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22/02/2006 | LUXEMBOURG | N°19761

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 février 2006, 19761


Numéros 19760, 19761 et Tribunal administratif 19762 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrits le 3 mai 2005 Audience publique du 22 février 2006 Recours formés par - Monsieur O., …, - Monsieur B., …, - Monsieur K., …, contre un arrêté et une décision du ministre de la Justice en présence de Monsieur F., … en matière de fonctionnaires et agents publics

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JUGEMENT

I. Vu la requête, inscrite sous le numéro 19760 du rôle, déposée le 3

mai 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Monique WATGEN, avocat à la Cour, i...

Numéros 19760, 19761 et Tribunal administratif 19762 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrits le 3 mai 2005 Audience publique du 22 février 2006 Recours formés par - Monsieur O., …, - Monsieur B., …, - Monsieur K., …, contre un arrêté et une décision du ministre de la Justice en présence de Monsieur F., … en matière de fonctionnaires et agents publics

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JUGEMENT

I. Vu la requête, inscrite sous le numéro 19760 du rôle, déposée le 3 mai 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Monique WATGEN, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur O., commissaire en chef auprès de la Police grand-ducale, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation 1.

d’une décision du ministre de la Justice du 28 janvier 2005 rejetant sa candidature au poste vacant de chef du service de recherche et d’enquête criminelle de Grevenmacher, 2.

d’un arrêté du ministre de la Justice du 14 janvier 2005 portant nomination du commissaire en chef F. au poste de chef du service de recherche et d’enquête criminelle de Grevenmacher avec effet au 1er novembre 2004;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Gilbert RUKAVINA, demeurant à Diekirch, du 9 mai 2005 portant signification de ce recours à Monsieur F., commissaire en chef, demeurant à L-…;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 août 2005;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 29 septembre 2005 par Maître Monique WATGEN pour compte de Monsieur O.;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 31 octobre 2005;

Vu les pièces supplémentaires déposées au greffe du tribunal administratif le 4 novembre 2005 par Maître Monique WATGEN pour compte de Monsieur O. ;

II. Vu la requête, inscrite sous le numéro 19761 du rôle, déposée le 3 mai 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Monique WATGEN, préqualifiée, au nom de Monsieur B., commissaire en chef auprès de la Police grand-ducale, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation 1.

d’une décision du ministre de la Justice du 28 janvier 2005 rejetant sa candidature au poste vacant de chef du service de recherche et d’enquête criminelle de Grevenmacher, 2.

d’un arrêté du ministre de la Justice du 14 janvier 2005 portant nomination du commissaire en chef F. au poste de chef du service de recherche et d’enquête criminelle de Grevenmacher avec effet au 1er novembre 2004;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Gilbert RUKAVINA, préqualifié, du 9 mai 2005 portant signification de ce recours à Monsieur F., préqualifié;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 août 2005;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 29 septembre 2005 par Maître Monique WATGEN pour compte de Monsieur B.;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 31 octobre 2005;

Vu les pièces supplémentaires déposées au greffe du tribunal administratif le 4 novembre 2005 par Maître Monique WATGEN pour compte de Monsieur B. ;

III. Vu la requête, inscrite sous le numéro 19762 du rôle, déposée le 3 mai 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Monique WATGEN, préqualifiée, au nom de Monsieur K., commissaire en chef auprès de la Police grand-ducale, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation 1.

d’une décision du ministre de la Justice du 28 janvier 2005 rejetant sa candidature au poste vacant de chef du service de recherche et d’enquête criminelle de Grevenmacher, 2.

d’un arrêté du ministre de la Justice du 14 janvier 2005 portant nomination du commissaire en chef F. au poste de chef du service de recherche et d’enquête criminelle de Grevenmacher avec effet au 1er novembre 2004;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Gilbert RUKAVINA, préqualifié, du 9 mai 2005 portant signification de ce recours à Monsieur F., préqualifié;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 août 2005;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 29 septembre 2005 par Maître Monique WATGEN pour compte de Monsieur K.;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 31 octobre 2005;

Vu les pièces supplémentaires déposées au greffe du tribunal administratif le 4 novembre 2005 par Maître Monique WATGEN pour compte de Monsieur K. ;

I. + II. + III.

Vu les pièces versées en cause et notamment les arrêté et décision critiqués;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Monique WATGEN et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Suite à la vacance du poste de chef du service de recherche et d’enquête criminelle, en abrégé « SREC », de Grevenmacher à partir de juin 2004, le directeur général de la police grand-ducale, ci-après désigné par le « directeur », formula le 22 juin 2004 à l’adresse du ministre de l’Intérieur la proposition de nommer le commissaire en chef F. à ce poste à partir du 1er août 2004.

