Tribunal administratif N° 20921 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 janvier 2006 Audience publique du 27 mars 2006
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Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière d’autorisation de séjour
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 20921 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 janvier 2006 par Maître Marc BOEVER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Berane (Monténégro/Etat de Serbie-et-Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, ayant été retenu au Centre de séjour pour étrangers en situation irrégulière, tendant à l’annulation sinon à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 20 décembre 2005, par laquelle la délivrance d’une autorisation de séjour lui a été refusée ;
Vu l’ordonnance du président du tribunal administratif du 18 janvier 2006 ayant débouté Monsieur … de sa demande tendant à l’institution d’une mesure de sauvegarde ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 janvier 2006 ;
Vu l’ordonnance du président du tribunal administratif du 26 janvier 2006 ayant débouté Monsieur … de sa nouvelle demande tendant à l’institution d’une mesure de sauvegarde ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu son rapport, ainsi que Maître Olivier LANG, en remplacement de Maître Marc BOEVER, et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.
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Il ressort d’un rapport n° 15/9304/05/GHI du 5 décembre 2005 du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale que Monsieur … fut découvert sur un chantier par les services des Douanes alors qu’il effectuait des travaux sans être en possession d’un permis de travail et sans documents valables lui autorisant le séjour au Luxembourg.
Par arrêté du même jour, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration refusa à Monsieur … l’entrée et le séjour sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, aux motifs qu’il est dépourvu d’un titre de voyage valable, qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels et qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays.
Ledit ministre ordonna également, par arrêté du même jour, le placement de l’intéressé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour la durée maximale d’un mois à partir de la notification, laquelle décision lui fut notifiée le même jour.
Par courrier du 6 décembre 2005 de son mandataire de l’époque, Monsieur … introduisit auprès du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en obtention d’une autorisation de séjour pour raisons humanitaires, sinon d’un statut de tolérance provisoire, en faisant valoir qu’il serait arrivé au Luxembourg en 1999, qu’il aurait été définitivement débouté de sa demande d’asile, qu’il aurait toujours vécu auprès de son frère … … à Differdange et qu’il n’aurait jamais été à charge de l’Etat luxembourgeois. Il signala encore que tous ses frères et sœurs séjourneraient et travailleraient au Luxembourg et qu’il n’aurait jamais fait l’objet d’une quelconque condamnation pour un fait relevant d’une délinquance de droit commun.
Par décision du 20 décembre 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration refusa de faire droit à la prédite « demande d’une autorisation de séjour provisoire », aux motifs que l’intéressé ne ferait pas état de raisons humanitaires justifiant une autorisation de séjour au Luxembourg et qu'il ne disposerait pas de moyens d'existence personnels suffisants légalement acquis, indépendamment de l’aide ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à lui faire parvenir.
Par requête déposée le 17 janvier 2006, Monsieur … a fait introduire - selon le dispositif de la requête introductive d’instance, auquel le tribunal peut seul avoir égard - un recours en annulation sinon en réformation contre la décision ministérielle précitée du 20 décembre 2005. - Par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 20922 du rôle, Monsieur … a encore introduit une demande tendant à l’institution d’une mesure de sauvegarde consistant dans l'autorisation de séjourner provisoirement sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg en attendant la solution du recours au fond. Cette requête fut rejetée comme non fondée par ordonnance du président du tribunal administratif du 18 janvier 2006.
Par requête déposée le 26 janvier 2006, inscrite sous le numéro 20946 du rôle, l’intéressé a introduit une nouvelle demande tendant à l’institution d’une mesure de sauvegarde consistant dans l'autorisation de séjourner provisoirement sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg en attendant la solution du recours au fond. Cette requête fut rejetée comme non fondée par ordonnance du président du tribunal administratif du 26 janvier 2006.
Encore que le demandeur entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre la décision litigieuse. En effet, comme l’article 2 (1) de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, l’existence d’une telle possibilité d’un recours en réformation rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.
