Tribunal administratif No. 21374 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 mai 2006 Audience publique du 17 mai 2006 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 21374 du rôle et déposée le 8 mai 2006 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Wahrane (Algérie), de nationalité algérienne, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 19 avril 2006 ordonnant son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de cette décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 mai 2006 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Quentin HUBEAU, en remplacement de Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline GUILLOU-JACQUES en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 15 mai 2006.
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Monsieur … fut interpellé le 10 août 2005 par la police grand-ducale dans le cadre d’un contrôle d’identité effectué à Dudelange, à l’occasion duquel il s’avéra qu’il ne disposait ni de pièces d’identité ni de documents de voyage valables.
Le même jour, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après dénommé le « ministre », prit à son encontre une décision de refus d’entrée et de séjour et ordonna, toujours en date du même jour, à l’encontre de Monsieur … une mesure de rétention au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximale d’un mois en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois.
Le 6 septembre 2005, alors qu’il se trouvait toujours en rétention, Monsieur … fit introduire par l’intermédiaire de son avocat une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971.
Le ministre l’informa, par décision du 14 septembre 2005, que sa demande était refusée comme manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire.
Par jugement du 7 décembre 2005, le tribunal administratif rejeta le recours de Monsieur … dirigé contre la décision ministérielle précitée du 14 septembre 2005.
Le 19 avril 2006, le ministre prit à l’encontre de Monsieur … une nouvelle décision de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois.
Ladite décision repose sur les considérations suivantes :
« Vu l'article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ;
Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;
Vu mon arrêté de refus d’entrée et de séjour du 10 août 2005 ;
Vu le rapport no 11152 du 18 avril 2006 établi par la Police grand-ducale, C.I.S. Differdange ;
Considérant que le Parquet a prononcé une mesure de rétention en date du 19 avril 2006 ;
Considérant que l'intéressé est démuni de toute pièce d’identité et de voyage valable ;
- qu’il ne dispose pas de moyens d'existence personnels légalement acquis ;
- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;
Considérant qu’un laissez-passer sera demandé auprès des autorités algériennes ;
Considérant que l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;
Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ».
Par requête déposée le 8 mai 2006, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 19 avril 2006.
Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation contre la décision de placement, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Le demandeur fait d’abord valoir que la mesure de placement ne répondrait pas aux exigences de « proportionnalité » et d’« effectivité d’une possibilité visible et tangible de refoulement », au motif que les « dossiers précédents visant des ressortissants algériens » démontraient que le ministre n’arriverait pas à obtenir un laissez-passer durant les périodes de rétention initiale et de prorogation de la mesure de placement.
Le délégué du gouvernement rétorque que les conditions légales nécessaires pour prononcer une mesure de rétention à l’encontre de Monsieur … seraient remplies en l’espèce, d’autant plus qu’il appartiendrait à ce dernier de renseigner les autorités luxembourgeoises sur son identité et sur sa nationalité, les autorités algériennes ayant exprimé l’avis que ce dernier ne serait pas un ressortissant de leur pays.
Il se dégage de l’article 15, paragraphe (1) de la loi précitée du 28 mars 1972, que lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 et 12 de la même loi est impossible en raison de circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre compétent, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée d’un mois.
Il en découle qu’une décision de placement au sens de la disposition précitée présuppose une mesure d’expulsion ou de refoulement légalement prise, ainsi que l’impossibilité d’exécuter cette mesure.
Le ministre compétent est dans l’impossibilité de procéder à l’éloignement immédiat d’un étranger lorsque ce dernier ne dispose pas des documents d’identité et de voyage requis pour permettre son refoulement immédiat et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un accord de reprise de l’intéressé et desdits documents. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur lui a conféré un délai initial maximal d’un mois pour obtenir de la part des autorités étrangères concernées les documents de voyage nécessaires.
Or, en l’espèce, il ressort des éléments incontestés du dossier qu’un arrêté de refus d’entrée et de séjour a été pris en date du 10 août 2005 à l’encontre de Monsieur … et que celui-ci est dépourvu de papiers d’identité et d’un titre de voyage. En outre, il ressort des éléments du dossier administratif qu’il existe des doutes quant à l’origine et à l’identité du demandeur, étant donné que suivant courrier du 12 avril 2006 du Consulat général d’Algérie à Bruxelles, Monsieur … n’a pas pu être identifié par les autorités algériennes compétentes en raison de « faux renseignements ». Dans ces circonstances, le ministre a valablement pu ordonner des mesures d’instruction complémentaires, notamment en chargeant en date du 21 avril 2006 la police judiciaire avec la mission d’enquêter sur le demandeur, afin de tirer au clair son identité et son origine.
Il s’ensuit que la condition légale de l’impossibilité d’un éloignement immédiat se trouve vérifiée en l’espèce, étant relevé que la certitude quant à l’aboutissement effectif de la mesure de refoulement n’est pas une prémisse conditionnant la validité d’une décision de rétention (cf. trib. adm. 11 mai 2005, n° 19656a du rôle, non encore publié).
Le moyen y relatif du demandeur laisse partant d’être fondé.
Le demandeur critique ensuite qu’un danger dans son chef de se soustraire à un rapatriement ne résulterait ni de la décision attaquée, ni du dossier administratif, de manière que ce danger ne saurait être raisonnablement soupçonné, d’autant plus qu’il aurait été « placé » par le ministère de la Famille.
Force est de constater à cet égard qu’il n’est pas contesté que le demandeur était en situation irrégulière au regard de la loi prévisée du 28 mars 1972 et qu’il a subi une mesure de placement administrative sur base dudit article 15, en vue de son éloignement du territoire luxembourgeois, dont l’exécution était impossible en raison de circonstances de fait, de sorte qu’il rentrait et rentre directement dans les prévisions de la définition des « retenus » telle que consacrée à l’article 2 du règlement grand-
ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière et modifiant le règlement grand-ducal du 24 mars 1989 concernant l’administration et le régime interne de l’établissement pénitentiaire, étant relevé que la mise en place d’un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière repose précisément sur la prémisse qu’au-delà de toute considération tenant à une dangerosité éventuelle des personnes concernées, celles-ci, eu égard au seul fait de l’irrégularité de leur séjour et de l’imminence de l’exécution d’une mesure d’éloignement dans leur chef, présentent en principe et par essence un risque de se soustraire à la mesure d’éloignement, fût-il minime, justifiant en principe leur rétention dans un centre de séjour spécial afin d’éviter que l’exécution de la mesure prévue ne soit compromise. Ce moyen du demandeur est partant à rejeter.
Le demandeur critique finalement qu’il subirait le même régime de détention qu’un détenu de droit commun, étant donné qu’il ne bénéficierait que d’une heure et demie de promenade par jour, qu’il serait détenu dans une cellule individuelle et qu’il ne pourrait s’adonner qu’à une heure d’activité sportive par semaine.
C’est cependant à bon droit que le délégué du gouvernement précise que le demandeur se trouve au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, établissement qui est distinct du Centre pénitentiaire à travers l’existence d’un bloc réservé à ces fins même s’il se trouve localisé matériellement dans l’enceinte du Centre pénitentiaire. Il y a lieu de retenir plus particulièrement que le placement des retenus dans un autre bloc du Centre pénitentiaire et le régime leur appliqué suite aux événements du 30 janvier 2006 ont été considérés comme une situation qui doit être reconnue comme restant acceptable (cf. Cour adm. 16 mars 2006, n° 21089, non encore publié).
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 17 mai 2006 par le premier juge, en présence de M.
LEGILLE, greffier.
Legille Schroeder