Suite à une réclamation contre cette proposition de nomination adressée audit ministre par Monsieur O., préqualifié, par courrier du 2 juillet 2004, le ministre de la Justice, ci-après désigné par le « ministre », devenu entre-temps l’autorité de nomination compétente, l’informa, suivant lettre du 31 août 2004, de ce que le directeur n’entendait pas maintenir sa proposition de nomination et que le poste vacant serait publié par le biais d’une note de service.

La vacance du poste de chef du SREC de Grevenmacher fut portée à la connaissance des membres du corps de la police grand-ducale par le directeur suivant note de service n° 107/2004 du 1er octobre 2004 avec invitation aux intéressés à soumettre leurs candidatures.

En date du 5 octobre 2004, Monsieur O. et Monsieur K., préqualifiés, soumirent par la voie hiérarchique leurs candidatures respectives pour ce poste vacant. Monsieur B., préqualifié, soumit sa candidature pour le même poste par courrier du 14 octobre 2004.

Le directeur informa, par avis séparés du 25 octobre 2004, Messieurs O. et B. de ce qu’il n’était pas prévu de les affecter au poste de chef du SREC de Grevenmacher pour des raisons d’intérêt du service et plus particulièrement pour les motifs identiques suivants :

« En l’espèce, l’intérêt de service s’exprime dans le respect de réaliser un renfort pluriannuel du Service de Police Judiciaire. Pour le 1er octobre 2004, le renfort net de 4 unités projetées a pu être réalisé par l’épreuve de sélection annuelle, et ce malgré plusieurs départs à la retraite. Le départ de fonctionnaires expérimentés avant les prochains renforcements visés en 2005 mettra en échec les efforts énumérés ci-devant.

En outre, cette décision reste sans conséquence pour le classement du commissaire en chef (…) sur la liste d’ancienneté ».

Le directeur informa également, par avis du 8 novembre 2004, Monsieur K. de ce qu’il n’était pas prévu de l’affecter au poste de chef du SREC de Grevenmacher pour des raisons d’intérêt du service et plus particulièrement pour les motifs suivants :

« L’intéressé ne dispose pas de l’expérience et des connaissances professionnelles dans le domaine judiciaire indispensables pour commander l’unité en question.

Un Service de Recherche et d’Enquête Criminelle assure des missions spécifiques au sein de la Police Grand-Ducale, notamment dans - la lutte contre les stupéfiants, - les délits contre les biens (cambriolages, vols de véhicules, etc.), - la criminalité transfrontalière, - les délits sexuels et - la police technique.

Il va sans dire que le commandant d’un service afférent doit se prévaloir d’une expérience professionnelle large dans les domaines précités. Cependant, lors de sa carrière policière, le commissaire en chef K. n’a été affecté ni au Service de Police Judiciaire ni à un Service de Recherche et d’Enquête Criminelle. Il s’ensuit que l’intéressé ne répond pas au profil professionnel requis pour assurer le commandement de ce service spécialisé ».

Par courriers respectifs des 9, 12 et 15 novembre 2004, Messieurs B., O. et K.

soumirent au directeur leurs observations relativement aux avis négatifs de ce dernier par rapport à leurs candidatures respectives.

Par arrêté du ministre du 14 janvier 2005, Monsieur F., préqualifié, fut affecté à la fonction de chef du SREC de Grevenmacher.

Le ministre s’adressa, par lettre du 28 janvier 2005, au directeur dans les termes suivants :

« Je vous prie de bien vouloir informer les commissaires en chef B., O. et K. que leurs candidatures au poste de chef du service de recherche et d’enquête criminelle de la circonscription régionale de Grevenmacher n’ont pas été retenues.

En effet, le commissaire en chef F. a été affecté à cette fonction par arrêté ministériel du 14 janvier 2005, alors que ce dernier a largement contribué à la mise en place de cette unité ce qui le qualifie plus particulièrement pour être nommé chef de service.

