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28/11/2005 | LUXEMBOURG | N°20217

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 novembre 2005, 20217


Tribunal administratif N° 20217 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er août 2005 Audience publique du 28 novembre 2005 Recours formé par les époux … et consorts, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 20217 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er août 2005 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsie

ur …, né le … à Dragas (Kosovo/Etat de Serbie-et-Monténégro), et de son épouse, Madame …, née le ...

Tribunal administratif N° 20217 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er août 2005 Audience publique du 28 novembre 2005 Recours formé par les époux … et consorts, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 20217 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er août 2005 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Dragas (Kosovo/Etat de Serbie-et-Monténégro), et de son épouse, Madame …, née le … à Dragas, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs filles mineures …, tous de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 31 mai 2005 par laquelle ledit ministre a déclaré non fondée leur demande tendant à la reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que de la décision confirmative prise par ledit ministre le 11 juillet 2005, suite à un recours gracieux des demandeurs ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 septembre 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en sa plaidoirie.

Le 1er mars 2005, Monsieur … et son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs filles mineures …, ci-après désignés par les « consorts … », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, les époux … furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Les époux … furent entendus séparément en date du 5 respectivement 12 et 18 avril 2005 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur leur situation et sur les motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 31 mai 2005, notifiée par lettre recommandée du 7 juin 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration les informa que leur demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« En mains les rapports du Service de Police Judiciaire des 2 mars et 4 mai 2005 et les rapports d’audition de l’agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration des 5 et 12 avril 2005.

Vous auriez quitté le Kosovo de façon clandestine en prenant place dans une camionnette. Vous ne pouvez donner aucune autre précision quant à votre voyage.

Vous avez déposé vos demandes en obtention du statut de réfugié le 2 mars 2005.

Monsieur, vous seriez d’origine goranaise ainsi que votre épouse. Vous auriez effectué votre service militaire en Bosnie en 1991/1992. Vous auriez été membre d’un parti d’initiative des citoyens goranais, le GIG. Votre beau-père Rustem … serait un des fondateurs de ce parti et il serait depuis plusieurs années le député de ce parti au Parlement Kosovar. Vous auriez souvent accompagné Rustem … dans ses déplacements et vous auriez collé des affiches pour le parti. Ceci vous aurait valu d’être menacé par des Albanais. On vous aurait ainsi dit au téléphone que vos filles seraient enlevées et violées. Votre épouse aurait fait l’objet d’une agression en juillet 2004 au cours de laquelle on aurait tenté d’enlever vos enfants. Pour vous mettre à l’abri, vous seriez parti vivre en Bosnie de juillet 2002 à février 2003 et puis, vous seriez retourné avec votre famille au Kosovo. Vous ajoutez que, si votre beau-père bénéficie d’une protection rapprochée du fait de son statut de parlementaire, vous ne pourriez pas en bénéficier. En général, vous dites craindre les Albanais à tel point que vous n’auriez pas osé traverser le Kosovo et accompagner votre épouse à Belgrade pour ses accouchements.

Vous, Madame, vous auriez aussi été membre du GIG. Vous auriez effectué des travaux de dactylographie pour le parti. Vous auriez aussi collé des affiches. Vous confirmez la tentative d’agression de juillet 2004. Vous ne seriez pas restée en Bosnie parce que votre mari n’y aurait pas trouvé de travail. De toutes façons, votre intention n’aurait pas été de vous y installer, même si vous n’y étiez pas en danger. Vous reconnaissez n’avoir eu aucun problème à Belgrade, hormis le fait que vous n’y connaîtriez pas grand monde.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentifs au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Je relève d’abord que vous, Madame, êtes venue au Luxembourg avec un passeport muni d’un visa Schengen français valable du 09/02/2005 au 28/02/2005. L’un comme l’autre, vous avez d’abord nié l’existence de passeports ; confrontés avec ce visa, vous avez reconnu avoir eu des passeports mais vous dites les avoir laissés au passeur.

Vous niez cependant l’existence du visa français. Dans le même ordre d’idée, vous avez dit résider à Mlike / Dragas alors que votre passeport, Madame, renseigne que vous viviez à Zemun / Beograd.

Vous invoquez tous les deux l’insécurité du fait de votre appartenance à la minorité goranaise. Cependant l’appartenance à une minorité n’entraîne pas d’office le statut de réfugié. Les menaces téléphoniques sont insuffisantes pour entrer dans le cadre de la Convention de Genève. Vos activités pour le parti GIG étaient des activités de militant de base, sans pouvoir directionnel et qui ne vous plaçaient pas dans une position particulièrement exposée. Quant à l’agression de juillet 2004, faute de connotation raciale avérée, il s’agit d’un délit de droit commun contre lequel vous n’avez pas porté plainte. Vous ne pouvez donc pas invoquer un manque de protection de la part des autorités kosovares ou internationales.

Je relève également que vous n’aviez pas de travail fixe, vivant d’expédients et de l’aide de votre famille. Il n’est donc pas exclu que des motifs économiques sous tendent vos demandes.