Dans la mesure où ni la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, ni aucune autre disposition légale n’instaure un recours au fond en la présente matière, le tribunal est incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation.
Il convient de prime abord de relever que si la demande de Monsieur … du 6 décembre 2005 à l’adresse du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration tend principalement à l’obtention d’une autorisation de séjour pour raisons humanitaires et subsidiairement à l’octroi d’un statut de tolérance, force est cependant de constater que la décision ministérielle déférée porte uniquement refus de délivrer une autorisation de séjour, sans prendre par ailleurs position sur la demande de Monsieur … à se voir octroyer un statut de tolérance.
Il s’ensuit que le recours principal en annulation est à déclarer sans objet et partant irrecevable dans la mesure où il entend déférer au tribunal une décision de refus du statut de tolérance provisoire à défaut de décision afférente.
Le recours en annulation est par contre recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi en tant que dirigé contre le refus ministériel d’une autorisation de séjour.
A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il se trouverait au Luxembourg depuis 1999, que sa demande d'asile du chef d’insoumission aurait été rejetée et qu’il n’aurait pas introduit de demande de régulariser son séjour au pays. Il explique qu’il aurait eu un comportement irréprochable depuis son arrivée au Luxembourg, que toute sa famille résiderait au Luxembourg et qu'il vivrait auprès des membres de sa famille qui se seraient déclarés prêts à le prendre en charge. Il précise qu’il ne lui resterait aucune famille dans son pays d’origine ni aucun bien familial, de sorte qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il se retrouverait seul et sans ressources. Il ajoute qu’il bénéficierait d’une promesse d’embauche au Luxembourg, qu’il serait tout à fait intégré dans le système luxembourgeois et qu’il se sentirait pleinement chez lui au Luxembourg. Il conclut que ce serait inhumain de l’éloigner vers son pays d’origine au motif qu'il serait alors éloigné de sa famille dont tous les membres vivraient au Luxembourg, et qu'il n'aurait plus d'attaches familiales dans son pays d'origine. De plus, en cas de retour dans son pays, il risquerait d'y être considéré comme insoumis du fait qu'il n'y a pas effectué son service militaire. Dans ce contexte, il expose, en se référant à des articles de journaux récents parus dans son pays d’origine que les insoumis risqueraient d’être punis en cas de retour dans leur pays.
En droit, le demandeur soutient que la décision de refus d’une autorisation de séjour déférée violerait tant l’article 14, alinéa 3 de la loi modifiée du 28 mars 1972, précitée, que l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 et approuvée par une loi du 29 août 1953, ci-après désignée par la « Convention européenne des droits de l’homme », au motif, d’une part, qu’il aurait démontré l’existence des risques pesant sur sa vie et sa liberté en cas de retour dans son pays d’origine et que, d’autre part, la peine qu’il risquerait d’encourir pour insoumission serait disproportionnée et injustifiée en ce qu’il n’aurait pas pu répondre à l’appel au service militaire en raison de son absence du pays.
Il affirme encore que la décision de refus litigieuse violerait l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme en faisant valoir que la réalité d’une vie familiale serait établie en l’espèce et qu’il aurait eu un comportement irréprochable depuis son arrivée au Luxembourg.
Finalement, le demandeur reproche au ministre compétent de lui avoir refusé le statut de tolérance tel que prévu par l’article 13 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1.
d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2. d’un régime de protection temporaire en soutenant qu’il existerait des circonstances matérielles qui empêcheraient son retour dans son pays d’origine.
Le délégué du gouvernement rétorque que ce serait à bon droit et conformément aux termes de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972, précitée, que le ministre aurait refusé l’autorisation de séjour à Monsieur …, au motif que celui-ci serait en séjour irrégulier au pays et dépourvu de moyens d’existence personnels, les diverses déclarations de prise en charge émanant de ses frères et sœurs ainsi qu’une promesse d’embauche ne pouvant être prises en considération pour valoir comme moyens d’existence personnels dans le chef du demandeur.