Veuillez informer les concernés que la présente décision est susceptible d’un recours en annulation à introduire devant le Tribunal Administratif par ministère d’un avocat à la Cour dans le délai de trois mois à partir de la notification de la présente ».

Par requêtes séparées déposées le 3 mai 2005 et inscrites sous les numéros 19760, 19761 et 19762 du rôle, Messieurs O., B. et K. ont fait introduire des recours contentieux tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision précitée du ministre du 28 janvier 2005 et de l’arrêté du même ministre du 14 janvier 2005 portant nomination de Monsieur F. au poste de chef du SREC de Grevenmacher.

C’est à juste titre que le délégué du gouvernement conclut à l’incompétence du tribunal pour connaître des recours principaux en réformation, étant donné qu’aucune disposition légale n’instaure un recours au fond en matière de changement d’affectation.

C’est pareillement à juste titre que le délégué du gouvernement fait valoir que les recours sous analyse visent en réalité non pas deux décisions distinctes, mais une décision unique de sélection d’un des candidats pour le poste de chef du SREC de Grevenmacher et de refus corrélatif des autres candidatures, laquelle serait matérialisée d’abord par l’arrêté ministériel du 14 janvier 2005 et ensuite le courrier ministériel du 28 janvier 2005 qui ne véhiculerait que l’information aux candidats non retenus.

Il s’ensuit que les recours subsidiaires en annulation sont à considérer comme étant dirigés contre une décision unique de rejet des candidatures des demandeurs au poste de chef du SREC de Grevenmacher et de nomination de Monsieur F. à ce poste et sont recevables à ce titre pour avoir été par ailleurs introduits dans les formes et délai de la loi.

Etant donné que les trois recours sont dirigés contre un même acte décisionnel affectant les demandeurs au même titre et que les moyens soumis à l’appui de ces recours se recoupent en large partie, il y a lieu, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, de les joindre et d’y statuer par un seul et même jugement.

A l’appui de leurs recours, les demandeurs reprochent en premier lieu au ministre le non-respect de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 concernant la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes en ce que l’acte décisionnel critiqué, de par le rejet de leurs candidatures pour être affectés au poste de chef du SREC de Grevenmacher, serait soumis à l’obligation d’un énoncé des éléments concrets de nature à justifier la décision prise, mais que le courrier ministériel du 28 janvier 2005 méconnaîtrait cette exigence au motif qu’il « se limite à énoncer des affirmations générales sans même tenter de préciser concrètement les circonstances de fait qui imposent de donner la préférence au candidat effectivement retenu et en quoi ce candidat, par le fait qu’il s’est borné à collaborer, en tant que membre du service SREC, à côté d’autres membres, à mettre en place ce service, mérite une telle préférence par rapport aux autres candidats postulants ». Ils estiment que cette insuffisance de motivation devrait entraîner l’annulation de l’acte décisionnel critiqué.

Au vœu de l’article 6 alinéa 2 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979, une décision administrative « doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base » notamment lorsqu’elle « refuse de faire droit à la demande de l’intéressé ».

S’il est vrai qu’une décision administrative doit formellement indiquer les motifs par l'énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu'elle refuse de faire droit à une demande de l’administré, il n’en reste pas moins qu’une omission de motivation suffisante n'est cependant pas sanctionnée par une annulation automatique, mais que, dans la mesure où des éléments de motivation ont existé au moment où la décision déférée a été prise, ceux-ci peuvent encore être valablement fournis par l’auteur de la décision en cours de procédure contentieuse, sous l’obligation toutefois qu’un débat contradictoire ait pu avoir lieu impliquant toutes les parties à l’instance. Ce n’est que dans l’hypothèse où l'autorité administrative met le juge administratif dans l'impossibilité d'exercer son contrôle sur l'existence et la légalité des motifs pouvant justifier la décision de refus qu’une décision non valablement motivée encourt l’annulation.

