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16/03/2006 | LUXEMBOURG | N°20533

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 mars 2006, 20533


Tribunal administratif N° 20533 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 octobre 2005 Audience publique du 16 mars 2006

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Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 20533 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 31 octobre 2005 par Maître Daniel BAULISCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avoca

ts à Diekirch, assisté de Maître Frédérique HENGEN, avocat, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à...

Tribunal administratif N° 20533 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 octobre 2005 Audience publique du 16 mars 2006

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Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 20533 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 31 octobre 2005 par Maître Daniel BAULISCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, assisté de Maître Frédérique HENGEN, avocat, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Gomel (Biélorussie), de nationalité et de citoyenneté biélorusses, actuellement détenu au Centre pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 6 octobre 2005 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 janvier 2006 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Brigitte CZOSKE, en remplacement de Maître Daniel BAULISCH, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 24 mai 2005, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut encore entendu le 22 juin 2005 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 6 octobre 2005, notifiée à l’intéressé en mains propres le 24 octobre 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa que sa demande d’asile avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« En mains le procès-verbal du Service de Police Judiciaire du même jour et le rapport d’audition de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration du 31 mai 2005 [22 juin 2005].

Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté la Biélorussie avec votre frère le 16 mai 2005. A Gomel, vous auriez pris place dans la remorque d’un camion. Vous ne pouvez donner aucune précision quant à votre trajet, n’ayant jamais quitté votre cachette. Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 24 mai 2005.

Vous n’auriez pas fait votre service militaire car vous auriez été réformé : vous dites avoir une hépatite C. Vous auriez été adopté par une dame qui serait le Procureur Général de la ville de Gomel. Votre mère aurait enquêté sur une affaire et elle aurait découvert les noms de certains députés. Elle aurait reçu des appels anonymes lui demandant de clore son enquête. Elle vous aurait dit, à votre frère et à vous-même, de quitter le pays. Elle vous aurait envoyé chez une amie – tante Nina – et votre frère, qui avait été kidnappé, vous y aurait rejoint après son évasion. Vous ajoutez que votre appartement aurait été fouillé trois fois, avant l’enlèvement de votre frère et après.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je relève d’abord que votre identité est sujette à caution. Vous ne disposez d’aucun document d’identité, ce qui est curieux avec une mère Procureur Général qui vous aurait pu fournir ces documents. Il n’est pas établi que vous soyez biélorusse alors que vous avez un nom à consonance scandinave.

Quoi qu’il en soit, votre récit est peu crédible. Si votre mère est elle-même menacée, on ne comprend pas pourquoi elle n’a pas quitté le pays avec vous. On ne comprend pas non plus pourquoi elle n’a pas porté plainte après l’enlèvement de votre frère. Finalement, votre mère aurait pu vous mettre à l’abri dans des conditions plus sûres qu’en vous envoyant clandestinement hors du pays.

Par conséquent, je ne peux que conclure que votre récit, qui ne correspond d’ailleurs à aucun motif de persécution prévu par la Convention de Genève, a visiblement été inventé de toute pièce.

Il résulte de ce qui précède que vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays, telle une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par requête déposée le 31 octobre 2005, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle du 6 octobre 2005.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise.

Le recours en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire de la ville de Gomel en Biélorussie et qu’il aurait dû quitter son pays d’origine ensemble avec son frère en raison du fait que sa mère adoptive, procureur général à Gomel, aurait enquêté sur une affaire dans laquelle auraient été impliqués certains députés, que celle-ci aurait reçu des appels anonymes subi des pressions afin de clore son enquête, que son frère aurait même été kidnappé, que son appartement aurait été fouillé à trois reprises et qu’après que son frère aurait réussi à s’échapper, sa mère aurait organisé leur départ en camion de Biélorussie vers l’étranger.

En substance, il reproche au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime pour sa part que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de son audition, telles que celles-ci sont relatées dans le compte-rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions et force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal, alors que le récit du demandeur est essentiellement vague, non autrement documenté et partant difficilement crédible, le délégué du gouvernement relevant à juste titre que le demandeur n’est même pas en mesure d’apporter un quelconque élément probant relativement à son identité, malgré le fait qu’il déclare être le fils adoptif du procureur général de la Ville de Gomel.

S’y ajoute que le demandeur reste en défaut de démontrer concrètement que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient ni disposées ni capables de lui assurer un niveau de protection suffisant.

Par ailleurs, il n’appert pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal qu’une possibilité de fuite lui aurait été impossible, pareille possibilité de trouver refuge dans une autre partie de son pays d’origine paraissant tout à fait possible, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité d’un demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2005, V° Etrangers, n° 62 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, premier vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 16 mars 2006 par le premier vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 20533
Date de la décision : 16/03/2006

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2006-03-16;20533 ?

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