Concernant le regroupement familial, le représentant étatique entend réfuter une prétendue violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme en soutenant que la garantie de l’exercice d’une vie familiale ne s’appliquerait pas à la fratrie et à la présence au pays de la mère du demandeur, puisque ce dernier ne serait plus mineur.
Quant aux prétendus risques encourus par le demandeur dans son pays d’origine, le délégué du gouvernement expose que ces arguments auraient déjà été toisés dans le cadre de sa demande d’asile. Il ajoute que le fait de devoir faire son service militaire en cas de retour dans son pays d’origine ne saurait entrer en ligne de compte, au motif que le service militaire n’impliquerait plus actuellement la participation à des actes qui pourraient être contraires à la conscience et que le fait de risquer une condamnation relèverait de la pure spéculation.
Concernant le motif de refus tiré du défaut de moyens d’existence personnels dans le chef du demandeur, l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972, précitée, dispose que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger : (…) - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour », impliquant qu’un refus d’entrée et de séjour au pays peut être décidé notamment lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers (cf. trib. adm. 17 février 1997, Pas. adm. 2005, V° Etrangers, n° 166 et autres références y citées).
En l’espèce, force est au tribunal de constater qu’il ne ressort d’aucun élément du dossier que Monsieur … disposait au moment de la prise de la décision litigieuse d’un quelconque moyen personnel susceptible de lui permettre de subvenir à ses besoins personnels au pays et qu’il n’a pas non plus établi qu’il était, à la date de la décision ministérielle critiquée, autorisé à travers un permis de travail à occuper un poste de travail au Grand-Duché, voire s’adonnait légalement à une activité indépendante, et qu’il pouvait partant disposer de moyens personnels propres suffisants et légalement acquis. Au contraire, il ressort des éléments du dossier que le demandeur a été interpellé par les services des Douanes alors qu’il travaillait sur un chantier sans être en possession d’un permis de travail.
Cette conclusion n’est pas ébranlée par la mise à disposition d’un logement auprès de l’un des frères du demandeur ni par le soutien financier et matériel à travers les déclarations de prise en charge versées en cause et signées par les frères, beau-frère et belle-sœur du demandeur, lesquelles ne sauraient valoir comme preuve de moyens personnels dans le chef de Monsieur …, étant donné qu’il s’agit de moyens procurés par des tierces personnes.
Cette conclusion n’est pas non plus énervée par la production d’une promesse d’embauche signée par l’entreprise de construction A.C. S.à r.l., étant donné que la simple expectative d’un travail sur base de ladite promesse d’embauche est à elle seule insuffisante, aussi longtemps que le ministre compétent n’a pas délivré d’autorisation de travail.
Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a pu se baser sur le motif légal du défaut de moyens personnels légalement acquis au moment de la prise de la décision litigieuse pour refuser la délivrance d’une autorisation de séjour en faveur de Monsieur ….
En ce qui concerne les raisons, qualifiées d’humanitaires, avancées par le demandeur aux fins de justifier l’obtention de l’autorisation de séjour sollicitée, il convient de rappeler que si le contrôle juridictionnel propre à un recours en annulation ne saurait en principe aboutir à priver l’autorité administrative de son pouvoir d’appréciation, il n’en reste pas moins que, confronté à une décision relevant d’un pouvoir d’appréciation étendu, le juge administratif, saisi d’un recours en annulation, est appelé à vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute et s’ils sont de nature à justifier la décision, de même qu’il peut examiner si la mesure prise n’est pas manifestement disproportionnée par rapport aux faits établis, en ce sens que cette disproportion laisse entrevoir un usage excessif du pouvoir par l’autorité qui a pris la décision, voire un détournement du même pouvoir par cette autorité (cf. trib. adm. 12 février 2003, n° 15238 du rôle, confirmé par Cour adm. 4 novembre 2003, n° 16173C du rôle, Pas. adm. 2005, V° Recours en annulation, n° 16).