Or, en l’espèce, le courrier ministériel du 28 janvier 2005 comporte une motivation concrète tenant aux fonctions antérieures de Monsieur F. et à l’intérêt du service relativement à sa nomination comme chef du SREC de Grevenmacher, laquelle a été utilement complétée, pour autant que de besoin, à travers les mémoires en réponse et en duplique du délégué du gouvernement et les éléments complémentaires du dossier administratif soumis au tribunal. En présence de ces motifs valablement soumis au plus tard au niveau de la procédure contentieuse et librement discutés entre les parties, le moyen de nullité des demandeurs tiré d’un défaut de motivation valable est à rejeter.

Les demandeurs s’emparent ensuite de l’article 6 paragraphe 2 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, ci-après désigné par le « statut général », qui garantirait à tout fonctionnaire le droit de changer, à sa demande, occasionnellement de fonctions afin de varier le domaine de ses activités professionnelles et qui serait seulement limité par l’intérêt du service, notion qui devrait « cependant revêtir un caractère essentiellement limité dans le temps et se motiver objectivement ». Les demandeurs estiment que le courrier ministériel litigieux du 28 janvier 2005 se référerait exclusivement à une priorité devant être accordée au candidat F. sans préciser en quoi l’intérêt du service du SREC dicterait un tel choix et en quoi l’intérêt de leurs services d’origine respectifs serait mis en cause par un choix porté sur l’un d’entre eux.

Les demandeurs arguent à titre subsidiaire que, même si la décision déférée se justifiait par un motif légal, le ministre devrait encore établir la réalité de ce motif, obligation à laquelle il manquerait cependant de satisfaire en l’espèce. Ainsi, même à supposer que la décision critiquée soit motivée par l’intérêt de service du SREC, les demandeurs soutiennent que le ministre ne justifierait pas en quoi cet intérêt ne pourrait être assuré que par la nomination du commissaire en chef F. au poste en cause « dés lors que la mise en place sans problème de ce service nouvellement créé dépend de toute évidence davantage du commandant de ce service que d’un membre placé au bout de la hiérarchie de ce service. Il s’en suit que le candidat retenu n’a certainement pas contribué plus que chaque autre membre de cette unité à en assurer le bon fonctionnement ». Les demandeurs affirment pouvoir par contre établir que la nomination de Monsieur F. au poste en cause trouverait sa cause non pas dans des considérations de qualification particulière, mais dans une promesse lui faite par le directeur qui relèverait d’un « esprit de favoritisme personnel » et qui serait documentée par la proposition de nomination du 22 juin 2004.

Le délégué du gouvernement rétorque qu’il ressortirait des éléments du dossier que Monsieur F. serait particulièrement qualifié pour diriger le SREC de Grevenmacher, étant donné qu’il avait été affecté à ce service dès sa création en l’an 2000 et avait largement contribué à le mettre en place, qu’il disposait d’excellentes qualités humaines et d’une capacité de conseiller et de guider les nouveaux membres de ce service, que ses qualités d’enquêteur reconnues auraient permis de clôturer avec succès plusieurs enquêtes d’envergure, qu’il aurait établi un réseau d’échange et de recueil d’informations régional au-

delà des frontières avec ses homologues des services judiciaires et que finalement, contrairement aux allégations des demandeurs, il n’aurait pas été placé au bout de la hiérarchie du SREC de Grevenmacher, mais qu’il était l’adjoint du chef de ce service. D’un autre côté, d’après le représentant étatique, le service de police judiciaire ne disposerait toujours pas d’un nombre suffisant d’enquêteurs pour combattre efficacement une criminalité devenue plus complexe, seulement 103 des 120 postes d’enquêteurs dans la carrière de l’inspecteur prévus étant actuellement occupés, de manière que l’intérêt du service de police judiciaire aurait dicté la décision de maintenir les demandeurs O. et B. à leurs postes actuels. Quant à Monsieur K., le délégué du gouvernement insiste sur le fait qu’il n’aurait pas encore été affecté à un SREC ou au service de police judiciaire, de sorte qu’il ne pourrait pas se prévaloir de l’expérience et des connaissances professionnelles nécessaires pour commander un SREC.

