Numéro 19957 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 juin 2005 Audience publique du 26 avril 2006 Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame …, … contre une décision du bourgmestre de la commune de Rosport en matière de permis de construire
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JUGEMENT
Vu la requête, inscrite sous le numéro 19957 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 16 juin 2005 par Maître Georges KRIEGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … et de son épouse Madame …, demeurant ensemble à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du bourgmestre de la commune de Rosport du 26 août 2004 par laquelle ils se sont vu refuser l’autorisation de construire une maison unifamiliale au lieu-dit « … », à L-
6585 Steinsheim, maison qui servira de complément à son exploitation horticole, ainsi que de deux décisions confirmatives datant des 16 novembre 2004 et 23 mars 2005 ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Alex MERTZIG, remplacé par l’huissier de justice suppléant Georges WEBER, demeurant à Diekirch, du 17 juin 2005, portant signification de ce recours à l’administration communale de Rosport ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 4 novembre 2005 par Maître Danièle WAGNER, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, en nom et pour compte de l’administration communale de Rosport ;
Vu l’acte d’avocat à avocat du 24 octobre 2004 par lequel ledit mémoire en réponse a été notifié au mandataire de la partie demanderesse ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître David YURTMAN, en remplacement de Maître Georges KRIEGER, et Maître Jean-Paul ESPEN, en remplacement de Maître Danièle WAGNER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 mars 2006.
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Par demande du 19 septembre 2000, complétée par un avenant du 2 juin 2003, Monsieur … et son épouse Madame …, sollicitèrent du bourgmestre de la commune de Rosport l’autorisation de construire une maison unifamiliale au lieu-dit « … » à L-6585 Steinsheim, maison qui servirait de complément nécessaire à leur exploitation horticole y située. Par lettre du 26 août 2004, le bourgmestre informa les époux …-…, qu’il n’était pas en mesure de faire droit à leur demande, en se référant, quant à la motivation, à un avis juridique afférent, dressé en date du 19 juillet 2004 par Maître D.W. Il ressort du prédit avis qu’en vertu de l’article 4 du règlement grand-ducal du 26 mai 2000 déclarant obligatoire la partie du plan d’aménagement partiel – zones inondables et zones de rétention – pour le territoire de la commune de Rosport, seraient interdits dans les zones couvertes par le plan d’aménagement partiel du règlement en question tous ouvrages et installations, ce qui s’opposerait en l’espèce à la délivrance de l’autorisation de bâtir sollicitée par les époux …-…, dans la mesure où les constructions litigieuses se trouveraient situées dans une telle zone.
Suite à un recours gracieux du 12 novembre 2004, le bourgmestre confirma sa décision de refus par lettre du 16 novembre 2004.
En date du 25 novembre 2004, les époux …-… s’adressèrent au médiateur et sur intervention de ce dernier, le bourgmestre confirma à nouveau sa décision de refus par courrier adressé au médiateur le 23 mars 2005.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 16 juin 2005, les époux …-… ont fait introduire un recours tendant à l’annulation des décisions précitées du bourgmestre de la commune de Rosport des 26 août 2004,16 novembre 2004 et 23 mars 2005.
En ce qui concerne le respect du délai d’introduction du recours, les demandeurs concluent en premier lieu à la recevabilité de leur recours, en faisant valoir que les décisions du bourgmestre ne contenaient pas d’indications quant aux voies de recours à exercer.
L’article 14 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes dispose que « les décisions administratives refusant de faire droit, en tout ou en partie, aux requêtes des parties, révoquant ou modifiant d’office une décision ayant créé ou reconnue des droits doivent indiquer les voies de recours ouvertes contre elles, le délai dans lequel le recours doit être introduit, l’autorité à laquelle il doit être adressé ainsi que la manière dans laquelle il doit être présenté ».
La disposition précitée fait obligation à l’administration d’informer l’administré des voies de recours. L’omission, par l’administration, d’informer l’administré des voies de recours contre une décision administrative entraîne que les délais impartis pour les recours ne commencent pas à courir (trib.adm. 26 janvier 1998, n°10244 du rôle, Pas.
Adm. 2005, V° Procédure administrative non contentieuse, n°131).
Force est de constater qu’en l’espèce l’omission d’indiquer les voies de recours a entraîné une suspension des délais de recours, de sorte que le recours en annulation, non autrement critiqué à cet égard, est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, les demandeurs exposent que la décision de refus est basée exclusivement sur le règlement grand-ducal précité du 26 mai 2000.
Ils soutiennent que le règlement grand-ducal précité serait vicié du fait qu’il aurait été pris sans consultation du Conseil d’Etat, par référence à « l’urgence » qui aurait motivé cette procédure d’exception, sans que le gouvernement n’ait produit un élément sous-
tendant utilement le cas d’urgence.
En se basant sur une décision du tribunal administratif, ils concluent à ce que le tribunal constate l’illégalité du règlement grand-ducal du 26 mai 2000 et le déclare inapplicable en l’espèce. Il en résulterait que la décision du bourgmestre de la commune de Rosport du 26 août 2005, ainsi que les décisions confirmatives subséquentes des 16 novembre 2004 et 23 mars 2005, dans la mesure où elles invoqueraient uniquement à leur base comme motif de refus le règlement grand-ducal litigieux, devraient encourir l’annulation.