Force est cependant de constater que le ministre compétent n’encourt de reproche ni d’avoir outrepassé les pouvoirs d’appréciation qui lui sont reconnus dans le cadre d’une demande en délivrance d’un permis de séjour pour raisons humanitaires au sens de l’article 14, alinéa dernier de la loi modifiée du 28 mars 1972, précitée, ni d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation en estimant que le demandeur ne faisait pas valoir de raisons humanitaires justifiant la délivrance d’une autorisation de séjour.
En effet, si l’article 14, alinéa dernier de la loi modifiée du 28 mars 1972, précitée, prévoit certes qu’un étranger ne saurait être expulsé ou rapatrié dans un pays où sa vie ou sa liberté seraient gravement menacées ou s’il y était exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme ou encore à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le motif tel qu’avancé par le demandeur à travers sa crainte de devoir subir une peine d’emprisonnement pour insoumission ou désertion ne saurait suffire pour justifier l’octroi d’une autorisation de séjour sur base notamment de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. En effet, en ce qui concerne sa peur d’être incarcéré en raison de son insoumission ou désertion de l’armée fédérale yougoslave, il échet de relever que cet argument se rapporte pour l’essentiel à un motif qui, à le supposer établi, justifierait éventuellement l’octroi du statut de réfugié, un tel statut impliquant nécessairement l’autorisation de séjourner sur le territoire luxembourgeois.
En outre, des arguments tirés d’un risque de persécutions et de représailles dans le pays d’origine de l’étranger ne sont pas à prendre en considération dans le cadre d’une demande en autorisation de séjour en l’absence d’élément ou de motif de persécution nouveaux par rapport à ceux soumis aux juges ayant rejeté la demande en obtention du statut de réfugié (cf. trib. adm. 17 octobre 2002, n° 14525, confirmé par Cour adm. 6 mars 2003, n° 15646C, Pas. adm. 2005, V° Etrangers, n° 239).
Or, force est en l’espèce de constater qu’il n’est pas contesté que les craintes exposées par le demandeur quant à son insoumission de l’armée yougoslave avaient déjà été invoquées à l’appui de sa demande d’asile, laquelle a été rejetée comme non fondée. Il reste cependant en défaut de faire état dans sa requête introductive du moindre argument ou élément concret tendant à étayer l’existence de menaces pour sa vie ou sa liberté ou d’un risque de subir des traitements inhumains ou dégradants dans son pays d’origine qui serait nouveaux par rapport à ceux déjà antérieurement mis en avant. Cette conclusion n’est pas ébranlée par la production d’une nouvelle pièce censée prouver le risque d'un emprisonnement du demandeur en cas de retour dans son pays d'origine, étant donné que le risque de devoir subir une peine d'emprisonnement pour insoumission ou désertion ne constitue pas un motif légitime de non-
retour dans son pays d'origine, ni en vertu des dispositions de la Convention de Genève, ni encore en vertu de celles de la Convention européenne des droits de l'homme. Pour le surplus, il y a encore lieu de constater que l’authenticité de cette pièce, consistant en une copie, sur papier libre, d'une décision du « Service de l'Armée, section de Berane » (sans indication du pays auquel ce service est rattaché) qui énonce que Monsieur … a quitté son pays, « car il a voulu éviter de devoir faire la guerre », que pour cette raison, une enquête criminelle a été ouverte contre lui et qu'il a été condamné à une peine de prison ferme de 48 mois et 16 jours, cette peine pouvant être remplacée par une amende de 12.846 DEM ou 6.392 €, est sujette à caution et qu’elle est contestée par le représentant étatique.
Il s’ensuit que le demandeur n’a pas fait état de motifs justifiant la délivrance d’une autorisation de séjour pour des raisons humanitaires sur base notamment de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, en ce qu’il n’a pas établi risquer être victime de traitements ou peines inhumains ou dégradants ou encore d’actes contraires à ladite Convention.