Les demandeurs font répliquer que Monsieur F. serait également issu du service de police judiciaire avant sa mutation au SREC de Grevenmacher, ce qui n’aurait pas causé de dérangement pour le service de police judiciaire malgré le manque d’enquêteurs et que d’autres enquêteurs expérimentés, dont notamment 8 agents nommément visés, auraient pu quitter le service de police judiciaire « ces derniers temps » pour être affectés à d’autres fonctions, fait qui contredirait le motif invoqué par le ministre pour empêcher le départ des demandeurs. Pour étayer cette affirmation, les demandeurs renvoient également à l’avis de non-affectation du directeur du 25 octobre 2004 relatant le renfort net de 4 agents du service de police judiciaire pour le 1er octobre 2004 et ils concluent qu’au vu de ces éléments, il serait difficilement compréhensible en quoi l’intérêt du service de police judiciaire aurait été mis en cause par le changement d’affectation de l’un d’eux vers le SREC de Grevenmacher.

Monsieur K. fait ajouter qu’en vertu de l’article 13 de la loi du 31 mai 1999 portant création d’un corps de police grand-ducale, l’ensemble du personnel policier est chargé de missions de police judiciaire et qu’il aurait non seulement effectué des stages auprès de différents départements du service de police judiciaire pour une durée totale de 5 mois, mais qu’il aurait également été impliqué dans des enquêtes judiciaires « comme homme de terrain », de manière que le motif tiré du défaut d’une expérience professionnelle suffisante dans son chef tomberait à faux.

Le délégué du gouvernement précise en termes de duplique que les départs de 8 fonctionnaires du service de police judiciaire se situeraient tous, sauf 2 exceptions, à l’époque d’avant la réorganisation dudit service suite à la publication du nouvel organigramme du 10 juillet 2003 et se seraient échelonnés de 1994 à 2005.

Il découle des éléments en cause qu’au moment de la prise de la décision critiquée, les demandeurs, tout comme Monsieur F. étaient classés au grade P 7 respectivement P 7bis et que le poste de chef du SREC de Grevenmacher constitue également un emploi du grade P 7.

Par voie de conséquence, étant donné que la mutation litigieuse a lieu au même niveau hiérarchique, elle ne s’analyse pas en une promotion au sens de l’article 6 paragraphe 1er du statut général à défaut de fonction hiérarchiquement supérieure, mais en un changement d’affectation entre emplois d’un même niveau hiérarchique au sens de l’article 6 paragraphe 2 du statut général qui dispose que « le changement d’affectation peut intervenir d’office dans l’intérêt du service ou à la demande de l’intéressé ; il est opéré par le chef de l’administration dont le fonctionnaire relève ».

Or, cette disposition ne soumet le choix de la personne à changer d’affectation à aucun critère particulier en dehors de celui de l’intérêt du service qui doit exister en cas de changement d’affectation qui intervient d’office i.e. en l’absence d’une demande afférente d’un fonctionnaire, et ce entre autres dans un but de protection du fonctionnaire contre des changements d’affectation arbitraires. S’il est vrai que le même article 6 paragraphe 2 prévoit la faculté pour un fonctionnaire de solliciter un changement d’affectation sans disposer expressément que, dans cette hypothèse, l’existence d’un intérêt du service est requise, cette omission s’explique par l’absence d’une nécessité, en présence d’une demande de mutation volontaire, de protéger le fonctionnaire par l’imposition d’un critère objectif pour une telle mesure. Il n’en reste pas moins que cette disposition ne consacre pas pour autant un droit du fonctionnaire à un tel changement, mais qu’un changement d’affectation reste toujours sujet à l’existence d’une vacance de poste afférente et qu’il se trouve conditionné, même en cas de changement volontaire, par sa conformité aux besoins du ou des services concernés, étant donné qu’un chef d’administration est toujours tenu de veiller au bon fonctionnement des services sous sa responsabilité.

Il en découle qu’il incombe au chef d’administration compétent pour apprécier, en présence d’une vacance d’un certain poste et de plusieurs candidats désirant l’occuper à travers une mutation à partir de leurs services d’origine, de choisir le fonctionnaire dont la mutation correspond le mieux aux besoins du bon fonctionnement de l’administration. Si le droit du chef d’administration d'apprécier l'existence et l'étendue des besoins de service, ainsi que de choisir le personnel qui, à ses yeux, remplit le mieux ces besoins, est ainsi discrétionnaire, il n'en est pas pour autant soustrait à tout contrôle juridictionnel dans ce sens que sous peine de consacrer un pouvoir arbitraire, le juge administratif, saisi d'un recours en annulation, doit se livrer à l'examen de l'existence et de l'exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, et vérifier si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée (trib. adm. 18 juin 1998, n° 10617 et 10618, Pas.

adm. 2005, v° Fonction publique, n° 90).