L’administration communale de Rosport fait valoir qu’elle n’aurait pas pu accorder l’autorisation litigieuse sollicitée par les époux …-…, étant donné qu’en vertu des termes clairs et précis du règlement grand-ducal du 26 mai 2000 précité, aucune construction ne pourrait être autorisée dans une zone d’inondation située en dehors de la zone d’agglomération.
Elle se rapporte ensuite à prudence de justice quant à la légalité du règlement grand-ducal précité au vu de la jurisprudence des juridictions administratives.
Il est constant que le recours introduit vise à écarter l’application du règlement grand-ducal du 26 mai 2000 et à faire annuler la décision du bourgmestre dans la mesure où celle-ci aurait été prise sur base du prédit règlement grand-ducal illégal.
Le moyen afférent tend en substance à voir faire application de l’article 95 de la Constitution suivant lequel « les Cours et tribunaux n’appliquent les arrêtés et règlements généraux et locaux qu’autant qu’ils sont conformes aux lois ». Ainsi, l’exception d’illégalité du règlement grand-ducal en question, au cas où elle serait établie, aurait pour conséquence qu’une décision administrative individuelle ne pourrait trouver son fondement dans les dispositions réglementaires reconnues comme étant prises en violation de la loi. C’est ainsi qu’en l’espèce, au cas où le tribunal viendrait à la conclusion que le règlement grand-ducal litigieux du 23 novembre 2000 est illégal, le constat de cette illégalité entraînerait l’annulation des décisions sous analyse des 26 août 2004, 16 novembre 2004 et 23 mars 2005, en ce qu’elles se fondent exclusivement sur ledit règlement grand-ducal.
En application de l’article 2 paragraphe (1), alinéa 1er de la loi modifiée du 12 juillet 1996 portant réforme du Conseil d’Etat « aucun projet ni aucune proposition de loi ne sont présentés à la Chambre des députés et, sauf le cas d’urgence à apprécier par le Grand-Duc, aucun projet de règlement pris pour l’exécution des lois et des traités ne sont soumis au Grand-Duc qu’après que le Conseil d’Etat a été entendu en son avis ».
Il appartient aux juridictions administratives de vérifier si, dans le cadre de la procédure d’élaboration d’un règlement grand-ducal, le cas d’urgence actuellement inscrit à l’article 2 paragraphe (1) de la loi précitée du 12 juillet 1996 peut être invoqué. ( En l’absence d’éléments de motivation soumis au Grand-Duc à l’appui de l’urgence invoquée et à défaut de tout élément sous-tendant utilement le cas d’urgence produit durant la procédure contentieuse, l’urgence invoquée à la base de la non-
transmission au Conseil d’Etat d’un projet de règlement grand-ducal est dénuée de tout élément de justification vérifiable (trib. adm. 25 février 2002, n° 14010 du rôle, Pas. adm.
2005, V° Lois et Règlements, n° 34, p.546 et autre référence y citée).
En l’espèce, il échet tout d’abord de constater que le règlement grand-ducal précité du 26 mai 2000 ne contient aucune indication ni aucun élément de motivation permettant de comprendre les raisons qui ont amené le gouvernement à faire application de la procédure de l’urgence et le Grand-Duc à prendre le règlement grand-ducal en question en se référant de manière vague et abstraite à des considérations d’urgence non autrement explicitées.
Il échet au contraire de noter à la lecture des visas précédant les dispositions réglementaires mêmes dudit règlement grand-ducal qu’en date du 27 mai 1994 déjà, le gouvernement en conseil avait pris une décision « concernant l’élaboration d’un plan d’aménagement partiel « zones inondables et zones de rétention » et que partant il s’est écoulé un délai de plus de 6 ans entre la décision de principe du gouvernement de faire procéder à l’élaboration de plans d’aménagement partiels tel que celui en cause et la signature du règlement grand-ducal du 23 novembre 2000. Le gouvernement ne saurait dès lors invoquer l’urgence, alors qu’il a lui-même laissé s’écouler un délai de plus de 6 ans pour prendre les dispositions réglementaires incriminées (Cour adm. 25 octobre 2001, n° 13349C du rôle, Pas. adm. 2005, V° Lois et Règlements, n° 32, p. 546 et autres références y citées).
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’à défaut de justification du caractère de l’urgence invoqué à la base du règlement grand-ducal du 26 mai 2000, celui-ci a été pris en violation de l’article 2, paragraphe (1), alinéa 1er de la loi précitée du 12 juillet 1996.
L’illégalité du règlement grand-ducal du 26 mai 2000 ayant ainsi été constatée par le tribunal, il doit être déclaré inapplicable en l’espèce.
Il s’ensuit que les décisions du bourgmestre de la commune de Rosport des 26 août 2004, 16 novembre 2004 et 23 mars 2005, dans la mesure où elles se sont exclusivement motivées par ledit règlement grand-ducal, doivent être annulées.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
déclare le recours en annulation justifié, partant annule les décisions du bourgmestre de la commune de Rosport des 26 août 2004, 16 novembre 2004 et 23 mars 2005 ;
condamne l’administration communale de Rosport aux frais.
Ainsi jugé par :
M. Georges Ravarani, président, Mme Lenert, vice-président, Mme Lamesch, premier juge, et lu à l’audience publique du 26 avril 2006 par le vice-président, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
Schmit Ravarani 5