Plus généralement, les Albanais que vous craignez ne sauraient être assimilés à des agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

Vos dires traduisent davantage un sentiment général d’insécurité qu’une réelle crainte de persécution. D’ailleurs, en ce qui concerne le Kosovo et, plus précisément, la situation des Goranais de la région de Dragas, il ressort du rapport UNHCR du mois de juin 2004 qu’actuellement ceux-ci ont, non seulement le droit de vote, mais encore accès à l’enseignement, aux soins de santé et aux avantages sociaux, ce qui fait qu’une discrimination à leur égard ne saurait pas être retenue pour fonder une persécution au sens de la Convention de Genève. A cela s’ajoute qu’ils disposent également d’une liberté de mouvement qui n’est limitée que par leur méconnaissance de la langue albanaise. Les relations interethniques avec les Albanais sont détendues et les Goranais qui quittent Dragas le font essentiellement pour des motifs économiques.

Finalement, vous n’aviez aucun problème à Belgrade et il ne résulte pas de votre dossier qu’il vous aurait été impossible de vous y installer pour profiter d’une possibilité de fuite interne.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux introduit par les consorts … par un courrier de leur mandataire du 30 juin 2005 à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 31 mai 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision initiale le 11 juillet 2005.

Par requête déposée le 1er août 2005, les consorts … ont introduit un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des deux décisions ministérielles précitées des 31 mai et 11 juillet 2005.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles critiquées. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable.

Le recours en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs reprochent au ministre compétent d’avoir commis une erreur d’appréciation en refusant leur demande d’asile, au motif qu’ils auraient fait l’objet au Kosovo de persécutions de la part d’Albanais en raison de leur origine goranaise et de leurs activités politiques. Ils exposent plus particulièrement que les Goranais ne seraient pas reconnus comme une minorité et qu’ils seraient représentés par deux partis politiques, à savoir, d’une part, le Parti de l’action démocratique (SDA), ayant de bons rapports avec la Bosnie-Herzégovine et favorisant la langue bosniaque, dont un nouveau parti, le Parti démocratique du Vartan serait issu en 2002 d’une scission du SDA et, d’autre part, l’Initiative citoyenne de Gora (GIG), privilégiant la langue serbe et les rapports avec Belgrade. Ils précisent que deux députés d’origine goranaise siégeraient au Parlement du Kosovo, dont l’un serait Monsieur Rustem …, le père de Madame …. Ils précisent qu’ils seraient tous les deux des membres actifs du GIG, ayant notamment collé des affiches et que Monsieur … aurait accompagné son beau-père dans ses déplacements et Madame … aurait fait la dactylo pour le parti, et qu’en raison de leur engagement politique, ils auraient reçu des menaces de la part d’Albanais, et plus précisément des appels téléphoniques au cours desquels on les menaçait d’enlever et de violer leurs filles. Ils critiquent le ministre en ce qu’il a retenu qu’ils ne seraient que de simples militants de base, estimant qu’en raison de leur lien de parenté avec le leader du GIG et en raison de leur propre engagement en faveur du GIG, ils seraient particulièrement exposés à des risques de persécution. Enfin, ils renvoient d’une manière générale à la situation générale régnant au Kosovo et à la prise de position de l’UNHCR de mars 2005 sur le Kosovo pour soutenir que la situation des minorités au Kosovo resterait fragile et instable, que les membres de minorités n’y seraient pas à l’abri de nouvelles violences interethniques et que le libre accès aux services publics et notamment aux services de santé ne leur serait pas garanti.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par les époux … lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes-rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions et force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal, alors que le récit des demandeurs traduit essentiellement un sentiment général d’insécurité, sans qu’ils n’aient fait état d’une persécution personnelle vécue ou d’une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine.

Ainsi, concernant cette crainte générale exprimée par les demandeurs d’actes de persécution à leur encontre en raison de leur appartenance à la minorité goranaise de la part d’Albanais, force est de constater que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Goranais, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, menaces et discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur risque de subir des persécutions.

A cet égard, il y a lieu de constater que suivant le rapport de l’UNHCR datant de juin 2004 sur la situation des minorités au Kosovo, et notamment celle des Goranais :

« The overall security situation of the Gorani, who are predominantly concentrated in the isolated and underdeveloped southernmost municipality of Dragash/Dragas, remained stable. With the exception of one stoning incident against a Gorani-operated bus in May 2003, no ethnically motivated incidents involving Gorani were reported. The local population, both Gorani and Albanian, continued to be exposed to insecurity arising from infiltration of criminal elements from Albania and were subjected to robberies and violence1».

Quant à leur situation après les incidents ayant eu lieu entre le 15 et le 19 mars 2004, force est de relever que les Goranais n’étaient pas la cible directe des affrontements. En effet, il est relaté dans la troisième partie du rapport précité intitulée « Situation of minority groups by region in light of the turmoil in march 2004 » que « Kosovo Serbs were the primary target of inter-ethnic violence. … Finally, whereas Bosniaks and Gorani did not become a direct target of the violence, in some locations they felt sufficiently at risk that they opted for precautionary movements, or where evacuated by police, to safer places2 et encore « The few Bosniaks and Gorani who were displaced during the mid-March unrest have returned to their home communities.