Or, en l’espèce, l’argumentation basée sur l’intérêt du service est axée à la fois sur l’existence d’un certain avantage comparatif du candidat retenu par rapport aux demandeurs entrevu à partir de son affectation préexistante au service dont le poste de chef est à occuper et sur les besoins du service auquel deux des demandeurs sont actuellement affectés, en ce sens que l’intérêt de ce service s’opposerait à leur mutation vers le poste brigué.

Concernant le premier volet, il découle des éléments soumis en cause que Monsieur F. était depuis l’an 2000, soit depuis la création du SREC de Grevenmacher, l’adjoint du chef de ce service et qu’il avait du moins mené plusieurs enquêtes d’envergure clôturées avec succès, abstraction même faite des commentaires positifs du directeur concernant les autres qualités professionnelles et humaines de Monsieur F., de manière que l’argument de l’avantage tiré de la nomination à la tête du SREC de Grevenmacher d’une personne ayant déjà contribué dans une certaine mesure à sa direction et disposant d’une solide expérience y relative apparaît comme motif objectif et valable.

D’un autre côté, le refus de nomination des demandeurs O. et B. au poste en cause s’insère dans le cadre plus large d’une certaine réorganisation du service de police judiciaire, suite à une surcharge de travail incontestable de différentes sections, à travers notamment l’élaboration d’un nouvel organigramme arrêté le 10 juillet 2003 et un nouveau système de distribution et de traitement des dossiers. Eu égard au caractère récent de la mise en œuvre de cette réorganisation du service de police judiciaire, l’argumentation déployée par le délégué du gouvernement reste pertinente au moment de la prise de la décision litigieuse, étant donné que par essence, une approche de cette envergure ne saurait être réalisée utilement dans le court terme, mais requiert, en vue d’une exécution correcte des travaux et d’une réduction de la surcharge de dossiers, un effectif aussi complet que possible et une certaine continuité au niveau notamment des agents directement concernés. Cette conclusion ne se trouve pas ébranlée par les exemples d’autres agents ayant fait l’objet de changements d’affectation dans le passé cités par les demandeurs, étant donné que d’après les explications afférentes fournies en cause par le délégué du gouvernement et non utilement énervées par les demandeurs, six de ces changements se situent dans le temps avant la réorganisation du service de police judiciaire invoquée à l’appui de la décision litigieuse, et que les deux autres cas, à savoir un premier commissaire principal ayant fait l’objet d’un détachement temporaire à l’école de police et un inspecteur-chef muté auprès du service de renseignements de l’Etat, constituent des situations revêtant un caractère de spécificité en ce que ces affectations répondent à d’autres nécessités, faisant en sorte qu’ils ne sauraient être utilement comparés à la situation des demandeurs. Pareillement, les propositions de déplacement de deux commissaires en chef jusque lors affectés au service de police judiciaire vers d’autres fonctions au 1er novembre 2005, dont les demandeurs font état, ne sont pas de nature à énerver la validité du motif de refus ainsi retenu, étant donné que le délégué du gouvernement a déclaré à l’audience des plaidoiries que le ministre avait rejeté ces deux propositions de mutation sur base du même motif.

En ce qui concerne le demandeur K., le motif de refus tiré du défaut de l’expérience nécessaire dans les domaines d’activité du service de police judiciaire apparaît comme étant objectivement justifié, étant donné que la direction d’un tel service spécialisé implique des connaissances acquises en matière d’enquêtes judiciaires qui dépassent celles pouvant être acquises à travers des stages de quelques mois et de participation à l’exécution matérielle d’enquêtes.

Il s’ensuit que sur la toile de fond des informations et prises de position fournies à l’appui de la décision litigieuse, celle-ci repose sur des données objectives en relation avec le fonctionnement des services concernés et ne saurait partant encourir en l’état le reproche d’être manifestement disproportionnée par rapport au but poursuivi consistant à préserver aux mieux l’intérêt du service concerné.

Il s’ensuit que l’argument tiré par les demandeurs du non-respect de l’article 6 du statut général laisse d’être fondé.

