détention provisoire » et que suite à son acquittement par jugement du tribunal correctionnel du 7 avril 2006, il aurait, le même jour, fait l’objet d’une mesure de placement.
Sans pour autant contester qu’il se trouve actuellement en situation irrégulière au Grand-Duché de Luxembourg, il déplore qu’il se trouve actuellement dans cette situation irrégulière du fait même des autorités judiciaires luxembourgeoises, étant donné que lors de son arrestation, il se serait « trouvé en Belgique » (sic) où une demande en régularisation de sa situation avait été demandée. Il estime que dans ces conditions, le ministre, au lieu de prendre une mesure de placement dans l’attente de son expulsion éventuelle vers son pays d’origine, aurait dû se contenter de prendre un arrêté de reconduite à la frontière belge, de sorte à remettre sa situation dans son pristin état.
Dans la mesure encore où le ministre, en prenant un arrêté d’expulsion le 18 mars 2005 sur base du fait qu’il était suspecté d’avoir fait partie d’une association de malfaiteurs au Grand-Duché de Luxembourg alors qu’il avait été acquitté de cette prévention par décision du tribunal correctionnel du 7 avril 2006, aurait méconnu le principe de la présomption d’innocence et qu’ainsi, l’arrêté d’expulsion ne serait plus fondé et devrait à son tour être annulé, ce serait encore à tort que le ministre a décidé de proroger son placement pour une nouvelle durée d’un mois au motif qu’il se trouverait en situation irrégulière. Il demande partant que la décision litigieuse soit réformée et qu’il soit décidé qu’il sera remis entre les mains des autorités belges dans les meilleurs délais.
Tout en relevant que ce moyen fut déjà toisé par le tribunal dans son jugement du 4 mai 2006 inscrit sous le numéro 21315 du rôle, le représentant étatique se rallie aux développements et conclusions de ce jugement et conclut au rejet du recours.
En vertu de l’article 15, paragraphe (1) de la loi modifiée du 28 mars 1972, précitée, lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 ou 12 de la même loi est impossible en raison de circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre compétent, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée maximale d’un mois.
Conformément aux dispositions du point (2) du même article 15, la décision de placement visée à l’alinéa qui précède peut, en cas de nécessité absolue, être reconduite par le ministre à deux reprises, chaque fois pour la durée d’un mois.
Force est de constater que les conditions de base pour procéder à une première mesure de placement ne sauraient plus utilement être examinées en l’espèce, étant donné que le litige sous examen a pour objet la seule décision de prorogation prise sur base du point (2) de l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972 et que le tribunal, par jugement prévisé du 4 mai 2006 a déjà toisé le recours introduit par le demandeur à l’encontre de la décision initiale de placement du 7 avril 2006.
Dans la mesure où le séjour irrégulier du demandeur au pays n’est pas utilement contesté en cause et que le fait que les autorités luxembourgeoises sont toujours dans l’attente de la délivrance d’un laissez-passer dans le chef de l’intéressé par les autorités bosniaques, n’est pas non plus énervé par les développements et pièces du dossier, la condition d’une nécessité absolue de procéder à la prorogation de la décision de placement initiale est respectée.
Cette conclusion ne saurait être énervée par les développements du demandeur en rapport avec une demande en régularisation de sa situation qui serait encore actuellement pendante en Belgique, étant donné que le demandeur reste en défaut de verser en cause un quelconque document justifiant la régularité de son séjour en Belgique pendant le cours de l’instruction de cette demande, voire d’indiquer une quelconque base légale afférente susceptible de sous-tendre sa prétention d’être admissible à séjourner régulièrement en Belgique.
Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’en l’absence de tout autre moyen susceptible d’énerver la régularité de la décision litigieuse, le recours en réformation laisse d’être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le dit non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 22 mai 2006 par :
Mme Lenert, vice-président, Mme Lamesch, premier juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Lenert 5