Quant au moyen tiré du droit au regroupement familial et de la violation alléguée de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, celui-ci dispose que :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (…).
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».
S’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la Convention européenne des droits de l’homme ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la Convention.
L’étendue de l’obligation des Etats contractants d’admettre des non nationaux sur leur territoire dépend de la situation concrète des intéressés mise en balance avec le droit de l’Etat à contrôler l’immigration.
En ce qui concerne dès lors la violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, il y a lieu de rappeler qu’en matière d’immigration, le droit au regroupement familial est reconnu s’il existe des attaches suffisamment fortes avec l’Etat dans lequel le noyau familial entend s’installer, consistant en des obstacles rendant difficile de quitter ledit Etat ou s’il existe des obstacles rendant difficile de s’installer dans leur Etat d’origine. Cependant, l’article 8 ne saurait s’interpréter comme comportant pour un Etat contractant l’obligation générale de respecter le choix par les membres d’une famille de leur domicile commun et d’accepter l’installation d’un membre non national d’une famille dans le pays (CEDH, 28 mai 1985, ABDULAZIS, CABALES et BALKANDALI ; CEDH, 19 février 1996, GÜL; CEDH, 28 novembre 1996, AHMUT). Il se dégage encore de la jurisprudence précitée de la Cour européenne des droits de l’homme et de l’analyse qui en a été faite que l’article 8 ne garantit pas le droit de choisir le lieu le plus approprié pour développer une vie familiale et qu’il faut « des raisons convaincantes pour qu’un droit de séjour puisse être fondé sur cette disposition » (cf. Bull. dr. h. n° 1998, p.161).
Il y a dès lors lieu d’examiner en l’espèce si la vie privée et familiale dont fait état le demandeur pour conclure dans son chef à l’existence d’un droit à la protection d’une vie familiale par le biais des dispositions de l’article 8 CEDH rentre effectivement dans les prévisions de ladite disposition de droit international qui est de nature à tenir en échec la législation nationale.
A cet égard, il ressort des éléments du dossier que la mère et les quatre frères et sœur du demandeur avec leurs conjoints et enfants respectifs résident au Luxembourg depuis plusieurs années, et qu’il n’est en outre pas contesté que le demandeur n’a plus d’attaches familiales dans son pays d’origine.
Concernant plus particulièrement l’hypothèse de personnes adultes désireuses de venir rejoindre leur famille dans son pays d’accueil, elles ne sauraient être admises au bénéfice de la protection de l’article 8 que lorsqu’il existe des éléments supplémentaires de dépendance, autres que les liens affectifs normaux (CEDH, 17 avril 2003, YILMAZ).
Or, même à admettre l’existence de liens affectifs entre le demandeur et ses proches parents établis au pays, ces liens s’analysent en des liens affectifs normaux, étant donné que le demandeur n’a pas démontré l’existence d’éléments supplémentaires de dépendance autres que les liens affectifs normaux qui caractérisent les relations d’une personne adulte avec sa famille d’origine établie au Luxembourg et sont de ce fait insuffisants en tant que tels pour valoir l’admission au bénéfice de la protection prévue pour l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Il se dégage dès lors de l’ensemble des considérations qui précèdent que face au pouvoir souverain de l’Etat de déterminer les conditions d’accès à son territoire, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a valablement pu refuser le droit de séjour à Monsieur … sans méconnaître la protection accordée par les dispositions de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
se déclare incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation ;
déclare le recours principal en annulation irrecevable dans la mesure où il entend déférer au tribunal une décision de refus du statut de tolérance provisoire ;
reçoit le recours principal en annulation en la forme en ce qu’il est dirigé contre le refus ministériel d’une autorisation de séjour ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, premier vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 27 mars 2006 par le premier vice-président, en présence de M. Legille, greffier.
Legille Schockweiler 8