Les demandeurs s’emparent ensuite de deux principes généraux du droit pour conclure à l’annulation de la décision ministérielle critiquée. Ainsi, ils estiment d’abord que cette dernière ne respecterait pas le principe d’égalité des chances de tous les postulants à être affectés au poste vacant concerné, au motif que le directeur aurait opéré son choix de la personne à proposer au ministre pour le poste en cause longtemps à l’avance, ainsi qu’en témoignerait son écrit du 22 juin 2004 au ministre, de manière à avoir court-circuité la procédure normale et discriminé tous les autres candidats potentiels, et que le ministre, en faisant droit à la proposition du directeur sans vérifier si les chances de chaque candidat avaient été protégées, aurait à son tour contrevenu à ce principe. Ils ajoutent en termes de réplique que le respect du principe devrait s’apprécier par rapport au résultat obtenu par cette procédure et non pas par rapport à une « farce de procédure mise en place pour satisfaire à l’exigence légale » et que la nomination de Monsieur F. au poste en question malgré l’existence d’autres candidatures démontrerait clairement que le directeur aurait opéré son choix dès le début en sa faveur et l’aurait seul proposé en vue de sa nomination. Les demandeurs formulent une offre de preuve par l’audition de témoins pour prouver que le directeur aurait promis depuis un certain temps à Monsieur F. sa nomination au poste de chef du SREC de Grevenmacher.

S’il est vrai que le directeur avait annoncé le 22 juin 2004 sa proposition de nommer Monsieur F. au poste de chef du SREC de Grevenmacher sans avoir au préalable publié la vacance de ce poste et sollicité la soumission d’éventuelles candidatures, de manière qu’une certaine préférence pour ce candidat peut être entrevue à partir de ce fait, il n’en reste pas moins que, par courrier du 28 juin 2004, le ministre de l’Intérieur avait attiré l’attention du directeur sur la nécessité de publier cette vacance de poste. Etant donné ensuite que la vacance du poste en cause a été publiée par note de service n° 107/2004 du 1er octobre 2004 et que les demandeurs ont pu soumettre leurs candidatures pour y être mutés, le respect des droits des autres fonctionnaires susceptibles de briguer ce poste, dont les demandeurs, à obtenir une chance égale pour soumettre leurs candidatures a été assuré en l’espèce.

Dès lors, le fait que le candidat finalement retenu au terme de la procédure ainsi engagée soit le même que celui initialement proposé par le directeur avant le début de ladite procédure ne saurait être considéré comme étant de nature à affecter la validité de la décision finale que dans l’hypothèse où les motifs retenus pour écarter les autres candidatures ne sont pas relatifs aux intérêts et besoins des services concernés par cette mutation. Par contre, lorsque la nomination du candidat initialement proposé est fondée sur des considérations valables relatives aux qualités objectives du candidat retenu et aux intérêts et besoins objectifs des services d’origine et de destination concernés, le reproche d’un non-respect du principe d’égalité de chance entre les candidats laisse d’être fondé.

Or, dans la mesure où il résulte des développements ci-avant que le rejet des candidatures des demandeurs et la nomination de Monsieur F. reposent sur des motifs objectivement vérifiables relatifs à l’intérêt pour le SREC de Grevenmacher de voir nommer à sa tête une personne expérimentée connaissant bien ce service et à la nécessité de maintenir un cadre suffisamment nombreux et expérimenté au sein du service de police judiciaire pour mener à bien la réorganisation de ce service, le reproche afférent des demandeurs laisse d’être fondé et l’offre de preuve afférente est à écarter.

Les demandeurs se fondent ensuite sur le principe de la confiance légitime des fonctionnaires concernés dans une pratique régulière suivie par la direction de la police grand-ducale en matière de promotions et d’affectations depuis plusieurs décennies et plus particulièrement sur le fait que jusque lors, une priorité de nomination aurait régulièrement été accordée au candidat se positionnant devant tous les autres candidats au tableau d’ancienneté de la police grand-ducale. Dans la mesure où les demandeurs devancent tous Monsieur F. audit tableau d’ancienneté, ils estiment qu’ils auraient bénéficié d’une priorité d’affectation et qu’en proposant et nommant Monsieur F. au poste en cause, le directeur et le ministre n’auraient pas respecté cette pratique régulière, dont on ne pourrait s’écarter sur base du principe tu patere legem quam ipse fecisti que dans des circonstances exceptionnelles justifiant une dérogation. Les demandeurs ajoutent en termes de réplique que le principe de légitime confiance serait également reconnu en droit communautaire et que, même si l’antériorité au tableau d’avancement ne constituait pas nécessairement le seul critère en vue d’une nomination, le principe de légitime confiance se trouverait violé si l’autorité s’écarte sans raisons objectives de la pratique antérieurement suivie, laquelle ne devrait pas nécessairement être ancrée dans une base légale précise.