Returnees and remainees have resumed the same levels of freedoms they enjoyed prior to the events.3».

Dans un second rapport datant quant à lui d’août 2004, l’UNHCR souligne que « the security situation for Kosovo Bosniaks and Goranis has remained stable,with no serious incidents of violence reported » ainsi que « whereas the Bosniaks and Goranis were not directly targeted during the turmoil in March 2004, in some locations they felt insecure and opted for precautionary movements. Two families were evacuated by the police from the Bosniak Mahalla in Mitrovice/a North, while several others left on their 1 Update on the Kosovo Roma, Ashkaelia, Egyptian, Serb, Bosniak, Gorani and Albanian communities in a minority situation, UNHCR Kosovo, June 2004, p.28.

2 op.cit., p. 31 et 32.

3 op.cit., p. 46.

own initiatives. Living in a Serb neighbourhood in Fushe Kosova/Kosovo Polje and seeing their Serb neighbours being attacked, several Gorani families left their homes as a precautionary measure. No other attacks or self-imposed evacuations have been reported, although the two ethnic communities anxiously followed the unfolding developments. The events have inevitably left the communities with a heightened sense of insecurity and in a state of constant alert 4».

Enfin, dans sa prise de position de mars 2005, intitulée « UNHCR Position zur fortdauernden Schutzbedürftigkeit von Personen aus dem Kosovo », l’UNHCR confirme encore cette évolution relativement positive, en soulignant le fait que la communauté goranaise bénéficie notamment d’une meilleure acceptation de la part de la population albanaise (« Angehörigen der Volksgruppen der Ashkali, der Ägypter sowie der Bosnier und der Gorani wird – abgesehen von vereinzelten Ausnahmen wie in den schwerwiegenden Übergriffen gegen die Ashkali-Gemeinschaften in Vushtrri/Vucitrn während der März-Ausschreitungen des vergangenen Jahres – insgesamt offenbar mit grösserer Toleranz begegnet »5), bien qu’ils puissent encore être menacés individuellement.

En ce qui concerne les problèmes concrets invoqués par les demandeurs, il se dégage des déclarations des époux …, telles que relatées dans les comptes-rendus d’audition, que ce sont surtout les insultes et menaces d’enlèvement et de viol de leurs enfants de la part d’Albanais afin de les amener à quitter le Kosovo, du fait de leur appartenance au parti GIG et du fait que Madame … est la fille d’un membre du parlement du Kosovo, qui ont motivé leur départ du Kosovo. S’y ajoute une agression que Madame … aurait prétendument subie en juillet 2004, lorsque trois personnes auraient tenté de lui enlever ses enfants. Or, il convient de relever que ces actes, à les supposer établis, quod non, sont certes condamnables, mais sont insuffisants pour établir un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie des demandeurs leur serait, à raison intolérable dans leur pays d’origine.

Force est encore de constater que les auteurs de ces actes, à savoir des membres non identifiés de la population albanaise, ne peuvent pas être considérés comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève et que les demandeurs restent en défaut d’établir à suffisance de droit que les autorités de leur pays d’origine refuseraient de les protéger ou seraient dans l’impossibilité de leur fournir une protection d’une efficacité suffisante, étant relevé que la notion de protection des habitants d’un pays contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission matérielle d’un acte criminel et qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers uniquement en cas de défaut de protection dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

4 UNHCR Position on the Continued International Protection Needs of Individuals from Kosovo, August 2004, p.5.

5 UNHCR-Position zur fortdauernden Schutzbedürftigkeit von Personen aus dem Kosovo, März 2005, p.5.

En effet, il se dégage des déclarations des demandeurs qu’ils n’ont pas porté plainte auprès des forces de l’ordre à la suite de l’agression dont Madame … aurait été victime, au motif que cela ne servirait à rien, les meurtriers des membres de la communauté goranaise tués depuis la fin de la guerre n’ayant pas été retrouvés. S’y ajoute que la simple affirmation générale quant à une prétendue inaction des autorités n’est pas suffisante à cet égard, d’autant plus qu’elle est contredite par une déclaration de Monsieur … (« mon beau-père a plusieurs fois porté plainte et on lui a dit que tous les appels proviendraient de cabines téléphoniques »), dont il ressort que des enquêtes ont bien été menées à propos de l’origine des menaces portées contre sa famille à la suite de plaintes déposées par son beau-père, le simple fait que les enquêtes n’ont pas abouti n’étant pas déterminant. De même, le refus des autorités de leur accorder une protection rapprochée à l’instar de celle dont bénéficierait le père de Madame … en sa qualité de membre du parlement du Kosovo n’est pas suffisant pour conclure à une attitude générale de refus de protection des autorités compétentes sur place pour l’un des motifs de la Convention de Genève.

De tout ce qui précède, il résulte que les craintes dont les demandeurs font état s’analysent en substance en l’expression d’un sentiment général d’insécurité lequel ne saurait fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, de sorte que le recours laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 28 novembre 2005 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 8


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 20217
Date de la décision : 28/11/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-11-28;20217 ?

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