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20/03/2006 | LUXEMBOURG | N°20516

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 mars 2006, 20516


Numéro 20516 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 octobre 2005 Audience publique du 20 mars 2006 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 20516 du rôle, déposée le 27 octobre 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Frank WIES, avocat à la C

our, assisté de Maître David LOUIS, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre de...

Numéro 20516 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 octobre 2005 Audience publique du 20 mars 2006 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 20516 du rôle, déposée le 27 octobre 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, assisté de Maître David LOUIS, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Bosnie-Herzégovine), de nationalité bosniaque, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 10 août 2005 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 23 septembre 2005, suite à un recours gracieux du 9 septembre 2005;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 décembre 2005;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline GUILLOU-JACQUES s’étant référée au mémoire écrit de la partie publique à l’audience publique du 6 mars 2006.

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Il ressort d’un procès-verbal n° 05/95204 du 21 juillet 2005 du service régional de polices spéciales, de la circonscription régionale de Luxembourg de la police grand-ducale qu’en date du même jour, Monsieur … fut interpellé en raison du fait qu’il se livrait à un travail au noir et qu’il se trouvait en séjour irrégulier au Grand-Duché de Luxembourg.

Par arrêté du 21 juillet 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministre », prit à l’encontre de Monsieur … une décision de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois, décision qui fut notifiée à l’intéressé le même jour et exécutée à partir de la même date.

Le 27 juillet 2005, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu en date du 8 août 2005 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa par décision du 10 août 2005, notifié à l’intéressé en mains propres le 10 août 2005, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs, d’une part, que sa demande d’asile, introduite en vue de prévenir une mesure d’expulsion imminente, constituerait un recours abusif aux procédures en matière d’asile et, d’autre part, qu’il n’alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raisons d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans son chef.

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 9 septembre 2005 ayant fait l’objet d’une décision confirmative le 23 septembre 2005, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions ministérielles précitées des 10 août et 23 septembre 2005 par requête déposée le 27 octobre 2005.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose qu’il ferait partie « d’une minorité ethnique » dans son village d’origine, « occupé actuellement par une majorité de personnes de confession musulmane originaire de la ville de Srebenica, où elles avaient échappé au génocide perpétré par les forces serbes en 1995 ». Du fait de cette expérience traumatisante, les habitants de son village d’origine s’opposeraient par tous les moyens y compris la force au retour de non musulmans dans le village.

Il se réfère à divers rapports, pour soutenir que les personnes déplacées internes ne pourraient réintégrer leur domicile dans cette région. Le rapport indiquerait par ailleurs que même si les attaques contre les minorités étaient en baisse, il en serait différemment en ce qui concerne les hostilités à leur égard. Il conclut que ces faits exprimeraient plus qu’un sentiment général d’insécurité et que les autorités de son pays seraient incapables de le protéger efficacement contre les persécutions émanant de certains groupes de la population, de sorte qu’il conviendrait de lui attribuer le statut de réfugié politique.

En substance, il reproche au ministre d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la réalité et la gravité des motifs de crainte de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de l’audition du 8 août 2005, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile.

En ce qui concerne la situation des membres de minorités en Bosnie-Herzégovine, c’est à bon droit que le délégué du Gouvernement a soutenu que le demandeur, en tant que Serbe de Bosnie-Herzégovine avait la possibilité de s’installer dans une région à majorité orthodoxe et de bénéficier ainsi d’une possibilité de fuite interne.

Par ailleurs, s’il est vrai que la situation générale et la communauté de vie entre musulmans et orthodoxes peut s’avérer difficile, surtout en République Srpska, cette situation n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires.

Or, en l’espèce, les faits exposés par le demandeur lors de son audition et à travers son recours, sont extrêmement vagues et relatés d’une manière difficilement compréhensible, qui s’analysent en substance en des menaces ou harcèlements de la part de Serbes et de Musulmans, lesquels ne revêtent néanmoins pas le caractère de gravité requis pour rendre au demandeur la vie intolérable dans sa région d’origine.

En outre, le tribunal est amené à constater que les actes concrets de persécution invoqués par le demandeur paraissent essentiellement émaner de personnes privées étrangères aux autorités publiques, de même qu’ils s’analysent dans cette mesure en une persécution émanant non pas de l’Etat, mais d’un groupe de la population et ne sauraient dès lors être reconnus comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève. Il convient d’ajouter que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence et qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel. Il ne saurait en être autrement qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s).

Si le demandeur tend en l’espèce certes à décrire une situation d’insécurité et d’hostilité envers les minorités dans son pays d’origine, il n’a soumis aucun indice concret relativement à l’incapacité actuelle des autorités compétentes de lui fournir une protection adéquate. En effet, le simple fait de prétendre que les autorités actuellement en place en Bosnie-Herzégovine, ne seraient pas en mesure de lui assurer une protection efficace, sans apporter d’autres précisions à ce sujet et sans faire état d’une tentative concrète de recherche de protection à travers notamment le dépôt d’une plainte, n’est pas de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part desdites autorités.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant le recours en réformation est à rejeter comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 20 mars 2006 par :

Mme Lenert, vice-président, Mme Lamesch, premier juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 20516
Date de la décision : 20/03/2006

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2006-03-20;20516 ?

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