Numéro 21230 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 avril 2006 Audience publique du 10 mai 2006 Recours formé par Monsieur …, contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié
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JUGEMENT
Vu la requête, inscrite sous le numéro 21230 du rôle, déposée le 10 avril 2006 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L- …, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 29 décembre 2005 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme étant manifestement infondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre prise sur recours gracieux en date du 1er mars 2006;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 avril 2006;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 8 mai 2006.
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Le 5 décembre 2005, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-
ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Monsieur … fut entendu en date du 14 décembre 2005 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.
Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministre », l’informa par décision du 29 décembre 2005, notifiée le 16 janvier 2006, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :
« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 5 décembre 2005 et le rapport d’audition de l’agent du Ministère des Affaires étrangères du 14 décembre 2005.
Il ressort du rapport de la Police Judiciaire que vous auriez quitté Bar le 2 décembre 2005 à bord d’une voiture qui vous aurait emmené au Luxembourg où vous seriez arrivé le 4 décembre 2005.
Le dépôt de votre demande en obtention du statut de réfugié date du lendemain. Vous auriez choisi le Luxembourg pour destination de votre voyage où vous avez deux oncles et une tante.
Il résulte de vos déclarations que lors d’une bagarre en 2001 votre ami aurait blessé un certain Denis FETAHOVIC par coups de couteau. Etant donné qu’au moment des faits vous auriez été mineur et dans le but de protéger votre copain vous auriez pris la responsabilité de l’acte sur vous. Vous auriez pourtant été acquitté par un tribunal, mais vous auriez été exclu de votre école.
Vous admettez avoir participé à la bagarre.
Vous auriez eu des problèmes avec la famille de … . Votre famille aurait été obligée de quitter Rozaje et de déménager à Bar.
Vous ne faites pas état d’autres problèmes et vous ne seriez pas membre d’un parti politique.
Selon l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ».
Par ailleurs, l’article 3 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des article 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 précitée, dispose que « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ».
Force est de constater que votre demande ne correspond à aucun critère de fond défini par la Convention de Genève et que vous ne faites pas état de persécutions au Monténégro. Vous faites état de problèmes d’ordre purement personnel avec des membres d’une famille qui ne sauraient pourtant être considérés comme actes de persécution au sens de la prédite Convention. A cela s’ajoute que les membres de cette famille ne sauraient être considérés comme agents de persécutions au sens de la prédite Convention. Vous ne faites pas état d’autres problèmes. Votre demande est à considérer comme abusive.
A cela s’ajoute que l’article 5-1) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 précitée, dispose que « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur d’asile provient d’un pays où il n’existe pas, en règle générale, de risques sérieux de persécution ».
Ce constat doit être fait pour le Monténégro, où la situation politique a favorablement évolué depuis la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement en Yougoslavie au mois d’octobre 2000. La sortie de la crise a été consolidée en mars 2002 par la signature d’un accord serbo-
monténégrin par les présidents Kostunica et Djukanovic, prévoyant l’adoption d’une nouvelle Constitution et l’organisation d’élections permettant de donner plus d’indépendance au Monténégro.
Ledit accord a été ratifié aussi bien par le parlement serbe et monténégrin en date du 9 avril 2002. La République fédérale de Yougoslavie a cessé d’exister et a été remplacée par un Etat de Serbie et de Monténégro début février 2003. Il n’existe plus d’affronts entre les différentes communautés ethniques ou religieuses. Il a ainsi été jugé par le Tribunal administratif le 4 septembre 2002 que « la situation politique a favorablement évolué au Monténégro suite à la signature d’un accord serbo-
monténégrin au mois de mars 2002 prévoyant l’adoption d’une nouvelle Constitution et l’organisation d’élections permettant de donner plus d’indépendance au Monténégro, de sorte que des risques sérieux de persécution ne sont plus à craindre dans le pays d’origine du demandeur ». Enfin et surtout, soulignons l’adhésion du 3 avril 2003 de la Serbie-Monténégro au Conseil de l’Europe et par là, sa signature de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Rappelons que tout Etat européen peut devenir membre du Conseil de l’Europe à condition qu’il accepte le principe de la prééminence du droit. Il doit en outre garantir la jouissance des droits de l’homme et des libertés fondamentales à toute personne placée sous sa juridiction.
Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».
Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 11 février 2006 ayant été rencontré par une décision confirmative du ministre du 1er mars 2006, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation à l’encontre de la décision ministérielle initiale du 29 décembre 2005 et de celle confirmative du 1er mars 2006 par requête déposée le 10 avril 2006.
L’article 10 (3) de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours en annulation en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées, le recours en annulation est recevable pour avoir par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur expose que son départ aurait pour cause le fait qu’il aurait pris à tort sur lui à l’âge de 15 ans la responsabilité d’un « acte pénalement répréhensible », à savoir des blessures causées à un certain … , afin de protéger son copain déjà majeur des sanctions pénales qu’il aurait encourues de ce fait et que la famille de la victime, après une conciliation, le poursuivrait sur base de la loi de vengeance, de manière qu’il risquerait de subir des traitements inhumains de ce fait. Sur base de ces faits, le demandeur reproche au ministre une appréciation erronée de sa situation personnelle en déclarant sa demande d’asile manifestement infondée, au motif que les faits par lui avancés ne seraient pas manifestement incrédibles, que sa crainte ne serait pas manifestement dénuée de tout fondement et qu’il n’aurait pas recouru abusivement aux procédures en matière d’asile. Il fait ainsi valoir que même si les menaces de la part de la famille dudit … ne rentrent a priori pas dans les prévisions de la Convention de Genève, il n’aurait pas non plus pu compter sur la protection des autorités de son pays d’origine malgré ses requêtes afférentes, de manière que « cette situation particulière place le requérant dans une situation vulnérable et met ce dernier en raison de son appartenance à un groupe social vulnérable » (sic).
Le délégué du gouvernement rétorque que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.
Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996, « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New-York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ».
En vertu de l’article 3 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de craintes de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motifs de sa demande.
Lorsque le demandeur invoque la crainte d’être persécuté dans son propre pays, mais qu’il résulte des éléments et des renseignements fournis que le demandeur n’a aucune raison objective de craindre des persécutions, sa demande peut être considérée comme manifestement infondée ».
Une demande d’asile basée exclusivement sur des motifs d’ordre personnel et familial ou sur un sentiment général d’insécurité sans faire état d’un quelconque fait pouvant être considéré comme constituant une persécution ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève est à considérer comme manifestement infondée (trib. adm. 15 novembre 1999, n° 11586 du rôle, Pas. adm. 2005, v° Etrangers, n° 123 et autres références y citées ; trib. adm. 28 juillet 1999, n° 11353 du rôle, Pas. adm. 2005, v° Etrangers, n° 124 et autres références y citées).
Or, en l’espèce, les craintes exprimées par le demandeur à l’égard de membres de la famille dudit Denis FETAHOVIC trouvent en substance leur origine dans un acte de droit commun et les conséquences en tirées par les membres de la famille concernée sur base d’une loi coutumière et partant dans un différend d’ordre privé, lequel est étranger aux motifs de persécution visés par la Convention de Genève.
Il s’ensuit que la demande d’asile sous examen ne repose sur aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande d’asile du demandeur comme étant manifestement infondée et que le recours sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.
PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
M. SCHOCKWEILER, premier vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, Mme GILLARDIN, juge, et lu à l’audience publique du 10 mai 2006 par le premier vice-président, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.
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