Il est constant que pour conclure au caractère dirimant du critère de sélection fondé sur le rang des candidats d’après le tableau d’ancienneté, les demandeurs se réfèrent non pas à une disposition légale ou réglementaire afférente, mais à une pratique généralement suivie en la matière au sein de la police grand-ducale.

Si la pratique ainsi alléguée, en l’absence de critère de sélection textuellement consacré, traduit certes une approche de principe répondant à un souci d’objectivité et de traitement égalitaire, il n’en reste pas moins qu’en l’absence de contrainte légale ou réglementaire afférente, l’application de ce critère de l’antériorité au tableau d’avancement ne saurait être érigée en un automatisme non susceptible d’être énervé au cas par cas par des considérations fondées notamment sur l’intérêt du service (trib. adm. 28 février 2005, n° 18723 du rôle, non encore publié).

Or, les motifs valables ci-avant visés pour fonder le choix de Monsieur F. pour occuper le poste de chef du SREC de Grevenmacher constituent des considérations fondées sur l’intérêt du service qui justifient valablement le choix d’un candidat devancé par les trois demandeurs au tableau d’ancienneté et donc un choix s’écartant de la pratique antérieurement suivie, de sorte que le moyen afférent des demandeurs est à rejeter.

Les demandeurs font finalement valoir qu’avant d’occuper le poste de chef du SREC de Grevenmacher, Monsieur F. n’aurait occupé que le grade P 6 du commissaire, alors que ledit poste relève du grade P 7. Ils se réfèrent à l’article 27 du règlement grand-ducal du 20 juin 2001 concernant les conditions de recrutement, d’instruction et d’avancement du personnel du cadre policier et les conditions d’admission à des services particuliers pour conclure que Monsieur F. aurait été nommé au grade de commissaire en chef sans avoir occupé préalablement l’un des postes pourtant imposés par ledit article 27, de manière que la nomination de Monsieur F. au poste litigieux devrait encourir l’annulation pour violation de cette disposition réglementaire.

Abstraction même faite de ce que le délégué du gouvernement précise que Monsieur F. a été placé hors cadre sur base de l’article 93 de la loi prévisée du 31 mai 1999 et qu’il peut partant avancer avec dispense des conditions légales et réglementaires de nomination et d’avancement, force est de constater que la promotion de Monsieur F. au grade de commissaire en chef hors cadre a été opérée avec effet au 1er octobre 2004 et constitue un acte entièrement distinct de l’arrêté ministériel critiqué du 14 janvier 2005 qui porte exclusivement sur un changement d’affectation de Monsieur F. entre deux postes du grade P 7. Il s’ensuit que la mise en doute de la validité de cet acte de promotion ne saurait pas influer sur la validité de l’arrêté critiqué du 14 janvier 2005 et que le moyen afférent est à écarter pour manquer de pertinence.

Il découle de l’ensemble des développements qui précèdent que les recours sous analyse ne sont justifiés en aucun de leurs moyens et qu’ils sont partant à rejeter comme n’étant pas fondés.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, se déclare incompétent pour connaître des recours en réformation introduits, reçoit les trois recours en annulation en la forme, joint les trois recours inscrits sous les numéros 19760, 19761 et 19762 du rôle, au fond, les déclare non justifiés et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. SCHROEDER, premier juge, M. SPIELMANN, juge, Mme GILLARDIN, juge, et lu à l’audience publique du 22 février 2006 par le premier juge en présence de M.

LEGILLE, greffier.

s. LEGILLE s. SCHROEDER 12


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19761
Date de la décision : 22/02/2006

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2006-02-22;19761 ?

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