La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/11/2005 | LUXEMBOURG | N°20115

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 novembre 2005, 20115


Tribunal administratif N° 20115 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 juillet 2005 Audience publique du 28 novembre 2005

================================

Recours introduit par Monsieur … …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

-----------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 20115 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 18 juillet 2005 par Maître Pascale PETOUD, avocat à la Cour, inscrite au tableau de

l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, né le … à Yarms Waterloo (Sierra Leone), de n...

Tribunal administratif N° 20115 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 juillet 2005 Audience publique du 28 novembre 2005

================================

Recours introduit par Monsieur … …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

-----------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 20115 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 18 juillet 2005 par Maître Pascale PETOUD, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, né le … à Yarms Waterloo (Sierra Leone), de nationalité sierra-léonaise, demeurant à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 10 mai 2005, lui notifiée par lettre recommandée le 20 mai suivant, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 22 juin 2005 prise sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 octobre 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions ministérielles litigieuses ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Pascale PETOUD, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Le 31 décembre 2003, Monsieur … … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Il fut encore entendu le 16 et 30 juin 2004 entendu par un agent du susdit ministère sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, entre-temps compétent en la matière, l’informa par décision du 10 mai 2005 que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du même jour et le rapport d’audition du 16 juin 2004.

Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous seriez parti en bateau du Libéria, mais vous ne savez pas à quel endroit vous seriez arrivé. Ensuite, un homme d’apparence arabe vous aurait conduit en voiture au Luxembourg. Vous pensez qu’un ami aurait payé 10.000 dollars libériens pour votre voyage. Vous ne présentez aucun document d’identité.

Il résulte de vos déclarations que votre père et vous-même auriez été arrêtés en 1997 par les « Kamajors », forces pro-gouvernementales se battant contre les rebelles, invoquant à tort comme motif d’arrestation que vous seriez rebelles et voleurs. Ils auraient pillé votre maison et vous auraient battu, vous auriez d’ailleurs perdu connaissance. A votre réveil, vous vous seriez retrouvé en prison. Vous auriez appris durant votre détention que votre père serait décédé. Après 5 années passées en prison, vous auriez été relâché au motif qu’ils n’auraient rien contre vous, rien à vous reprocher.

Vous auriez alors décidé de quitter la Sierra Léone, en raison d’un état dépressif.

Vous ajoutez lors de l’audition complémentaire avoir quitté votre pays d’origine également en raison du risque de vous faire tuer par les « kamajors », car ils élimineraient les personnes connaissant les exactions qu’ils ont commises. Vous précisez que ces personnes seraient dotées de pouvoirs grâce au vaudou.

Ainsi, vous vous seriez rendu à Lome au Togo. Vous auriez travaillé dans un restaurant jusqu’au jour où, après 1 an, votre patron vous aurait proposé une mission dans le cadre d’un programme de charité au Libéria. En conséquence, vous vous seriez rendu au Libéria. Vous auriez découvert une situation conflictuelle, totalement instable. Vous auriez décidé de partir. Un ami vous aurait payé le voyage. Ce serait de cette façon que vous auriez quitté le Libéria par bateau pour venir en Europe.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécuté dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., § 2 de la Convention de Genève.

En effet, le fait d’avoir été emprisonné pendant 5 ans en raison de fausses accusations, même si regrettable que cela puisse paraître, ne saurait constituer une persécution en raison d’un des motifs de la Convention de Genève. Il est très improbable que les « kamajors », vous ayant relâché et donné de l’argent à votre sortie pour regagner votre domicile, souhaiteraient vous tuer. Il convient également de noter à ce sujet que lors de l’audition vous indiquez avoir quitté la Sierra Léone car suite à votre emprisonnement vous auriez été « depressed ».

Cependant lors de l’audition complémentaire vous ajoutez tout à coup une crainte d’être tué par les « kamajors », une crainte d’être tué par vengeance de révélations que vous pourriez faire à leur sujet. Or cette crainte est non seulement hypothétique et peu crédible, mais de plus ne repose sur aucun des critères de fond de la Convention de Genève.

En outre, les anciens chefs des « kamajors » ont été arrêtés en mars 2003 et leur procès a débuté en juin 2004 devant le tribunal spécial pour la Sierra Léone. Ils doivent répondre de huit chefs d’accusation dont ceux de crimes de guerre et contre l’humanité. Ces personnes seront pénalement sanctionnées, de sorte qu’une crainte de la milice des « kamajors » n’est plus fondée actuellement.

Concernant la situation du Libéria, elle n’est pas pertinente au regard de la Convention de Genève qui ne s’applique qu’aux problèmes rencontrés dans le pays dont le demandeur a la nationalité. De plus, vous prétendez avoir été en novembre 2003 au Libéria lors des conflits, or à ce moment là la guerre civile dans le pays était terminée depuis août 2003.

Enfin, vous dites avoir vécu une année au Togo, il vous aurait été possible de vous y installer définitivement étant donné que vous n’avez pas fait état de persécutions dans ce pays.

Ainsi, une crainte justifiée de persécutions en raisons de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social n’est établie, vous n’alléguez aucune crainte qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé par lettre de son mandataire du 14 juin 2005 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision initiale le 22 juin 2005.

Par requête déposée le 18 juillet 2005, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration des 10 mai et 22 juin 2005.

Le recours en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose avoir quitté son pays en raison de la guerre qui y aurait sévi en 1997, précisant avoir été arrêté et brutalisé ensemble avec son père par des miliciens pro-gouvernementaux, les kamajors, qui leur auraient imputé – à tort – une appartenance à un mouvement révolutionnaire. Il relève que son père serait décédé à l’époque et que lui-même aurait été emprisonné arbitrairement pendant 5 années. Il expose encore avoir quitté son pays après sa libération pour chercher un meilleur avenir dans un autre pays, à savoir le Liberia, et il fait état de ce que les séquelles psychologiques du fait de son emprisonnement illégal empêcheraient un retour en Sierra Leone.

Sur ce, le demandeur reproche au ministre compétent d’avoir commis une erreur d’appréciation en refusant sa demande d’asile.

Le représentant étatique soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que les mauvais traitements invoqués par le demandeur ne sont plus d’actualité et que, à les supposer vrais, et sans vouloir dénier le caractère condamnable d’une emprisonnement arbitraire d’une durée certaine, ils ne sont pas d’une gravité telle qu’il faille les as…ler à une persécution personnelle vécue rendant tout retour dans son pays d’origine impossible.

En ce qui concerne un prétendu risque actuel d’être tué par des kamajors, allégué lors de son audition, bien que non repris dans le recours contentieux, il y a lieu de suivre le délégué du gouvernement en ce qu’il soutient que pareille crainte ne correspond pas à un des critères de fond de la Convention de Genève, étant ajouté que le demandeur reste en défaut de démontrer concrètement que les autorités sierra-léonaises chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics ne soient ni disposées ni capables de lui assurer un niveau de protection suffisant.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 28 novembre 2005 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 20115
Date de la décision : 28/11/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-11-28;20115 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award