Tribunal administratif N° 20753 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 décembre 2005 Audience publique du 10 mai 2006
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Recours introduit par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 20753 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 décembre 2005 par Maître Patrick GEORTAY, avocat à la Cour, assisté de Maître Mélinda PERERA, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Niger), de nationalité nigériane, demeurant actuellement à L- …, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 23 septembre 2005, confirmée sur recours gracieux par décision du même ministre du 8 novembre 2005, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 février 2006 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 22 mars 2006 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions ministérielles entreprises ;
Ouï le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Eliane DEJARDIN-
BOTELHO, en remplacement de Maître Patrick GEORTAY, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 8 mai 2006.
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Le 29 mars 2005, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires Etrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Après avoir été entendu en date du 5 juillet 2005 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile, le ministre l’informa, par décision du 23 septembre 2005, notifiée le 28 septembre 2005 que sa demande avait été rejetée comme étant non fondée en constatant d’abord que de nombreuses contradictions et invraisemblances dans son récit laisseraient planer des doutes sur l’intégralité de son passé et les motifs de fuite invoqués. Le ministre a ainsi relevé que l’intéressé aurait délibérément menti quant à son âge puisqu’un un rapport médical daté du 10 juin 2005 atteste le fait qu’il serait beaucoup plus âgé que l’âge par lui indiqué et que des doutes sur son identité réelle devrait également être émis à défaut de présentation d’une quelconque pièce susceptible de l’établir. Le ministre a ajouté dans ce contexte qu’il résulterait des informations à sa disposition que l’intéressé avait été arrêté en Espagne le 9 décembre 2003 pour séjour illégal, alors qu’il a déclaré avoir été au Niger à cette même époque. Il en déduit que l’affirmation de Monsieur… de s’être trouvé en Europe depuis au moins le mois de décembre 2003 ne correspondrait manifestement pas à la réalité. Le ministre a retenu en outre que même en faisant abstraction de ces nombreuses contradictions et invraisemblances, les faits allégués pour justifier l’octroi du statut de réfugié ne sauraient pas non plus justifier une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève dans le chef de l’intéressé, étant donné que les problèmes relatés avec son père ou des membres d’un culte pour avoir refusé d’appartenir à ce culte ne sauraient être considérés comme des actes de persécution au sens de cette même Convention.
Le recours gracieux que Monsieur… a fait introduire par courrier de son mandataire datant du 24 octobre 2005 à l’encontre de ladite décision ministérielle du 23 septembre 2005 s’étant soldé par une décision confirmative du 8 novembre 2005, notifiée par voie de courrier recommandé expédié le 9 novembre 2005, Monsieur… a fait introduire un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions ministérielles des 29 septembre et 8 novembre 2005.
Le recours en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable.
A l’appui de son recours en réformation, le demandeur reproche au ministre compétent d’avoir commis une erreur d’appréciation des faits, en faisant valoir qu’il aurait été contraint de quitter son pays d’origine à la suite de persécutions subies, perpétrées par une secte dont son père aurait été membre actif. Il se réfère à ses déclarations relativement à son enlèvement par cette secte, au cours duquel il aurait non seulement été séquestré, mais aurait également subi des mauvais traitements.
Le délégué du Gouvernement estime que les décisions déférées sont justifiées et rappelle que les déclarations du demandeur seraient sujettes à caution en raison des divers mensonges, contradictions et invraisemblances relevés à l’appui de la décision ministérielle initiale du 23 septembre 2005.
Dans son mémoire en réplique, le demandeur insiste sur la situation politique et économique sensible, ainsi que sur la perte de confiance de la population dans les forces de l’ordre de son pays d’origine, pour souligner l’inefficacité de la protection à laquelle il pourrait s’attendre en cas de retour dans son pays d’origine.
L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement et de manière crédible, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.
L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
En effet, à défaut de tout élément concret de preuve susceptible d’établir les faits invoqués à l’appui d’une demande d’asile, il appartient pour le moins au demandeur de présenter un récit cohérent et crédible aux autorités compétentes pour examiner sa demande d’asile. Or, en l’espèce force est de constater que tant la cohérence que la crédibilité du récit du demandeur sont largement ébranlées par le fait dûment documenté au dossier administratif de sa présence en Espagne au mois de décembre 2003, soit à une époque où suivant ses propres déclarations il aurait subi des persécutions dans son pays d’origine.
A défaut de toute prise de position ou explication susceptible de justifier le fait d’avoir passé sous silence cette présence en Espagne pourtant clairement établie à partir de recherches effectuées sur base des empreintes digitales de l’intéressé, le ministre a dès lors valablement pu rejeter la demande d’asile de Monsieur… comme étant non fondée, sans même procéder à un examen plus approfondi du bien-fondé des motifs de persécution invoqués.
Le récit d’un demandeur d’asile étant en effet un élément déterminant en ce qu’il pose le cadre de l’examen de la demande d’asile, son caractère crédible devient une prémisse indispensable à tout examen plus approfondi des différents motifs de persécution invoqués.
Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours en réformation laisse d’être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 mai 2006 par:
Mme Lenert, vice-président, M. Spielmann, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Lenert 4